Sur l’emoji calendrier d’Apple s’affiche la date du 17 juillet. C’est celle de la WWDC 2002, la keynote où fut dévoilé le logiciel d’emploi du temps iCal. Un clin d’œil à la sauce de Cupertino. Mais, à l’insu de tous, il s’est passé autre chose ce 17 juillet 2002. C’est le jour où, sous l’œil des caméras, Apple a établi son nouveau nom dans la bouche de son fondateur.
Octobre 2001, dix mois plus tôt. Le retour de Steve Jobs en 1997 avait tiré la firme de Cupertino d’une décennie où elle avait touché le fond. Il ne manquait plus qu’un produit pour relever la tête. En présentant l’iPod, Steve Jobs prononçait encore le nom de sa société comme celle d’un simple fruit, un apple qui glissait en douceur.
Mais dans les dix mois qui allaient suivre, Apple allait déclarer son indépendance linguistique vis-à-vis de la pomme. Voilà comment Apple est devenu Apple.
Une emphase suspendue dans les airs
Je parle une quinzaine de langues, dont la moitié couramment. La prononciation et l’intonation ne m’ont jamais causé de soucis qu’en chinois. Malgré tous mes efforts, je suis imperméable aux tons.
Je n’ai jamais passé l’anglais sous mon peigne de linguiste. Parmi les mille bizarreries phonologiques de la langue de Shakespeare, seule une m’a accroché l’oreille : quelques fois, j’ai entendu dans un reportage le nom d’Apple, avec cette emphase ciselée sur le A, un Apeul dont le A serait surélevé pour le rendre plus aigu. J’ai trouvé cela joli et passé mon chemin.
C’est juste comme le A de Apple
Je n’ai jamais l’occasion de parler anglais, et pour ne pas perdre mon accent, je lis des textes à voix haute. En février 2016 éclate l’affaire d’Apple contre le FBI. En récitant un article à ce sujet, ma voix se heurte à une anomalie répétée, comme un dos-d’âne. Je suis incapable de baisser mon intonation sur le nom d’Apple. Le A reste suspendu dans les airs. Une voyelle tonale haute.
Et c’est beau.
J’attrape ma méthode de chinois et cherche des mots au ton haut, ceux qui me causent le plus de misères. Je me dis « c’est juste comme le A de Apple ». Les tons du mandarin deviennent transparents. C’est comme un miracle.
Je saute alors à une conclusion hâtive : en anglais, les noms propres qui sont aussi des noms communs seraient prononcés avec un ton haut. Je cherche d’autres exemples. Mais il faut bientôt se rendre à l’évidence : Apple brille seul avec ses tonalités planantes, séparé d’un apple bien terre-à-terre.
0:00-0:12 – ancienne prononciation non tonale (« comme le fruit »), avec la publicité de 1984 puis Steve Jobs en octobre 2001.
0:12-0:35 – prononciation plutôt surélevée (stridente) de Steve Jobs en juillet 2002, puis Bill Gates en mai 2007, ainsi que Tim Cook (mars 2016), Donald Trump (février 2016) et John Oliver de Last Week Tonight (mars 2016).
0:35-0:50 – prononciation plutôt serrée, avec 4 intervenants d’une émission d’Al Jazeera English d’août 2016 et 3 intervenants non nommés du même Last Week Tonight.
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La mosquée Niujie à Pékin avec la profession de foi musulmane écrite en arabe. Le mandarin, de son côté, est une langue à 5 tons (haut, montant, bas, descendant, neutre). Image : Ivan Walsh
Dévotion religieuse
Un mot avec des sonorités uniques dans sa propre langue ? J’en connais un seul autre : Allah ??. La langue arabe est pleine de consonnes dites emphatiques, qui lui donnent cet aspect guttural, mais en arabe standard, seul le nom d’Allah possède un l emphatique. On dit que ce nom vient de la contraction d’al-ilah ?????, « le dieu », et que le l est devenu emphatique par dévotion religieuse.
Apple a aussi dû devenir tonal par dévotion quasi-religieuse. Pour en avoir le cœur net, je devais en parler à un anglophone qui a l’habitude de poser sa voix, de parler d’Apple et, si possible, qui apprécie la firme. Je pense vite à quelqu’un.
Putain… j’arrive pas à y croire… je les prononce différemment ! Ils sonnent différents !!!
Le journaliste néo-zélandais Kamahl Santamaria, qui présente depuis sept ans l’émission économique d’Al Jazeera English, n’avait jamais envisagé de différence entre la pomme et le nom de l’entreprise, même en tant que « fanboy d’Apple » revendiqué.
« Quand vous avez amené le sujet, raconte-t-il, ça ne sonnait ni fou ni déplacé. Mais c’est en m’entendant le dire que je me suis dit « c’est une blague, hein ? ». C’était juste… c’était juste bizarre, tellement bizarre ». S’ensuit une rafale de messages privés sur Twitter : « Putain… j’arrive pas à y croire… je les prononce différemment ! Ils sonnent différents !!! »
Quant aux raisons qu’il place derrière l’étrange articulation d’Apple, le journaliste avance prudemment : « Nous les consommateurs – et les consommateurs d’Apple en particulier – avons transformé l’entreprise en une sorte de divinité. Et vous lui donnez cette emphase parce qu’elle semble importante, qu’elle semble significative ». Fasciné par le sujet, Kamahl Santamaria promet de mener l’enquête pour moi dans sa rédaction au Qatar.
Entre temps, il apparaît que le l emphatique d’Allah est une vieille consonne sémitique dont l’islam aura protégé la prononciation devenue sacrée. Aucun rapport avec le degré de respect. Comme le constate le journaliste, « c’en est presque embarrassant. Au moins, avec Allah, il y avait une bonne raison ».
La langue anglaise aurait créé un phonème exprès pour réhausser le nom d’Apple ? C’est d’une classe tout à fait au goût de la firme fruitée et de son grammaticalement douteux « Think different ». Mais, soyons honnêtes, c’est une aberration linguistique.
Emmanuel Ferragne, angliciste et expert en phonétique à l’université Paris-Diderot, reste « très circonspect » face à ce que j’avance. « Qu’une marque déposée soit prononcée légèrement différemment d’un nom commun, ça ne me surprendrait pas, argumente-t-il. Mais que la marque Apple ait quelque chose en plus des autres marques du point de vue de la prononciation, là, j’ai du mal à y croire ».
Que la marque Apple ait quelque chose en plus des autres marques […] là, j’ai du mal à y croire
« Et je crois que c’est vraiment là le cœur d’une étude qui pourrait être scientifique : peut-on montrer que Apple est différent de apple (nom commun) alors que, par exemple, Windows ne serait pas différent de windows (nom commun) », poursuit-il avant de décrire un protocole expérimental rigoureux.
« Si vous parvenez à trouver une référence scientifique qui montre que Apple n’est pas à apple ce que Windows est à windows, alors là, je suis prêt à me laisser convaincre. Mais je suis pessimiste. »
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Le birman est une langue à 4 tons : haut, bas, fermé et craqué. Image : Patrik M. Loeff
Hors du radar des linguistes
Après avoir épluché la littérature phonologique, me voici face à un constat : les linguistes n’ont jamais entendu parler du nom tonal d’Apple ou de quelque phénomène analogue. Comment ont-ils pu passer à côté ? Même, la théorie néogrammairienne – la « théorie de l’évolution » linguistique – dit que tout changement phonologique ne peut avoir que des raisons phonologiques.
pas plus naturel qu’un changement [phonologique] dans les noms de légumes verts feuillus
Quelques voix discordantes soutiennent qu’une évolution sonore peut se restreindre, par exemple, aux seuls adjectifs ; mais pour reprendre ce qu’a dit en 1971 un certain Jay Jasanoff, ce ne serait « pas plus naturel qu’un changement [phonologique] dans les seuls noms de légumes verts feuillus ».
On vous laisse imaginer ce que ce linguiste aurait pensé d’un changement phonologique cantonné au seul nom d’une entreprise d’électronique grand public.
Je pars en quête du Apple tonal dans les tréfonds du Web. J’aurais rêvé d’avoir des reportages audio datant du début des années 2000, mais la période pré-Youtube semble absente de la Toile. Je rabas mon travail d’analyse sur les vieilles keynotes de Cupertino. Le champ de distortion de la réalité est impitoyable de séduction, et mon cœur de libriste aurait apprécié une prime de risque.
Un nouveau phonème met souvent des siècles à apparaître ; quelques années, c’est une vitesse hallucinante. Malgré deux ans d’étude, les tons hauts du chinois me demandent toujours un soin conscient. Voir quelqu’un y arriver en 10 mois, sans un soupçon d’effort visible, me met sous le choc (et me dégoûte du mandarin pour les trois semaines qui suivent). D’abord artéfact négligeable retrouvé sur un Apple sur cinq, le ton grapille du terrain, s’entendant une fois sur trois, puis une sur deux, jusqu’à devenir incontournable. Tout cela sous les yeux et oreilles de quiconque visionne ces vieilles vidéos Youtube.
Avec l’habitude, je reconnais le nom d’Apple en regardant son seul contour tonal, ce qui, dans une langue non tonale, n’est pas du tout normal. Niveau changements phonologiques, les tons sont assez hardcore. Ils viennent toujours de la fusion avec la voyelle d’un bout de consonne environnante. Dans le cas d’un apple, le a est un peu isolé et le p ne compte pas.
Je fouille dans la phonologie de l’anglais et trouve que les syllabes accentuées prennent une intonation plus haute. Pas de bol : fidèle à son « Think different », Apple se comporte exactement de la façon opposée, son ton haut s’estompant souvent quand il est accentué.
À proprement parler, Apple ne porte pas un ton, mais un registre : un truc encore plus badass typique de l’Asie du sud-est, mélangeant ton au sens strict (pure hauteur de note) et phonation (modifications gutturales). La seule description simple et consensuelle est « la marque n’est jamais aussi douce que le fruit peut l’être ».
Chaque individu prononce Apple suivant sa propre recette, piochant les ingrédients dans l’excentrique cuisine phonétique anglaise. Le statut social pourrait entrer dans la marmite. Les informaticiens aiment mettre un p sec après un A serré et bref, dont l’angliciste Emmanuel Ferragne s’attendait à ce qu’il soit rallongé. Cette sauce n’ayant rien à voir avec la mienne, je n’ai tilté qu’après de nombreux malentendus — et avec l’aide de Kamahl Santamaria.
Les keynotes préfèrent élever la gorge pour que la voyelle vibre, non plus sur les cordes vocales, mais au sommet de la colonne d’air. À voix basse, au lieu de faiblir, ce A aigü tend à s’évanouir en un souffle. Je me suis arraché beaucoup de cheveux avec cette articulation stridente, très exotique. Mis à part la langue bai du Yunnan chinois, elle ne se distingue que dans le génial fourre-tout khoisan d’Afrique australe. Apple aurait alors envoyé l’anglais côtoyer le ?kx’ao-?’ae ou le !xóõ ; ce dernier idiome ayant 164 consonnes, dont 111 clics, et faisant passer le klingon pour la langue la plus mélodieuse de la galaxie.
Ces deux grandes recettes n’ont phonologiquement aucun lien, mais dans les deux cas, le pot-au-feu ne semble possible que parce qu’Apple commence par une voyelle. Tous les ingrédients sont optionnels : on peut les compenser par d’autres… ou pas ! Il y a des gens qui ne font aucune différence entre apple et Apple, comme par exemple… Jony Ive, le légendaire designer anglais de Cupertino. Pendant ce temps, un ami anglais pas du tout technophile, qui a pourtant le même accent, séparera les deux sans hésiter.
Allez comprendre.
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Le punjabi, parlé en Inde et au Pakistan, est la seule langue indo-européenne pleinement tonale, à 3 tons (haut, bas, milieu). Image : Connie Ma
Stratégie publicitaire
Aï-pple. Devant les étudiants à l’université, je présente mes travaux comparant les bénéfices d’Apple aux PIB mondiaux, sous l’œil d’un professeur d’économie, Assen Slim. Étonnamment, ce Bulgare au français dépourvu d’accent articule le A de Apple comme le i de iPhone. Mais il n’est pas le seul : j’ai entendu à la radio un analyste économique français user de la même prononciation.
« Ah oui… c’est vrai que je dis Aï-pple, réfléchit mon professeur, mais je pense que c’est juste une faute ». La prononciation française d’Apple est pourtant parfaitement fixée, contrairement à celle un peu variable d’Uber ou de Facebook. Cette « faute », qui consiste à élever la langue là où Tim Cook ou Bill Gates élèvent la gorge, est bien intriguante.
Apple ne dit (ni n’écrit) jamais son nom dans ses publicités
Quant au ton haut, l’importante population chinoise de Cupertino (un tiers des habitants, deux fois plus que la moyenne de la Silicon Valley) l’a-t-elle importé dans la langue anglaise ? Cette hypothèse – la seule scientifiquement attirante – résiste mal aux faits, ne collant avec ni la chronologie ni la diversité des prononciations. Même si cela avait été le cas, la propagation du ton pose un sacré problème.
Apple ne dit (ni n’écrit) jamais son nom dans ses publicités, et n’a donc pas pu l’imposer à la population. Le nom tonal aurait dû passer des keynotes aux médias et des médias aux gens… en quelques dizaines d’occurrences. C’est infiniment trop peu, surtout quand les employés de Cupertino ont dû l’entendre des milliers de fois pour en prendre l’habitude.
J’en suis résolue à abandonner les conjectures linguistiques pour passer à l’hypothèse du pur marketing. Et si Apple avait arrêté de dire et d’écrire son nom pour se dissocier d’un banal apple ? Et si, en réaction, chaque locuteur avait indépendemment tenté, par tous les moyens, de créer une distinction à l’oral ? Après tout, si le ton est là, c’est que sa présence est logique. Et le marketing semble une voie bien plus logique que n’importe quel errement phonologique.
Changement d’image de marque
La Texane Tina Lowrey, professeure en marketing à HEC et experte mondiale en symbolique phonétique des noms de marque, voit une interprétation historique au nouveau nom d’Apple. Le ton haut symbolise la petite taille, la finesse et la rapidité ; c’est particulièrement visible en yorùbá, une des langues nationales du Nigéria, où bìrì (ton bas) veut dire « être grand » et bírí (ton haut) « être petit ».
À la fondation de l’entreprise en 1976, « une des raisons pour lesquelles ils ont aimé le mot apple était parce qu’il ne faisait pas high-tech, pas formel, pas sérieux. Il faisait sympa, explique la chercheuse. Donc je me demande si ces difficultés qu’ils ont traversées ne leur ont pas fait sentir qu’ils devaient devenir un peu plus sérieux. Mais ils ne voulaient évidemment pas changer leur nom parce que cela cause tout un tas de problèmes. »
On doit faire réussir cette entreprise, on doit sortir des produits pour nous aider à réussir, on doit survivre
Steve Jobs avait quitté Apple en 1985 ; à son retour en 1997, il avait « pris de l’âge, il était dans une nouvelle étape de sa vie. Peut-être qu’il ne voulait pas sonner aussi décontracté et fun qu’il le voulait au tout début. […] Je pense qu’il a dû – et je ne sais pas s’il en était conscient – commencer à se sentir plus orienté business, formel, sérieux, et dans un état d’esprit où il voulait faire réussir cette entreprise, sortir des produits pour l’aider à réussir, à la faire survivre. »
Mais Tina Lowrey répète que tout cela est baigné d’incertitude. À défaut de pouvoir interroger le principal intéressé, « qui sait ? ». Et à défaut de pouvoir l’interroger, je vais toquer à la porte de son entreprise.
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Macao (sud de la Chine), où on parle le cantonais, langue à 6 tons. Les Chinois forment ? de la population de Cupertino (Californie), ville par ailleurs ? caucasienne et ¼ indienne. Image : 5oulscape
Les hautes murailles de Cupertino
Malgré tous ses travers, Twitter est un outil merveilleux pour contacter des gens de l’autre côté du globe. Mais devant moi, les factionnaires de la pomme se murent dans le mutisme. Une de leurs employées finit par m’indiquer gentiment le service com’, dont j’attends encore la réponse. Face à la forteresse d’Infinite Loop, je rends les armes et ratisse le reste de la vallée.
Harassée, j’explique tout à l’envers. Un ancien de Twitter féru de linguistique me recadre : « C’est un peu comme Chinese food, réfléchit-il en insistant sur l’accent, qui est devenu Chinese food après que ça se soit démocratisé aux US ». Apple (Computer) aurait-il vu son accent passer du (Computer) au Apple, quand, avec l’iPod, la pomme est devenue plus importante que l’ordinateur ?
J’entends une différence quand les gens de la côte ouest disent Apple
« Je crois que j’ai déjà entendu ce dont vous parlez, me raconte une jeune femme de l’Illinois, mais pas ici. J’entends une différence quand les gens de la côte ouest disent Apple ». De son bureau, elle questionne ses collègues : aucun ne différencie la pomme et la marque. À New York, un ancien d’Apple s’interroge sur la prononciation tonale des intervenants des keynotes : « Ils sont peut-être coachés pour, mais je ne sais pas du tout si c’est vrai ou non ».
Un autre ex-employé d’Apple, hollandais lui, m’informe que le ton serait non seulement apparu dans sa langue maternelle, mais également sur un autre mot. « Le verbe whatsapper est devenu appen avec le a effilé, décrit-il, exactement comme quand ils disent Apple. En néerlandais, pour dire la pomme, appel, ils n’utilisent pas ce a effilé ». Le ton néerlandais de WhatsApp est-il apparu indépendamment, pour les mêmes raisons que pour Apple (qui ne serait alors plus un cas unique) ? Ou bien a-t-il été induit par analogie entre app et Apple ? La deuxième hypothèse est plus probable, mais dans les deux cas, le phénomène transcende les barrières linguistiques. Singularité de plus.
Quoi qu’il en soit, les rumeurs de ma quête ont forcément franchi les herses d’Infinite Loop. Au cœur de sa citadelle, Apple envisage peut-être de financer une étude démontrant le caractère exceptionnel de son propre nom. Abasourdie par un tel snobisme, la communauté linguiste lancerait alors des études concurrentes. Le tout au profit de Cupertino, qui se régalerait de ce surréaliste vacarme. On peut rêver.
Tribulations dans le désert
À l’autre bout de la planète, dans un bureau climatisé contre l’affreuse moiteur du Qatar, cinq ou six journalistes d’Al Jazeera English sont en conférence de rédaction. Soudain, l’un d’entre eux demande : « Vous pensez que le nom de l’entreprise Apple a plus d’emphase que le fruit apple ? ». Les regards se tournent vers l’intervenant. Il a un MacBook qui brille, un iPhone sur la table et une Apple Watch au poignet.
S’ensuit un long moment de solitude.
Alors qu’il commence à tout expliquer calmement, ses collègues sidérés le dévisagent en se demandant s’il n’a pas perdu la tête. Il me résume la scène quelques heures plus tard : « Ils ont tous pensé que j’étais stupide. Mais je me demande si, venant de moi, ça avait l’air crédible. »
Mon coéquipier inattendu qu’est Kamahl Santamaria remue les open spaces de la chaîne qatarie. Un de ses collègues réagit : « Il y a peut-être une différence subtile, mais je ne l’aurais pas remarquée autrement ». Un fan d’Apple : « Oui, je vois où tu veux en venir… (il répète plusieurs fois les deux mots) oui, je prononce clairement Apple l’entreprise avec plus d’emphase ».
Mais la réputation d’adorateur de la pomme précède Kamahl. Quand il expose mes théories tonales, la réponse prend souvent cette forme : « Tu racontes n’importe quoi. C’est parce que tu es un fan d’Apple que tu peux entendre la différence ». Ou encore : « Tu es sûr que c’est pas que tu veux entendre une différence, Kamahl, vu que tu aimes tellement cette boîte ? ».
Les biais de confirmation sont décidément une lutte de tous les instants.
The End
Pour résumer cette longue enquête, on peut dire que sur le seul A de Apple s’est créée une coloration unique. Celle-ci est tantôt ascendante et stridente, tantôt courte et effilée, reflétant le statut social du locuteur. Aucune autre marque n’utilise (pour le moment) cette merveille de design phonétique.
Et qui sait, peut-être que Apple finira par la breveter.
?
Épilogue
Le lundi 6 février 2017, Tim Cook visite l’Apple Store du marché Saint-Germain, dans le VIe arrondissement de Paris. Je suis sur place avec une version anglaise résumée de cet article, que je compte donner au CEO. « Mr Cook! », j’appelle. Il s’arrête, me regarde, me salue. Je lui montre le papier et fais un pitch. Il est difficile, avec ce genre de personnes, de savoir si elles sont réellement intéressées par ce qu’on dit ou si elles font seulement preuve de politesse. Il me laisse presque finir mon pitch, ce qui est déjà bien. « Thank you, I will read it », dit-il en me serrant la main et en prenant l’article avec ce ton neutre d’homme politique qui ne veut pas dire grand-chose. Il remet aussitôt la feuille à une membre de son équipe.
S’il n’est pas déjà conscient d’une différence de prononciation entre le nom du fruit et celui de son entreprise, son réflexe probable serait de dire les deux pour comparer, au moins dans sa tête. La réaction des gens, quand ils réalisent qu’ils distinguent les deux, va du simple désintérêt au « holy crap » halluciné. Tim Cook prononce Apple d’une manière aérienne et raffinée, qui ne devrait pas lui être trop ardue à distinguer d’un apple.
Prendra-t-il seulement le temps de lire l’article ?
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La langue bai du Yunnan (Chine) est l’une des seules à avoir officiellement des voyelles stridentes, prononcées en élevant la gorge. Image : strudelt.
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