Avec ses arrêts Svensson (2014) et GS Media (2016), la Cour de justice de l’Union européenne a rendu très complexe la réponse à une question simple : la diffusion de liens hypertexte menant à des contenus piratés est-elle elle-même illégale ? Numerama résume les différents scénarios qui font qu’un lien peut être légal, ou illégal.

Le Web ne serait rien sans les liens hypertextes, qui ne sont que des panneaux indicateurs qui disent à l’internaute et à son navigateur où se trouve un contenu qu’il veut consulter. L’existence du lien ne garantit en rien l’existence du contenu, tout comme le panneau de signalisation qui pointe vers une boutique ne garantit pas que la boutique n’a pas fermé. Le lien, en lui-même, est d’une neutralité absolue.

Mais est-il légal ou illégal de créer un lien hypertexte qui mène l’internaute vers un contenu hébergé ailleurs, sans l’autorisation des titulaires des droits d’auteur ? Avec son arrêt GS Media du 8 septembre 2016 qui vient compléter son précédent arrêt Svensson de 2014, la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) a fortement complexifié la réponse à cette question simple, et fragilisé le statut juridique du lien hypertexte sur lequel repose le Web. Au sein de l’Union européenne, il faut désormais distinguer selon de nombreux cas.

Nous résumons ci-dessous les différents scénarios possibles et leurs conséquences juridiques, au regard de la jurisprudence de la Cour.

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1 – Créer un lien hypertexte vers un contenu hébergé avec l’autorisation des ayants droit

C’est évidemment le cas le plus simple. Lorsque l’on sait qu’un contenu est hébergé et diffusé sur Internet avec l’autorisation des titulaires des droits d’auteur, créer un lien vers ce contenu est en principe légal et personne ne se pose vraiment la question. Pourtant il faut déjà distinguer plusieurs cas.

A. Si le lien mène vers un contenu ouvert à tous : lien légal

Dans le cas où il est prévu que le contenu soit accessible à tous les internautes, sans identification préalable ni aucun mode de contrôle de l’accès (abonnement, paiement à l’acte, etc.), créer un lien vers ce contenu est toujours légal. Par exemple, Numerama ouvre ses pages à tous les internautes sans inscription préalable, et donc créer un lien qui conduit directement vers cet article est parfaitement légal, sans avoir à nous demander l’autorisation.

B. Si le lien mène vers un contenu réservé à certains : lien illégal (mais pas toujours)

Ici, les subtilités commencent. Dans son arrêt Svensson, la CJUE a jugé que les liens hypertextes ne devaient pas conduire des internautes vers des contenus qui, normalement, leur seraient interdits d’accès. Elle interdit en effet de publier un lien « dans l’hypothèse où un lien cliquable permet aux utilisateurs du site sur lequel ce lien se trouve de contourner des mesures de restriction prises par le site où se trouve l’œuvre protégée ». Juridiquement, la Cour estime que si un lien pointe directement vers un contenu qui normalement ne serait accessible qu’aux abonnés identifiés sur le site source, le lien ajoute un « public nouveau » à celui visé par l’autorisation des ayants droit, et exige donc une nouvelle autorisation spécifique. Peu importe, finalement, que la plateforme contrôle mal l’accès à ses contenus.

Il faut toutefois ajouter une nuance. Si l’on sait qu’un ayant droit a autorisé quelque part une plateforme à diffuser un contenu sans restriction d’accès, il n’est plus illégal de diffuser un lien menant directement au même contenu hébergé par une autre plateforme qui, elle, est censée contrôler l’accès, Les juges estiment en effet que dans ces cas là, la première autorisation valait pour tout le public constitué par l’ensemble des internautes, et qu’il n’y a donc pas de « public nouveau » créé par le second lien (vous suivez ?).

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2. Créer un lien hypertexte vers un contenu piraté

C’est simple, c’est toujours interdit, non ? Non, ce serait trop simple. Avec son arrêt GS Media, la CJUE est venue ajouter de la complexité, dans le souci en soi honorable de ne pas vouloir porter atteinte de façon disproportionnée à la liberté d’expression et de communication. Il se distingue de la jurisprudence deux grandes catégories de liens, qui ne dépendent plus cette fois-ci de la nature du lien (ce qui serait pourtant le plus logique et le plus sain), mais de la nature de celui qui publie le lien, et de ses motivations.

Il y a d’un côté les particuliers, et de l’autre les professionnels. Notez que pour la simplicité du propos nous parlons ici de « particuliers » et de « professionnels » mais que pour la rigueur juridique, il faut préciser que la cour parle de son côté de l’absence ou de la présence d’un « but lucratif » derrière la publication du lien. Dans les faits cela revient souvent au même, avec des subtilités qu’il serait ici trop long d’expliquer (par exemple les associations loi 1901 seraient ici à mettre dans la même case que les particuliers).

A. Si vous êtes un particulier qui ignorez de bonne foi que le contenu est hébergé illégalement : lien légal

Dans l’arrêt GS Media, la CJUE admet la légalité d’un lien hypertexte conduisant vers un contenu piraté, si l’internaute qui publie le lien « ne poursuit pas un but lucratif » et qu’il « ne sait pas, et ne peut pas raisonnablement savoir, que cette œuvre avait été publiée sur Internet sans l’autorisation du titulaire des droits d’auteur ». Typiquement, on ne va pas demander à l’internaute de s’assurer auprès de Youtube que la vidéo dont il diffuse le lien a été autorisée par les titulaires de droits, la plateforme ayant la réputation d’être légale. Une présomption de bonne foi s’applique.

B. Si vous êtes un particulier qui prétendez de mauvaise foi ne pas savoir que le contenu est hébergé illégalement : lien illégal (presque toujours)

L’internaute qui diffuserait le lien menant vers le streaming gratuit d’un match de foot qu’il sait être normalement réservé aux abonnés de Canal+ aura beaucoup plus de mal à se défendre. Certes, il bénéficie toujours de la présomption de bonne foi en vertu du fait qu’il est un particulier, mais elle est très fragile. « Lorsqu’il est établi qu’une telle personne savait ou devait savoir que le lien hypertexte qu’elle a placé donne accès à une œuvre illégalement publiée », le lien devient illégal.

Là aussi il faut ajouter une nuance, puisque si le même contenu est diffusé légalement par ailleurs, sans contrôle d’accès, il n’y a pas de « public nouveau » créé par le lien et celui-ci reste donc légal (jurisprudence Svensson). Ces cas nous paraissent toutefois rarissimes.

C. Si vous êtes un professionnel qui diffusez un lien vers un contenu piraté : lien illégal (mais pas toujours)

C’est ici l’aspect le plus contestable de la jurisprudence GS Media. La Cour de justice de l’Union européenne estime que dès lors qu’un lien hypertexte « est effectué dans un but lucratif », ce qui est vague, « il y a lieu de présumer que ce placement est intervenu en pleine connaissance de la nature protégée de ladite œuvre et de l’absence éventuelle d’autorisation de publication ».

Il est créé une présomption de mauvaise foi qui, pour des raisons fort peu rigoureuses sur le plan du droit, feraient que d’un seul coup le lien diffusé dans de telles conditions créerait un « public nouveau » à autoriser, alors que le même lien diffusé par un particulier ne créerait pas un « public nouveau » (si vous comprenez, nous pas). « Dans de telles circonstances, et pour autant que cette présomption réfragable ne soit pas renversée, l’acte consistant à placer un lien hypertexte vers une œuvre illégalement publiée sur Internet constitue une « communication au public », au sens de [la directive européenne de 2001 sur le droit d’auteur] », écrit la CJUE.

La présomption est dite « réfragable », c’est-à-dire que l’accusé peut prouver son innocence. Par exemple, un moteur de recherche qui indexe automatiquement l’ensemble du Web par des robots crawlers aura beau jeu d’expliquer qu’il ne crée pas tous les liens de ses résultats de recherches « en pleine connaissance de la nature » des contenus indexés. C’est aux tribunaux d’apprécier, au cas par cas, si le professionnel a des raisons valides de convaincre qu’il ne pouvait pas savoir. Mais là encore la chose est complexifiée par l’arrêt GS Media, puisqu’il précise que « lorsque le placement de liens hypertexte est effectué dans un but lucratif, il peut être attendu de l’auteur d’un tel placement qu’il réalise les vérifications nécessaires pour s’assurer que l’œuvre concernée n’est pas illégalement publiée ». Quand est-ce que c’est attendu, quand est-ce que ça ne l’est pas ? La justice en décidera.

En attendant, réfléchissez bien avant de poster vos liens.

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