« Vous connaissez le truc, toc toc toc, les petits pouces bleus, ça nous fait monter et ça continue à développer le moyen dont je dispose grâce à vous qui est de contourner tout le système de l’officialité. » Dans le 23e épisode de sa revue de la semaine, publiée le 30 mars, c’est en initié aguerri aux codes de YouTube que Jean-Luc Mélenchon s’adresse à son public, loin du tâtonnement de son premier numéro lancé en octobre 2016. Il s’exprime avec l’assurance d’un candidat qui a su démontrer, au fil des mois, qu’il était possible d’exister dans le débat politique en faisant principalement campagne à la marge des médias traditionnels — où il continue malgré tout d’apparaître.
Cette stratégie tournée vers le numérique traduit les leçons tirées par Jean-Luc Mélenchon de son échec sous les couleurs du Front de gauche à la présidentielle de 2012. Le tribun, qui ambitionnait ouvertement de faire mieux que Marine Le Pen, avait obtenu seulement 11,1 % des voix, loin derrière la candidate du Front national (17,9 %).
À l’époque, sa stratégie de candidat de gauche protestataire en guerre avec les médias montre ses limites : en s’érigeant systématiquement en pourfendeur des radios, télés et journaux qui lui donnent la parole, Jean-Luc Mélenchon voyait ses propositions se noyer dans les polémiques, échanges tendus et autres gueulantes mémorables. Si celles-ci contribuent à faire parler de lui, elles ne jouent pas forcément en faveur de son image d’homme « présidentiable ». Il lui faut donc revoir son plan.
Le modèle Bernie Sanders
Pour l’élection présidentielle de 2017, Jean-Luc Mélenchon entend de nouveau montrer son opposition au « système » de manière plus apaisée, en s’offrant directement la parole qu’il affirme ne pas pouvoir porter dans les médias généralistes. Pour ce faire, le leader de la France insoumise, le mouvement politique créé au lendemain de son annonce de candidature en février 2016, peut s’appuyer sur les précieux conseils de Sophia Chikirou, sa directrice de la communication. Celle-ci a en effet passé 4 mois auprès de Bernie Sanders pendant la primaire du Parti démocrate aux États-Unis.
Si « Bernie» a finalement perdu face à Hillary Clinton, il a su s’imposer comme adversaire redoutable grâce à sa popularité hors normes auprès des jeunes et à sa poussée médiatique très rapide. Le modèle est tout trouvé pour Sophia Chikirou : « [Sanders] a fait beaucoup appel aux réseaux sociaux pour financer sa campagne, en s’appuyant uniquement sur le peuple. Sur le terrain, ça a donné une mobilisation via les réseaux sociaux. C’est ce que nous avons fait quand Jean-Luc a déclenché sa candidature hors-parti, on s’est dit : on va s’inspirer, pour organiser notre campagne, de ce qu’a fait Bernie Sanders. »
Plutôt que de simplement s’ériger en tant que candidat du « peuple », comme en 2012, Jean-Luc Mélenchon mise cette fois sur la force de frappe de ce dernier, qui doit se transformer en pilier central de sa campagne. Si l’utilisation de la plateforme NationBuilder ne le distingue pas forcément des autres candidats — à commencer par ceux de la primaire de la droite –, le leader de la France insoumise s’appuie plus que ses rivaux sur les contributions de ses électeurs potentiels.
Oublié le slogan « Prenez le pouvoir » de 2012, comme les échanges tendus avec les journalistes : Mélenchon préfère l’expression plus positive d’« Avenir en commun », du nom du site où les internautes lui soumettent près de 3 000 propositions politiques entre les mois de février et d’août 2016. Ils s’y retrouvent aussi pour former ou rejoindre des « groupes d’appui » qui organisent, sur le terrain, des événements pour soutenir sa candidature. Sans oublier de se livrer à un concours pour faire connaître le Phi (?) le logo de la France insoumise, devenu symbole de ralliement de la communauté et signe de reconnaissance sur les réseaux sociaux.
Livrets numériques et soutiens d’insoumis
L’équipe de campagne de Jean-Luc Mélenchon réalise très vite que la mise en avant des propositions portées par les « insoumis » a pour effet d’en inciter encore plus à se prêter à l’exercice ou à s’investir dans la campagne à coup de partages sur les réseaux sociaux. Un effet boule de neige vertueux : quand un couple de soutiens convaincus par son programme décline son programme en bande dessinée, le candidat s’empresse de le publier sur son site pour mieux le mettre en avant. Il est le premier à s’en féliciter sur son site : « L’imagination des soutiens de la France insoumise est débordante dans cette campagne inédite. »
Mélenchon mise aussi sur le feuilletonage de son programme politique, dont les livrets programmatiques dédiés à un thème précis — le numérique, l’écologie… — sont publiés au fil des mois, selon un calendrier consultable sur le site. Un moyen de créer l’actualité à intervalles réguliers tout en fidélisant les internautes.
YouTube, fer de lance de la campagne
Si son programme suffit à marquer sa différence politique avec ses adversaires, comment devenir plus audible que ces derniers, qui trustent les plateaux télé ? En jouant sur sa différence. Quand François Fillon et Marine Le Pen multiplient les apparitions aux matinales et aux émissions de télévision, Jean-Luc Mélenchon transforme sa chaîne YouTube en véritable pilier de campagne.
Il y anime différents formats qui deviennent vite des rendez-vous réguliers pour ses abonnés. On trouve ainsi la « revue de la semaine », où il revient sur l’actualité des derniers jours tout en déclinant ses propositions, mais aussi l’émission « Pas vu à la télé », où le logo de la RTF, sur un vieux téléviseur noir et blanc, explose pour laisser sa place au jingle de Mélenchon. Celui-ci devient, le temps de ces vidéos, un journaliste qui reçoit des invités pour aborder des sujets politiques, comme Jérôme Kerviel pour parler d’évasion fiscale.
Car Jean-Luc Mélenchon, au lieu de se contenter de recourir à YouTube comme simple support de relas médiatique, comme le font aujourd’hui tous les candidats, s’en réapproprie vite les codes, notamment dans ses revues de la semaine. Posters du mouvement, clins d’œil appuyés à la communauté, apparitions détournées du Phi, réponse aux YouTubeurs ou internautes qui l’ont mentionné, bannière « Abonnez-vous » en fin de vidéo avec les références de ses comptes Twitter, Facebook et Snapchat… le sexagénaire prend rapidement ses marques grâce à l’aide d’Antoine Léaument, un militant de la France insoumise et fin connaisseur de la plateforme.
Très vite, le nombre d’abonnés à la chaîne se multiplie : de 40 000 fin octobre, elle en compte plus de 150 000 début janvier 2017. Elle a aujourd’hui dépassé la barre des 260 000 membres. Surtout, sous ses vidéos, les commentaires d’internautes qui affirment se pencher sur la présidentielle grâce à lui se multiplient, à l’instar de celui de « hussein bolt » : « Mr Mélenchon vous avez réussi à m’intéresser à la politique, et comme je pense ne pas être le seul je pense que des surprises arriveront dans les votes futur. Je vous vois comme un tonton, vous êtes humaniste et j’apprécie ceci. »
Jean-Luc Mélenchon, bien conscient que ce nombre important de vues ne traduit pas forcément une adhésion à son programme, se félicite en revanche de prouver, par son initiative, qu’il est possible de contourner le système « officiel » et d’alimenter le débat politique en chiffrant par exemple son projet pendant un direct de plus de 5 heures. Même si, dans les faits, il porte sa seule voix et aborde les sujets qui lui tiennent à cœur sans faire face à la moindre contradiction. Un format gagnant-gagnant : il ne s’expose plus aux polémiques, et peut réserver ses saillies aux grands moments médiatiques « traditionnels », comme le débat du 20 mars.
Dans les faits, il porte sa seule voix et aborde les sujets qui lui tiennent à cœur sans faire face à la moindre contradictioni
Ironie du sort — et douce vengeance pour le candidat –, les journalistes multiplient les articles pour parler du « premier YouTubeur politique de France », un statut fièrement revendiqué par Jean-Luc Mélenchon. Sur la plateforme vidéo, les extraits de ses interventions dans les matinales et autres rendez-vous classiques sont mis en avant à grand renfort de titres majuscules qui n’oublient jamais la mention « MÉLENCHON : » suivie d’une citation forte.
Un moyen de transformer chaque séquence en clip programmatique qui attire l’œil de l’internaute, à l’instar de « MÉLENCHON : ‘VOTEZ, DÉGAGEZ-LES TOUS’ » ou encore « MÉLENCHON : ‘POUR LE DROIT DE RÉVOQUER LES ÉLUS EN COURS DE MANDAT’ ».
Reddit, mème et jeux vidéo
Jean-Luc Mélenchon peut surtout se targuer d’avoir transformé son slogan, « La force du peuple », en véritable force de frappe numérique. Si les discussions sur les forums de jeuxvideo.com tournent souvent à la bataille à grand renfort de mème avec les partisans de Marine Le Pen, la France insoumise y figure en sujet de discussion dominant. Sur Internet, Mélenchon devient lui-même un mème comme un autre, notamment grâce à certaines réactions remarquées :
Sur Reddit, dans le sous-forum non-officiel qui lui est dédié, ses soutiens y partagent tous les articles en rapport avec leur candidat, sans oublier d’y mentionner son programme point par point et son agenda pour s’assurer de ne rien manquer de sa campagne. Son grand meeting à la place de la Bastille, le 18 mars dernier, était ainsi particulièrement mis en avant à l’approche du jour J. Sa victoire (numérique) à la contre-élection tient ainsi en partie à la mobilisation de ses fidèles.
Les « insoumis » de la messagerie instantanée Discord, eux, échangent des idées pour promouvoir leur champion et ses propositions. Ils compilent ensuite sur leur portail les contenus militants audacieux qui émergent, comme le jeu vidéo « L’émission pourritique » .
Celui-ci glisse l’internaute dans la peau d’un journaliste chargé de frapper Jean-Luc Mélenchon pendant son intervention pour l’empêcher d’aborder son programme… Un moyen original de soutenir le candidat — et potentiellement de séduire un électorat plus jeune — tout en perpétuant sa critique du « système médiatique » en fustigeant L’émission politique de France 2.
La France insoumise s’appuie directement sur ces idées novatrices pour faire parler d’elle grâce à des initiatives tout aussi décalées. La plus mémorable reste évidemment le meeting holographique de Jean-Luc Mélenchon, qui visait à porter ses idées sur la tech tout en éclipsant le meeting concurrent de Marine Le Pen. Jean-Luc Mélenchon est désormais tellement associé à ces propositions originales — et coups de communication réussis — que le poisson d’avril de son équipe de campagne sur un futur meeting dans Minecraft paraissait particulièrement crédible.
La France insoumise vient de lancer le Mélenphone, un outil en ligne qui incite les militants à passer des appels via Internet pour convaincre leurs destinataires de voter pour leur candidat, en suivant des règles élémentaires de courtoisie.
La fonctionnalité, mise en avant grâce à deux tutoriels vidéo, fonctionne comme un jeu vidéo avec un classement des meilleurs contributeurs et les résultats collectifs sur l’objectif affiché (qui évolue au fil de la journée).
« Un feu roulant d’initiatives » pour les 40 derniers jours
D’ici quelques jours, Jean-Luc Mélenchon promet la sortie d’un véritable jeu vidéo, Fiscal Kombat, réalisé par les militants de la France insoumise. Son rapport direct avec le public y trouvera sa forme la plus aboutie puisque les joueurs y incarneront Jean-Luc Mélenchon. Le but : secouer des « oligarques » — comme Pierre Gattaz Liliane, Bettencourt, ou encore Jérôme Cahuzac… — pour en récupérer les précieux euros et les reverser dans un « pot commun ».
En bon vétéran de la politique, Jean-Luc Mélenchon sait que la dernière ligne droite de la campagne présidentielle est aussi difficile que cruciale, comme il le rappelle à son public sur YouTube : « Notre force numéro 1 c’est l’implication des gens qui participent à la campagne. […] Les 40 derniers jours, il faut que ce soit un feu roulant d’initiatives de toutes sortes. » Crédité de 15 % d’intentions de vote dans la dernière enquête du Cevipof pour Le Monde, il est sans doute le premier à se rappeler que certains sondages l’annonçaient à 17 % à la même période avant son score de 11,1 % en 2012.
Sa directrice de la communication, Sophia Chikirou, veut croire que Mélenchon a plus de chances de succès que Bernie Sanders : « Sur les réseaux sociaux, ne croyez pas que vous n’avez pas d’échanges, au contraire, ce qui fait le succès de la stratégie digitale de Jean-Luc Mélenchon, c’est qu’il est en contact avec les gens ».
Reste à savoir si ce décollage numérique se traduira par un succès dans les urnes le 23 avril prochain.
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