Pour convaincre les politiques de renforcer encore et toujours davantage la répression contre le téléchargement non marchand de musique sur Internet, les maisons de disques ont pour habitude de mettre côte à côte la courbe d’évolution du nombre de P2Pistes avec celle, inversement proportionnelle, de leur chiffre d’affaires. La démonstration doit convaincre les autorités que le P2P est directement responsable de la chute de leurs revenus, et donc responsable de l’atteinte, directe, aux sacro-saints artistes. Ainsi pour protéger les intérêts de Johnny Hallyday et de Carla Bruni, le gouvernement s’apprête à présenter devant le Parlement une nouvelle loi contre le téléchargement, deux ans après la loi DADVSI.
Mais la démonstration tombe court lorsque l’on regarde de plus près les chiffres. Car en fait de crise de l’industrie musicale, il s’agit surtout d’une crise de l’industrie du disque, c’est-à-dire de l’industrie de la musique enregistrée. Si les revenus des labels chute d’année en année, les revenus des artistes, eux, tendent à augmenter.
La MCPS-PRS, qui perçoit les droits d’exécution publique (radio, télévision, internet, discothèques, concerts, commerces,…) pour le compte des auteurs, compositeurs et éditeurs britanniques, vient ainsi de dévoiler une hausse de ses perceptions de 2,8 % l’an dernier, à 562 millions de livres (environ 706 millions d’euros). Un record. Pourtant, les droits de reproduction mécanique qui reflètent la santé du disque, et des maisons de disques, ont baissé de 11 %. Mais les droits de diffusion et d’interprétation de la musique, eux, sont montés en flèche. + 7 % l’an dernier, à 155,5 millions de livres. Dans le détail, les concerts ont généré 20 % de droits en plus par rapport à 2006, les discothèques et autres lieux publics ont rapporté 4,1 % de plus, et la télévision, + 10,4 %. Plus les jeunes piratent, plus les rémunérations indirectes qui bénéficient davantage aux artistes qu’aux maisons de disques augmentent.
Pour la première fois, les interprétations et les diffusions rapportent plus que les droits liés aux ventes de disques. C’est un croisement historique, qui en dit long sur l’avenir des maisons de disques et sur la nécessité pour l’industrie musicale de réviser en profondeur son modèle économique, dont l’équilibre est renversé.
La Phonographic Performance Ltd (PPL), qui perçoit les droits d’exéuction publique pour le compte des producteurs et des artistes-interprètes, enregistre aussi une hausse des perceptions de 17 %, à 115 millions de livres.
Et la tendance est générale. Comme le rappelle Philippe Astor sur Electron Libre, aux Etats-Unis l’ASCAP publie une hausse de 10 % de ses perceptions, et sa concurrente la BMI une hausse de 8 %. En France, la Sacem n’a pas encore publié ses chiffres pour l’année 2007, mais ils devraient suivre la tendance de 2006, qui avait vu les perceptions d’exécution publique augmenter de près de 6 %. Il n’y a guère qu’en Allemagne où la GEMA publie des perceptions en baisse de 2,83 %.
Globalement, nous dit Philippe Astor, « les droits relevant de la consommation collective (32% du total) et de la diffusion de musique à la télévision et à la radio (34,6%), ont généré 66,6% des revenus des auteurs, compositeurs et éditeurs membres de la SACEM en 2006, contre seulement 24,2% pour la consommation privée de musique (CD, Internet, mobile, copie privée)« .
Mais les maisons de disques, par définition beaucoup plus dépendantes des ventes de disques, subissent de plein fouet une crise qui, en fin de compte, ne touche que l’un des acteurs de la filière musicale.
Si l’on met côte à côte la courbe du P2P avec celle, proportionnelle, de l’augmentation des perceptions en faveur des artistes, peut-on en déduire que le P2P est bénéfique à Carla Bruni ? Ce serait bien sûr absurde, mais pas plus que le fait de considérer le P2P comme le premier responsable de la chute du disque en France et dans le monde.
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