Il n’y aura pas d’open data pour les normes NF ou CE. L’Afnor, qui édite en France les normes incontournables, a obtenu au Sénat que ses publications restent payantes et soumises au droit d’auteur exclusifs.

Mardi soir, malgré l’opposition ferme de la secrétaire d’État Axelle Lemaire, les sénateurs ont adopté un amendement UDI au projet de loi numérique, qui vise spécifiquement à écarter l’Association française de normalisation (AFNOR) des dispositions qui obligent les administrations à rendre publics leurs documents sous forme de données open data. C’était une demande pressante de l’organisme public, qui dépend du ministère de l’industrie.

L’amendement adopté modifie la loi de 1941 sur la normalisation, pour préciser que « les documents produits dans le cadre du processus de normalisation ou en résultant ne relèvent pas des documents administratifs » auxquels les administrés peuvent accéder gratuitement sur demande. En conséquence, l’Afnor pourra continuer à vendre l’accès exclusif à des documents qui permettent aux particuliers ou aux entreprises de connaître le détail des normes auxquelles ils souhaitent (ou doivent) se conformer.

Créé en 1926, l’Afnor a la responsabilité d’éditer les fameuses « normes NF » et normes européennes, ce qu’elle fait à travers son site internet où l’accès aux différentes documentations est le plus souvent payante. Par exemple, la norme qui fixe les critères d’évaluation de la qualité d’un site e-commerce coûte 93,94 €, celle sur les avis des consommateurs en ligne coûte 65,73 €, etc. Les recueils de normes concernant des secteurs spécifiques peuvent coûter plusieurs centaines d’euros.

Extrait d'un document de l'Afnor sur ses droits d'auteur.

Extrait d’un document de l’Afnor sur ses droits d’auteur.

La loi impose uniquement que « les normes rendues d’application obligatoire [par arrêté du gouvernement] sont consultables gratuitement » sur le site de l’organisme, mais ce n’est pas le cas des très nombreuses normes qui, sans être officiellement rendues obligatoires, constituent des normes incontournables de fait. La directive européenne 2001/95/CE du 3 décembre 2001 relative à la sécurité générale des produits dispose en son article 3 que « les producteurs sont tenus de ne mettre sur le marché que des produits sûrs » , et qui ajoute qu’ « un produit est présumé sûr (…) quand il est conforme aux normes nationales non obligatoires transposant des normes européennes dont la Commission a publié les références ». Ce sont ces normes que l’Afnor diffuse.

Un argumentaire qui aurait dû plaider pour l’importance démocratique de rendre les normes publiques

Or l’Association prend son droit d’auteur très au sérieux, et prévient sur son site (.pdf) qu’il est « strictement interdit d’envoyer par message électronique la norme achetée pour une diffusion à des tiers » et que même le partage au sein d’une même entreprise doit faire l’objet d’un paiement de « droits de partage ». En 2013, l’homologue allemand de l’Afnor avait porté plainte contre l’activiste Carl Malamud, fondateur du site public.resource.org, pour y avoir publié quatre normes, dont une sur les tétines pour enfant, qui peut intéressant tous les parents inquiets.

Le Sénat a adopté l’amendement qui exclut les normes Afnor de l’Open Data, malgré un argumentaire qui aurait dû plaider pour l’importance démocratique de les rendre publiques :

Les normes visent à garantir des produits et des services sûrs, fiables et de bonne qualité et peuvent ainsi constituer pour les entreprises des outils permettant d’abaisser les coûts en augmentant la productivité. Elles interviennent dans le processus d’accès à de nouveaux marchés, en établissant les référentiels d’évaluation de la conformité. En Europe, le système de normalisation a vocation à contribuer à la libre circulation des produits au sein du marché intérieur. Il doit aussi répondre aux défis de la mondialisation, être un outil au service de l’innovation et constituer un moyen pour renforcer la place des acteurs économiques européens sur le marché mondial.

Pour faire adopter l’amendement, les sénateurs UDI ont repris un argument de l’Afnor, selon lequel il a la responsabilité de représenter la France au sein des instances de normalisation européennes (CEN, CENELEC) et internationales (ISO, IEC), et qu’à ce titre elle doit en suivre les règles, dont l’interdiction de diffuser gratuitement les normes. Ainsi « le risque d’exclusion d’AFNOR des instances de normalisation » justifierait de l’exclure de l’open data, pour que la voix de la France puisse toujours s’exprimer.

Axelle Lemaire s’était pourtant opposée avec force à l’amendement, en expliquant qu’elle ne comprenait pas l’obsession de l’Afnor contre l’open data, alors que des redevances payantes pouvaient subsister à côté de l’ouverture des données, et que leur principe avait été accepté par le gouvernement.

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