La vague a commencé à déferler. Il est difficile d’échapper à la promotion du prochain Star Wars (probablement ce texte y contribuera-t-il même involontairement). L’attente paraît à la hauteur de la mythologie que la série de films a réussi à créer. Même s’ils sont des produits éminemment commerciaux, ces films contenaient en effet un matériau à la hauteur des grandes tragédies grecques ou ultérieures (avec cette espèce d’acmé en une réplique : « No, I am your father ») et des grands épisodes de retournement historique (le passage déjà vu d’une République à un Empire).
Cette série de films brasse en outre un large ensemble des interrogations de notre époque : sur le « post-humain » avec les figures du cyborg (mains et corps réparés sous forme mécanique) et du clone (devenu matériau de base pour une nouvelle soldatesque), sur la forme des échanges économiques et leur régulation dans un univers globalisé (avec le rôle plus que trouble de la « Fédération du commerce » dans la « prélogie »), évidemment sur le déplacement et l’extension de la guerre dans l’espace, etc.
En plus de la rencontre d’espèces multiples, Star Wars a mis en scène les interrelations et la cohabitation entre humains et machines. La saga a anticipé l’usage des drones, sous la forme par exemple de la sonde robotisée qui vient explorer la planète Hoth au début de L’Empire contre-attaque, la robotisation de la médecine, et l’informatisation des grandes infrastructures (à commencer par les stations spatiales militarisées que sont l’Étoile noire et l’Étoile de la mort).
Tout ce brassage est logique si on considère que la saga Star Wars est une œuvre syncrétique. Les puristes peuvent considérer que Star Wars ne relève pas de la science-fiction, mais plutôt de ce qu’on pourrait appeler la « space fantasy », autrement dit une transposition d’un récit de fantasy dans un univers de space opera. D’où cette impression de mélange entre tradition et futurisme…
En fait, ces films sont un révélateur de la permanence des imaginaires ; ou du moins des inerties qui peuvent peser sur leur évolution. Spécialement en matière politique. Les éléments de récit peuvent laisser le sentiment que ces imaginaires n’évoluent guère malgré les circonvolutions de l’histoire humaine, même replacée sur des périodes plurimillénaires. À la manière de Fredric Jameson pour la littérature (par exemple, dans L’inconscient politique. Le récit comme acte socialement symbolique), on peut également considérer qu’il y a de « l’inconscient politique » à chercher dans la saga Star Wars. Les œuvres d’art, pour le dire différemment, ont aussi une part idéologique, qui est à replacer dans un fil historique.
Des modèles politiques connus
Derrière l’exubérance technologique, le curseur temporel semble de fait bloqué sur des modèles installés dans la période antique (et en nous ramenant très loin dans le temps, les fameux textes déroulants des débuts de film ne mentent donc presque pas). Les formes d’organisation politique décrites sont des modèles déployés depuis l’antiquité terrienne, réduits à un schéma binaire : la République face à l’Empire, autrement dit une forme de représentation stylisée de la démocratie parlementaire face à une autre de la dictature autoritaire.
Besoin de se rassurer avec des modèles connus ? Compte tenu du mode et des lieux de production de ce type de bien culturel, les sources d’inspiration choisies ne paraissent guère étonnantes. Ce sont les modèles à disposition qui sont plus facilement saisis. Mais leur réagencement construit une vision du monde particulière. Les institutions opérant dans Star Wars semblent relativement centralisées, en l’occurrence à Coruscant, planète capitale. Lorsque la République est encore en place, on peut voir un Sénat, mais pas vraiment de « société civile ».
L’hypothèse proposée pour cette République paraît cependant ambitieuse : elle laisse penser qu’un parlementarisme peut fonctionner à une échelle galactique.
L’hypothèse proposée pour cette République paraît cependant ambitieuse : elle laisse penser qu’un parlementarisme (au moins avant son détournement par le Sénateur et futur Empereur Palpatine) peut fonctionner à une échelle galactique. Des espèces très différentes semblent ainsi pouvoir travailler ensemble à la mise en œuvre et à l’entretien d’un cadre politique (mais pas les robots, dont les plus avancés paraissent pourtant manifester une forme d’« intelligence »).
Ce parlement s’avère d’ailleurs hybride, puisque des monarchies peuvent y être représentées. Padmé Amidala, jeune représentante de la planète Naboo, est présentée comme le modèle de la reine éclairée que le pouvoir despotique ne pourrait guère tenter, et qui, malgré son amour pour Anakin Skywalker, finira horrifiée par l’évolution de ce dernier. Quant aux fameux chevaliers Jedis, ils ont un conseil conçu comme une instance particulière et séparée, avec notamment pour mission de maintenir la paix dans la République galactique.
C’est ce système institutionnel qui va montrer progressivement sa vulnérabilité et servir ainsi de ressort narratif aux épisodes de la « prélogie ». L’état d’exception, sous prétexte de préservation d’une paix plus durable, ne sera qu’une étape vers la transformation en un mode de gouvernement plus autoritaire. Telle qu’elle est présentée, la situation ne semble alors plus laisser de choix : face à une dictature, il ne reste que la guerre.
Comme si l’engrenage des événements et des réponses était fatal… L’alliance rebelle prend elle-même une tournure martiale et devient aussi capable de construire une organisation militaire. L’Empire, de son côté, a confiance dans sa puissance technique. À tel point même que, pour ses représentants, pulvériser une planète entière ne pose pas un gros dilemme moral.
Un univers sans idéologie ?
À bien y regarder, derrière cet apparent cadre politique, l’univers de Star Wars apparaît en fait comme un univers désidéologisé : il ne reste qu’une lutte entre le Bien et le Mal. La garantie qu’offrent les Jedis fonctionne elle-même sur des bases essentiellement morales (leurs interventions s’avèreront d’ailleurs inefficaces). Si politique il y a, elle semble plus une question de valeurs que d’idées dépassant les principes abstraits. Dans les deux camps, l’horizon collectif ne semble être que le maintien d’un système.
Le cadre politique des collectifs ne serait-il alors qu’une affaire d’oscillation ? Dans ses développements, la saga Star Wars essaye à sa manière de montrer les ambiguïtés et les hésitations de la nature humaine, ainsi que les résonances plus larges que cela peut avoir. Le philosophe Slavoj Žižek avait déjà fait le parallèle entre le glissement de la République à l’Empire et le passage d’Anakin Skywalker du côté obscur de la Force pour devenir Dark Vador (à lire dans La Parallaxe). Le potentiel narratif de ce parallèle lui paraissant surtout insuffisamment exploité.
Le septième épisode, Le Réveil de la Force, reprend la série en révélant en quelque sorte que le Mal ne disparaît jamais (ce qui tombe bien, parce que cette forme d’éternel retour permet finalement de continuer à faire des films rémunérateurs). Les partisans de l’Empire et autres anciens du régime sont encore présents. Et ils sont évidemment inquiétants et très méchants…
En même temps, avec du recul, cette suite de films donne un assemblage d’éléments qui pourraient facilement passer pour une collection de représentations simplistes. Et à la fois sur des plans psychologique et institutionnel. Face aux événements, Anakin Skywalker, le futur disciple Sith, semble raisonner de manière largement infantile et paraît aussi influençable qu’un très jeune enfant. Dans des processus forcément collectifs, une prise de pouvoir peut au surplus laisser supposer des enrôlements bien plus nombreux : elle peut difficilement se réduire aux manipulations et manigances d’un chancelier se transformant en dictateur.
Chez beaucoup de gens qui ne connaissent pas la science-fiction, le succès de ce type de films a pu avoir l’inconvénient de donner une vision réductrice du genre.
Les mythes populaires ont également leur revers. Chez beaucoup de gens qui ne connaissent pas la science-fiction, le succès de ce type de films a pu avoir l’inconvénient de donner une vision réductrice du genre. Ce qui est dommage, car, comme on l’a esquissé, la science-fiction peut être aussi une ressource et un levier pour une pensée politique (pour creuser cette question, lire « Ce que la science-fiction pourrait apporter à la pensée politique. »).
Cette forme culturelle peut non seulement avoir beaucoup d’autres expressions, mais il est aussi possible d’en faire des usages davantage orientés vers la réflexion, et donc pas seulement pour le divertissement ou l’évasion. Ou alors en poussant ensuite quelques crans plus loin. C’est pour cela qu’il est toujours intéressant de ressaisir les pensées et représentations plus ou moins conscientes qui peuvent circuler à travers ces œuvres et récits, fussent-ils les plus commerciaux et les plus susceptibles d’être noyés dans le marketing…
Yannick Rumpala est maître de conférences en science politique à l’Université de Nice. Ses recherches ont porté pour une large part sur les reconfigurations de la régulation publique et des activités de gouvernement. Une partie de ces recherches « par le haut » des institutions a été rassemblée dans un ouvrage paru en 2010. Il s’intéresse maintenant davantage « par le bas » aux processus de construction d’alternatives sociales et écologiques, d’une part à travers des formes d’expérimentations et de projets se développant à l’écart des institutions étatiques et marchandes, et d’autre part à travers l’imaginaire politique de la science-fiction, considérée comme une manière d’« habiter les mondes en préparation ».
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