Qu’il est dur d’écrire sur une console Nintendo. Doit-on toujours commencer par rappeler les tares de l’entreprise japonaise ? Le fait qu’elle ressort les mêmes licences sur des jeux qui ont plus ou moins évolué depuis les premières moutures ? Son côté complètement à l’ouest quand elle parle technique, proposant l’air de rien et tout sourire, du matériel qui a plusieurs années de retard ? Ses perpétuelles tentatives d’inventer de nouveaux moyens de jouer qui peuvent lancer des tendances (la Wii) ou se planter misérablement (la Wii U) ? Ou alors le simple fait que, nostalgie de sa fanbase aidant, elle n’arrive pas à se prendre la baffe qu’elle mériterait peut-être pour se réveiller ?
Eh bien oui, il le faut. Il le faut, car en 2017, le jeu vidéo n’est pas la lubie de quelques passionnés : il s’étend sur un spectre allant du divertissement à l’art et s’installe dans des salons ou sur des bureaux qui ont évolué techniquement. Sans oublier que le jeu mobile est devenu un phénomène massif non pas grâce aux consoles portables, mais grâce aux smartphones qui sont dans les mains de millions d’utilisateurs, de tous âges et de tous horizons. Les cartes ont été redistribuées.
Et pourtant, faisant fi de tout cela, de l’évolution technique, de la maturité des jeux vidéo, de l’émergence des nouvelles plateformes, Nintendo se pose encore et toujours la même question, incroyablement t pertinente après tant d’années : comment va-t-on faire en sorte que les gens s’amusent ? Le géant y répond particulièrement bien quand il est radical dans sa manière de concevoir des produits mais risque de se blesser quand il sort de sa zone de confort et tente de se faire passer pour ce qu’il n’est pas. La Switch a été présentée comme un produit qui entre dans la deuxième catégorie. Elle veut tout être : console de salon, console portable, support pour des party games et même un outil pour les progamers et l’eSport. Le risque est évident : faire tout de manière moyenne.
Et sur le papier, c’est ce qu’est cette Switch : une console moyenne en tout. Pas bonne à afficher du 1080p sur un grand écran, trop encombrante pour être transportée, équipée d’une trop petite batterie pour y passer des heures dessus lors de soirées entre potes, possédant des contrôleurs trop petits pour être confortables. Ce sont tous ces points noirs que nous avons en tête lorsque nous déambulons entre les stands qui nous présentent les premiers jeux de la console. Sans oublier, évidemment, le fil rouge essentiel qui doit nous rester à l’esprit, sans considération du reste : est-ce qu’on s’amuse ?
Comment va-t-on faire en sorte que les gens s’amusent ?
Arms
Notre visite commence par Arms. Le jeu tient son nom, vous l’aurez deviné, des bras qui sont l’élément de gameplay principal. Le principe est simple : vous choisissez un héros ou une héroïne, on vous envoie sur un ring et vous vous battez. Comment ? Par une combinaison de motion gaming et de réactivité sur les commandes. Chaque joueur a dans ses mains les côtés droite et gauche du Joy-Con, tenus comme on tiendrait le manche d’une épée, poing fermé.
Les mouvements et les esquives sont effectuées en appuyant sur les gâchettes (qui se retrouvent sous le pouce) et les coups et parades sont détectées par l’accéléromètre des manettes. Plus vous donnez un coup de poing long, plus votre bras va s’étendre. Vous pouvez donner un effet à votre poing et déclencher une super attaque quand vous avez accumulé suffisamment de coups dans le mille. Les mouvements sont précis et le jeu s’avère plutôt technique : on se fait laminer par la présentatrice qui connaît bien le gameplay.
Pas le temps de souffler, on relance une partie. Rebelote, même si on a bien vu qu’elle nous laissait taper, on finit à terre en quelques secondes. Les parties sont rapides et les mouvements sont très précis. On se dit que le jeu a un beau potentiel déconne en soirée, même si Nintendo le présente comme un jeu « hardcore » difficile à prendre en main. Si on s’est effectivement amusé pendant ces quelques parties, on se demande combien de temps un joueur peut s’entraîner en « motion gaming » sans se lasser. Car Arms repose sur des concepts, améliorés, qu’on trouvait déjà sur la Wii et la progression ardue pour maîtriser les coups semble demander un véritable entraînement.
En tout cas, aucun des défauts de la Switch n’a pu assombrir le tableau : on s’est amusé. Gagné.
Zelda : Breath of the Wild
On se retourne pour tomber sur Zelda, le jeu le plus attendu par les fans. Cette fois, les Joy-Con ne sont pas séparés mais attachés à la tablette : face à la télé, on joue avec une manette traditionnelle, vendue séparément. Il faut noter que pour un jeu de ce genre, Nintendo n’a pas bien fait les choses pour une prise en main : on se retrouve à l’intro d’une nouvelle partie, dans laquelle on enchaîne les pauses et les dialogues. Dans un salon bruyant, on aurait préféré un court extrait du jeu dans lequel on peut vraiment faire l’expérience du gameplay, avec un Link qui n’est déjà plus en slip.
La patte graphique du titre est clairement réussie, on a l’impression de bouger dans un conte de fée comme on se les imaginait quand on nous les lisait étant gamins. Toute la direction artistique est cohérente et agréable à regarder. Enfin, agréable, cela aurait été agréable avec une vraie machine : ici, sur un écran qui doit faire au bas mot 60 pouces, la définition nous fait pleurer et l’aliasing (crénelage autour des formes) nous ramène 10 ans en arrière.
Les textures sont baveuses, l’herbe est disparate, le champ de vision fait peur même s’il faut reconnaître qu’il n’y a pas d’effet de clipping trop prononcé. On a vraiment l’impression de jouer sur une tablette Android qui aurait été déportée sur un écran via un Chromecast 1080p. Comble : pendant les combats, on a pu remarquer des chutes de framerate plutôt inquiétantes.
En enlevant la tablette du socle pour jouer en version portable, on se rend compte du poids et des dimensions de la bête — même si l’armature qui l’attachait au stand dramatise un peu l’effet. Mais non, ce n’est clairement pas une console « de poche ». En s’approchant un peu, on retrouve les défauts des mauvaises tablettes : des bordures noires trop épaisses et des dimensions « écran large » qui rendent la console difficile à porter. Plus qu’une console portable, on se dit que la Switch est une console sédentaire amovible, pour jouer sur un canapé pendant que les enfants regardent la télé (oui, ou aux toilettes).
Du coup, pour un gros jeu comme Zelda dont l’ambiance et la narration sont aussi importantes que le gameplay, le retard technique de Nintendo fait tache. On se demande pourquoi un fan de la saga qui aurait une Wii U passerait à la Switch pour jouer à Breath of The Wild. Frustrant en grand, frustrant en petit, lors d’une démo mal calibrée, Zelda ne passe clairement pas le test du fun. Pour autant, nous n’avons aucun doute sur le fait que les fans de la saga sauront tout lui pardonner. Après tout, c’est quasiment le seul gros jeu disponible à la sortie de la Switch le 3 mars prochain.
1, 2, Switch
Là, on entre dans le cœur de métier de Nintendo : se regrouper entre potes et se marrer pendant une soirée. Nous faisons cela depuis la Nes et il n’y a pas de raison que cela change. En plus, Nintendo maîtrise bien souvent son sujet : on se moque beaucoup de ses concepts, mais il faut reconnaître qu’ils marchent. 1, 2, Switch est assez ironique et novateur, puisque le jeu repose sur une idée qu’on imaginerait pas dans un jeu vidéo : se passer de l’écran.
La console, sur son socle ou en mode tablette, devient en fait une sorte de maître du jeu qu’il faut écouter et non pas regarder. Chaque joueur tient un Joy-Con dans une main (notez : pas besoin d’acheter des Joy-Con en plus pour jouer à deux), se regarde dans les yeux et se prépare à un défi. Bien souvent, l’idée est de mêler gameplay et situations purement ridicules.
Un jeu va vous proposer un duel de cow boy dans lequel votre réactivité au 6 coups sera primordiale, tout comme l’inclinaison de votre arme au moment de tirer. Un autre va vous proposer de traire une vache (imaginez le mouvement et essayez de rester sérieux une seconde). Un autre encore va jouer sur le moteur de vibration particulièrement avancé des Joy-Con pour vous demander combien de bille se trouve dans la « boîte » imaginaire que vous tenez dans votre main : vous tournerez la manette pour « sentir » les objets rouler et s’entre-choquer avant de donner votre réponse. Sans parler de l’atelier crochetage ou de l’imitation de la pause de l’autre, dans lequel le timing compte autant que le mouvement réalisé.
Les moments que vous passerez sur ce jeu seront de bons moments
Les parties ne durent que quelques secondes et on a l’impression d’être sur une Wii très avancée, portée au plus haut de ce que peut faire une console en motion gaming. Encore une fois, il reste à savoir si ce genre de jeu peut tenir dans la durée ou s’il sera remisé avec la console après 3 soirées. En tout cas, on est sûr et certain d’une chose : les moments que vous passerez sur ce titre seront de bons moments. On aurait pourtant aimé le voir livré gratuitement en bundle avec la console et pas commercialisé au prix fort…
Mario Kart 8 Deluxe
Prenez la version « complète » d’un jeu sorti pour la Wii U avec lequel vous avez amassé un paquet de fric en proposant des tas de DLC payants. Ajoutez-lui une version 1080p, un mode de jeu plébiscité que vous avez omis de la version précédente (bataille de ballons) et ajoutez une pincée de Double Dash en permettant aux joueurs d’avoir deux items. Vous avez Mario Kart 8 Deluxe. Il s’agit de Mario Kart 8. Deluxe.
Le jeu est excellent, fun, beau, ardu à prendre en main, rageant quand on se fait dégommer à quelques centimètres de la fin, bref, c’est un Mario Kart. Qu’importe le titre, vous pourrez y passer des centaines d’heures. Les ajouts de la version Switch sont anecdotiques (franchement, pour remarquer le « 1080p » sur un titre de ce genre, il faut vraiment forcer).
Cela nous a pourtant permis de tester les Joy-Con dans leur configuration manette et, comme prévu, ce n’est absolument pas agréable. Tenu à deux mains, le Joy-Con est tout petit. Les boutons tombent sous les doigts mais les gâchettes ne sont pas bien mises et on s’y reprend à plusieurs fois pour placer des sauts au bon moment. Plus embêtant : on a l’impression que les finitions ne sont pas au rendez-vous, tant la gâchette de droite nous a plusieurs fois fait faux bond alors que nous essayions de lancer une carapace. Il faut appliquer une pression forte et bien centrée pour déclencher le tir… gageons qu’on prendra l’habitude à force de jouer.
Fun ? Bien entendu, c’est Mario Kart, l’essence même du fun. Avait-on besoin d’une nouvelle console pour ça ? Pas sûr.
Bomberman, Just Dance, Fast RMX, Street Fighter II, Sonic…
Derrière les gros titres, Nintendo avait aligné quelques Switch pour présenter ses « autres » jeux. On est ici entre le rétrogaming qui joue sur la nostalgie (Super Bomberman) et les party games tiers (Just Dance 2017). Tous ces titres sont finalement de grands classiques de l’offre console. On les retrouve sur Switch avec plaisir, notamment ceux qui ne reposent pas sur leurs graphismes pour plaire. Super Bomberman est par exemple aussi rapide et jouissif que la version 2D de la SNES, reprenant des mécaniques de gameplay bien connues et en ajoutant quelques petites subtilités. On s’amuse comme il y a 20 ans, pas plus, pas moins.
Et c’est un peu le cas de tous ces oldies : ils sont là pour faire retrouver des sensations de fun aux joueurs qui ont grandi, suffisamment modernisées pour que les nouveaux joueurs prennent aussi leur pied. Le cocktail réussit et c’est aussi l’occasion de voir à quel point la manette Pro, vendue séparément, est confortable. Mais encore une fois, les jeux ne seront pas donnés. On évoque par exemple 40 € pour Street Fighter II… la nostalgie a ses limites.
Le seul titre que nous n’avons pas eu la chance de tester, c’est Splatoon 2. Le jeu a l’air aussi drôle et prenant que le premier et Nintendo a mis l’accent sur le côté multijoueur en local : apportez votre Switch chez des potes, et c’est parti pour 2 heures et 30 minutes de fun sur batterie !
Conclusion
Cela ne vous aidera pas beaucoup, et nous nous en excusons d’emblée, mais cette première prise en main ne nous a pas beaucoup avancés pour nous faire un avis sur la Switch. Et pourtant, nous sommes trois à avoir joué à la console pendant un peu moins de deux heures, sans trop savoir qu’en penser au sortir de la présentation. Tous les défauts de la console qui transparaissaient sur le papier se retrouvent en pratique. Toutes les qualités aussi. La console est, dans le plus pur style Nintendo, un mélange de nostalgie, de concepts débilo-rigolos et de fun entre amis.
Pour autant, elle souffre beaucoup en 2017, de l’évolution technologique et tarifaire du marché. Voir un Zelda aussi pauvre techniquement, cela fait plus mal que jouer à un party game dans lequel la console vous demande expressément de ne pas regarder l’écran. Et allez-vous vraiment jouer à Skyrim sur Switch ? Ou à Rayman Legends ? Ou à Minecraft ? Ce sont d’excellents jeux, certes, mais en plus de dater, ils ont été portés sur des tas de plateformes avant elle.
Sortirez-vous avec une Switch qui a l’air fragile et lourde, en plus d’avoir une autonomie rachitique ? Pas sûr, pas sûr. Comme la Wii U, on a l’impression que la console sera achetée pour jouer quelques soirées aux party games, aux exclusivités Nintendo pour les fans et qu’elle finira rangée à prendre la poussière, avec tous ses accessoires. Et au rêve de l’hybridité parfaite succèdera, encore et toujours, plusieurs appareils qui auront réussi à devenir maîtres dans leur domaine — un PC de jeu, une console de salon, un smartphone ou une console portable…
On espère se tromper — rendez-vous à l’heure du test pour un verdict plus complet.
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