Au lendemain de la condamnation de Google par la Commission européenne à une amende de 2,4 milliards d’euros pour ses pratiques anticoncurrentielles, à quoi peut-on s’attendre pour la suite de ce bras de fer ? Valérie Nicolas, maître de conférences en droit à l’université Paris Nanterre, revient pour Numerama sur cette sanction record et son impact sur le géant de Mountain View.

Quelle analyse peut-on tirer de l’amende record de 2,4 milliards d’euros infligée à Google par la Commission européenne pour ses pratiques anticoncurrentielles ? Quelles sont les chances du géant de Mountain View en cas de recours en annulation ?

Pratiques de l’entreprise, perspectives de recours, message envoyé par la Commission européenne… Valérie Nicolas, maître de conférences en droit habilitée à diriger des recherches, et enseignante du M2 sur le droit des nouvelles technologies de l’information et de la communication à l’université Paris Nanterre, nous livre son éclairage sur le sujet.

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Cour de justice de l'Union européenne.

Source : Transparency International EU Office

Sous combien de temps Google doit-il payer l’amende ?

Elle doit être payée sous 90 jours, et Google a 60 jours pour informer la Commission des moyens qu’il compte déployer pour remédier à la pratique illégale [anticoncurrentielle] qui a été sanctionnée.

Le paiement de l’amende est-il garanti ?

Dans ce délai de 90 jours, des négociations pourraient avoir lieu entre Google et la Commission européenne pour obtenir un délai. C’est la politique de la fourmi : on agit par étape, en montrant sa bonne volonté. Google pourrait aussi demander un paiement échelonné mais je vois mal comment il peut échapper à l’amende.

De quel recours dispose Google ?

Google peut saisir le tribunal de l’Union européenne pour demander l’annulation de la décision, dans les deux mois suivant la publication de la décision. Mais ce recours n’est pas suspensif, ce qui signifie que Google devra quand même payer l’amende — sauf potentiellement dans le cas d’une procédure en référé.

Mais Google peut difficilement faire une procédure en référé ou une procédure accélérée : quels arguments d’urgence pourrait-il invoquer alors que les pratiques anticoncurrentielles sont avérées ? Le Tribunal pourrait faire la demande en accéléré s’il estime qu’il y a une urgence à cause de cette situation monopolistique mais je ne vois pas ce qui pourrait justifier l’urgence.

Quels arguments Google pourrait-il avancer pour justifier de son recours en annulation ?

Juridiquement, je ne vois pas quels arguments Google pourrait invoquer. Il pourrait dire que la sanction est disproportionnée par rapport à la pratique en question. Mais elle est ancienne : 2008, 2011… et dans de nombreux États de l’UE.

Je ne pense pas que la décision est disproportionnée, et je vois mal comment Google pourrait y échapper. Une révision du montant de l’amende est peut-être possible mais je n’y crois pas vraiment.

La question la plus intéressante, c’est de savoir comment Google va procéder pour mettre fin à la mise en avant de ses services, cette pratique illégale qui a faussé le marché. Comment s’y tenir en respectant l’égalité de traitement ?

Que risque Google s’il paye l’amende mais ne modifie pas ses pratiques ?

Il s’expose à une décision future et à une nouvelle amende de la Commission européenne.

L’amende a aussi une dimension dissuasive puisqu’elle peut s’accompagner d’une astreinte : si Google ne modifie pas ses pratiques, il s’expose à une astreinte quotidienne pouvant monter jusqu’à 5 % de son chiffre d’affaires mondial. C’est une décision distincte [de l’amende] et rétroactive.

De plus, Google reste passible de dommages et intérêts à l’issue de recours formés dans les États membres. Demain, une entreprise française qui estime avoir été défavorisée par ces pratiques anticoncurrentielles peut réclamer des dommages et intérêts devant le tribunal compétent.

L’entreprise peut-elle espérer obtenir plus que l’annulation de l’amende, comme des dommages et intérêts ?

La future décision éventuelle du Tribunal de l’Union européenne invaliderait juste la décision : elle n’a pas valeur de condamnation de l’institution.

Google n’a pas a sa disposition d’action lui permettant d’obtenir réparation, à part celle de voir prononcer l’annulation de la décision dont il fait l’objet.

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L’amende est la plus grande jamais infligée par la Commission européenne. Faut-il y voir  un message ?

Le montant colossal de l’amende est un message fort, car des années se sont écoulées entre la saisie du dossier par la Commission et la sanction. Cela signifie donc que Google ne s’est pas montré assez conciliant pendant ce laps de temps.

Avec cette amende, la Commission européenne envoie un double signal. Le premier, c’est de dire à Google : « Faites machine arrière et obtempérez, car nous ne reculerons pas sur notre position. »

Le second s’adresse à toutes les entreprises qui se trouvent dans la même position de force que Google mais sur un autre marché : elles doivent se préparer au même type de sanction si elles recourent aux mêmes pratiques anticoncurrentielles.

Il faut donc s’attendre à un changement général de pratique chez Google ?

Oui, l’amende va forcément amener l’entreprise à revoir ses méthodes. Elle est dans la nécessité de revoir sa position puisque l’amende va peser sur ses résultats de 2017 mais aussi sur ceux à venir. C’est une incitation à changer de comportement par la manière forte, d’autant que Google a encore les dossiers d’Android et d’AdSense sur le dos.

Le groupe a peut-être intérêt à lâcher du lest, même si sa position dominante est maintenue par son statut de leader du référencement. Il est logique qu’il référence en premier ses services dans les résultats — et c’est cette pratique illégale que la Commission vient de sanctionner.

Mais il y a aussi une réalité économique : l’internaute ne se tourne-t-il pas naturellement vers les leaders du marché quand il utilise le service ? En quelque sorte, le mal est déjà fait. L’amende est évidemment méritée mais la situation pose aussi la question d’une pratique par rapport à la règle de droit.

Google

Combien de temps devrait selon vous prendre la résolution du litige ?

À mon avis, il faudra bien attendre 2 ou 3 ans jusqu’à ce que soit rendue la décision du Tribunal, qu’il infirme la décision de la Commission ou la confirme. Mais je ne pense pas que le juge va aller contre cette décision, il va plutôt soutenir la prise de position de la Commission.

On sort toutefois du domaine purement juridique pour entrer dans la politique : d’ici là, Google pourrait bénéficier du soutien des États-Unis. En faisant pression, ils peuvent tenter de permettre à Google de tenir. On quitte le droit pour rentrer dans la relation États-Unis-Union européenne.

Cette amende est-elle un moyen, plus largement, pour l’Europe d’affirmer son autorité ?

Il faut la considérer dans sa dimension internationale : Google vient de se rendre compte qu’il a affaire à une institution qui n’a pas froid aux yeux. La Commission montre aux entreprises les limites à ne pas franchir sous peine d’être sanctionnées.

On est dans le sens de l’histoire : l’Union européenne n’est pas qu’une épine dans le pied de Google, son système juridique vient de prouver qu’il existe et fonctionne pleinement et va au bout de ses positions. Les États qui n’en sont pas membres doivent prendre la mesure de ce qu’est l’Union européenne.

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