Il aura fallu à la Gendarmerie et au C3N (Centre de lutte contre les criminalités numériques) plus de deux ans pour mettre en lumière la tentaculaire Zone Téléchargement. Alors que la SACEM déposait sa plainte à l’encontre du site en 2014 avec les preuves de ce qu’elle avançait, les autorités devront patienter durant de longs mois avant de réunir suffisamment d’éléments pour déconnecter le site et en saisir toutes ses ramifications.
L’ingénieuse mécanique qui déjouait les autorités
Si la SACEM (Société des auteurs) a insisté pour que Zone Téléchargement soit démantelé, c’est parce que le site avait réalisé une ingénieuse machinerie pour échapper aux filets qui permettent aux ayants droit de limiter la casse du téléchargement illégal. Or c’était là la pierre fondatrice d’une entreprise en devenir : Zone Téléchargement n’était pas un site facile à contrer et son succès a confirmé les inquiétudes des ayants droit. Les Français qui avaient entrepris la construction de ce vaste réseau pirate avaient presque tout prévu pour leur petite entreprise qui naviguait en eaux troubles.
En premier lieu, les œuvres mises à dispositions pour Zone Téléchargement ne pouvaient pas être supprimées des moteurs de recherche. En effet, les sociétés d’ayants droit passent souvent par la case de la suppression de Google pour miner le business des pirates, mais face à cette plateforme, leurs tentatives étaient vaines. Car si les internautes connaissent bien la façade de Zone Téléchargement, son interface à peine ringarde et son catalogue bien fourni, ils sont moins nombreux à savoir que le site est couplé à une autre plateforme : DL Protect.
L’un ne va pas sans l’autre et inversement, ces deux sites sont les deux pierres qui soutenaient la petite et riche PME Zone Téléchargement. Le premier, le site façade, hébergeait les descriptions des œuvres, les photos, la communauté, en somme le cœur du business. Mais sur Zone Téléchargement il était impossible de trouver un seul lien dirigeant vers un hébergeur, d’où l’impossibilité pour les moteurs de recherche de supprimer de leurs résultats les pages du site.
En réalité, chaque lien sur la plateforme menait à une page du site DL Protect, et c’est sur cette dernière que les internautes trouvaient le fameux lien vers l’hébergeur. Or si Google cachait DL Protect de ses résultats, il ne pouvait pas en faire autant de Zone Téléchargement. Donc l’internaute gardait l’accès aux contenus illégaux, quoiqu’en pensent les moteurs de recherche.
Une idée simple mais géniale qui a permis au site de prospérer sans jamais se voir déréférencé par Google, Bing, Yahoo etc. Et l’entreprise était intelligente : avec deux composants, elle démultipliait ainsi ses profits. Car les deux services étaient évidemment tenus par la même poignée de responsables.
Des Kim Dotcom à la française
Ce duo ingénieux avait donc de beaux jours devant lui. Le classement Alexa considère que Zone Téléchargement était ainsi le dixième site le plus visité en France, et à quelques marches derrière, on retrouve sur le même classement DL Protect en dix-neuvième place. Deux plateformes qui doublaient les revenus publicitaires de leurs propriétaires.
Et la prospérité de l’affaire était assurée par un catalogue toujours à jour et très complet. L’enquête montre que le réseau était en possession de plus de 2,5 millions de liens vers du contenu illégal : la SACEM compte par exemple plus de 1 500 albums de musique ainsi mis à disposition. Mais en dehors des derniers disques des charts, le business avait bien des facettes : les derniers films à peine sortis en DVD, des séries TV en VOSTFR et VF souvent jamais sorties en France, mais aussi des logiciels, des jeux vidéo etc.
le chiffre d’affaires annuel de Zone Téléchargement s’élevait à plus de 1,5 million d’euros
La petite PME du piratage avait donc tout pour réussir et l’argent coulait à flots, l’enquête montre, elle aussi, des chiffres extraordinaires pour le site : 254 millions de pages vues pour 7,1 millions de visiteurs uniques tous les mois. Or Zone Téléchargement ne s’inquiétait pas de s’associer à des régies publicitaires peu scrupuleuses ou pornographiques, le public venait et cliquait suffisamment pour que cette petite mafia du web affiche des revenus qui dépassent rapidement les espoirs de n’importe quel pirate du net français. Une source proche de l’enquête nous indique ainsi que le chiffre d’affaires annuel de Zone Téléchargement s’élevait à plus de 1,5 million d’euros.
Une mine d’or pour une entreprise qui n’avait finalement que peu de frais. Mais la stratégie de ses créateurs pour faire fructifier leur poule aux œufs d’or pirate ne s’arrêtait pas à un simple duo de site. Les ingénieux responsables avaient également mis en place une mécanique de blanchiment de l’argent gagné qui leur permettait d’échapper à l’impôt et aux autorités qui auraient pu s’inquiéter d’un tel profit.
Chaque centime réalisé sur la plateforme allait des poches des régies publicitaires directement vers des comptes off-shore. L’enquête en a trouvé à Malte, Chypre et au Belize. Un attirail financier digne des grands fraudeurs du fisc français qui permettait jusque-là aux créateurs d’être à l’abri du besoin tout en déjouant le regard de l’État et l’impôt.
Un attirail financier digne des grands fraudeurs du fisc français
À la tête de cette petite entreprise, on trouve deux responsables : l’un a été interpellé hier en Andorre où ils ont tout deux élu domicile et l’autre en France. Entre les serveurs domiciliés en Islande et en Allemagne, et les multiples domiciles des pirates, la gendarmerie française a fait appel à des commissions rogatoires internationales pour mettre fin au réseau tentaculaire de ces Kim Dotcom à la française.
La fin d’un business juteux
C’est ce mandat international qui a permis de déconnecter des serveurs en Allemagne et en Islande ainsi mais qui a aussi permis d’interpeller les responsables répartis entre la France et la principauté d’Andorre. Enfin, il a permis d’organiser une saisie d’un faramineux butin amassé durant des années de piraterie numérique. Nos sources confirment que les enquêteurs ont mis la main sur des voitures de luxe, des résidences secondaires, des comptes bancaires au quatre coins du monde — un capital bien gardé par ces professionnels du crime en ligne.
Cette vaste enquête qui a débuté dans les bureaux provinciaux de la gendarmerie toulousaine, et du côté du C3N, la police du web, aura finalement réuni des dizaines d’unités des forces de l’ordre pour parvenir à démanteler un site web et ses ramifications, laissant apercevoir un vaste montage financier et numérique.
Une petite entreprise qui n’avait seulement pas prévu que la patience des gendarmes paye un jour.
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