Major est une sublime créature, une femme cybernétique parfaite. Humaine augmentée — ou réduite à un entrelacs de circuits imprimés — Major n’est pas seulement belle, elle est au-delà de l’humanité. Cyborg sulfureuse dont l’audace et la pugnacité n’ont d’égal que ses troubles intérieurs, notre héroïne ne tardera pas à éprouver les limites de sa condition bâtarde. Ainsi commence le conte, désormais culte et bientôt trentenaire, écrit en feuilleton par Shirow Masamune au début des années 1990.
Bousculé par les polémiques, par des fans exigeants, voire dogmatiques, Ghost in the Shell n’a connu aucun état de grâce dans la presse occidentale. Les otakus hurlaient au crime de lèse-majesté et les critiques s’inquiétaient de voir, de nouveau, Hollywood s’approprier une œuvre en lui retirant sa couleur, son style et ses origines. Alors pour aborder de la meilleure des manières le long métrage que vous retrouverez en salles le 29 mars, nous avons choisi de procéder à une lecture presque naïve de l’œuvre.
Un monde clos qui accueille une fiction unique
Par naïveté nous entendons en fait une volonté de nous affranchir de toutes les lectures qui parasiteraient la découverte d’une œuvre autonome qui repose sur ses propres fondements et ne dépend ni du manga, ni de l’animé.
Car c’est peut-être la première des réussites de ce Ghost in the Shell 2017 : il ne requiert que peu de bagage culturel pour en saisir les enjeux. Et à ce titre, en tant que live action, ce film vient compléter la déjà très prolifique franchise sans s’y placer comme un complément, mais bien comme une interprétation, une subjectivité supplémentaire apportée au projet littéraire de Masamune.
En est-il une retranscription fidèle ? Assurément pas, malgré pléthore de scènes marquantes : les sauts dans le vide, la confrontation avec le criminel au souvenir trafiqué, ou encore l’ouverture in media res avec l’attaque des robots geisha. Mais au-delà de ces références que reconnaîtront les lecteurs, le film de Rupert Sanders est unique et se suffit à lui-même.
En premier lieu grâce à un univers visuel bluffant par ses détails et son inventivité permanente qui en fait un véritable ballet visuel qui dépasse même les productions les plus sophistiquées de ces derniers mois (Star Trek et Docteur Strange qui étaient pourtant déjà somptueux).
En cela, Sanders et son producteur, Avi Arad, ont accompli une performance cinématographique inattendue, qui parvient toujours à surprendre nos rétines émerveillées par un univers total et complet. À la manière d’un Cameron et Avatar ou même de Lucas et Star Wars, le live action de Ghost in the Shell possède son monde clos dans lequel tous les fantasmes cyberpunk prennent vie sans que nous ne nous offusquions de voir les règles de la physique, des mathématiques et de l’informatique être amplement distordues au profit de la fiction.
Le Tokyo fictif qui sert de décor est un objet cinématographique fascinant
Rien que la ville, le Tokyo fictif qui sert de décor permanent à l’aventure de Major, est un objet cinématographique fascinant : véritable labyrinthe chaotique bercé par une pollution visuelle sublimement vulgaire, fourmilière lumineuse, enfer dantesque et cauchemar d’un urbanisme post-moderne, la ville se raconte en effets visuels. Il y a déjà dans cette représentation une critique latente, cynique, d’un futur indésirable, peuplé de mirages et où la cité en tant que lieu de vie est dévorée par un capitalisme mortifère.
Guillaume Rocheron, le Français qui supervise les effets visuels, est passé par l’école Snyder avec qui il a travaillé sur les franchises DC, il tire de ces expériences une audace évidente, un goût pour les détails spectaculaires, les ralentis que l’on enrichit numériquement de mouvements et de beautés — et pour les mondes parallèles qui n’ont, de fait, pas de leçon de vraisemblance à recevoir. La manufacture souffre de peu de défaut si l’on accepte, comme nous y invite le film, à oublier ce que nous savons de l’avenir pour y installer nos plus sombres fantasmes.
Les prouesses de l’image sont accompagnées d’une photographie également surréaliste, la palette mêle des bleus électriques à des gris profonds, de nombreux effets de lentilles et quelques notes fluos, très 80’s, pour parfaire l’interprétation forcément modernisée des codes cyperpunk de la fin du siècle dernier. Toujours dans la veine esthétique, soulignons des beaux effets sonores et une bande originale tout à fait convaincante.
Entre paradoxe et moral, un scénario en demi teinte
Mais au-delà du spectacle, que reste-t-il du conte moral sur le progrès que livrait Masamune dans ses premiers dessins ? Déjà, sans vouloir spoiler outre-mesure, il faut bien voir que le film est une réécriture qui fractionne le développement du propos en deux temps très distincts.
La seule ligne directrice qui permet au long métrage de garder du souffle et de ne pas se montrer trop lent — il l’est malgré tout — est l’adaptation d’un style très polar dans l’écriture. Major est lancée dans une investigation qui la mènera, comme souvent dans le thriller, à débusquer non seulement le criminel, mais aussi la part d’inconnu qu’il y a en chacun de nous. Or c’est ainsi que se construit l’arc de Ghost in the Shell : nous trouvons d’abord un objet parfait, attirant les convoitise et l’admiration qui peu à peu semble se fragmenter sous nos yeux.
À la manière de Westworld, ce sont les souvenirs conservés dans la mémoire du ghost (l’âme) du Major qui viendront détruire l’objet technologique de pointe qu’est la cyborg. Tout est dit lorsque les souvenirs qui apparaissent inopinément à l’héroïne sont appelés glitches, bugs visuels, par le Dr. Ouelet (Juliette Binoche).
Ainsi se déroule avec retenue — car le film n’est absolument pas aussi bavard que pouvait l’être le manga — les différents paradoxes qu’aborde GitS : la dichotomie entre réalité et virtualité, entre l’être et l’essence, et enfin, entre l’identité et le présent.
Côté casting, Scarlett Johansson offre une prestation qui tient à elle seule le film qui pêche parfois par manque de profondeur dans ses personnages. Aussi sensible qu’inaccessible, l’actrice campe toute l’ambiguïté de son personnage dans un sorte de double facette : d’un côté un regard perçant, très expressif, par lequel toute l’humanité du personnage ruisselle, et de l’autre, une machine froide, distante, aveugle aux émotions humaines qui se matérialise par la rigueur et l’inexpressivité du visage de Johansson.
Par ailleurs, le duo Binoche – Johansson s’avère étonnamment très crédible ; d’un coté le docteur qui materne sa créature, de l’autre la créature qui éprouve sa singularité et sa solitude à chaque instant malgré l’admiration qu’elle reçoit de ses créateurs.
Là où le scénario fonctionne moins bien, c’est lorsqu’il se montre trop ambitieux et souhaite intégrer de trop nombreux arcs narratifs qui ne sont pas toujours menés à bien. Ainsi, l’aspect politique de l’univers est abordé à de multiples reprises sans être tranché — de la même manière, certains aspects nécessaires à une compréhension complète du fonctionnement de ce monde fictif manquent.
Et parfois, il nous faudrait plus que ce que le film donne pour comprendre les enjeux moraux et scientifiques abordés, sans ces clefs de compréhension, le monde imaginaire et fascinant de ce Ghost in the Shell sonne creux et perd de sa légitimité pour s’affirmer en tant que divertissement grand public spectaculaire et moral.
Enfin, si nous nous sommes enthousiasmés des différents effets visuels et de la direction artistique, l’overdose est parfois proche, notamment dans les scènes de combats, dont les ralentis finissent par lasser, à la manière d’un Snyder justement lorsqu’il force trop sur ses délires visuels.
Toutefois, en conclusion, nous devons admettre que le live action est loin d’être le massacre tant promis. C’est en réalité une bonne introduction pour une franchise qui, nous le parions, aura une suite et pourrait se révéler aussi fouillée qu’un MCU si Hollywood le veut bien.
Le verdict
Ghost in the Shell
On a aimé
- Scarlett Johansson au top
- Prouesse visuelle
- La philosophie du manga subtilement amenée
On a moins aimé
- La caméra qui préfère les SFX aux acteurs
- Les trous dans l'intrigue
- La fatigue visuelle "Snyder ©" n'est jamais loin
Équilibré, inventif visuellement et plutôt bien mené, Ghost in the Shell n'est pas le naufrage annoncé. Il est au contraire un blockbuster singulier, qui risque de marquer ce début d'année 2017 par ses codes esthétiques très tranchés et son mélange des genres assumé entre sci-fi, polar et film psychologique.
Toutefois, il n'est pas non plus le blockbuster de l'année. Son rythme est souvent mal géré ce qui donne au film une lenteur alors qu'il est relativement court -- une impression qui est certainement due à des développements laborieux dans l'intrigue. Mais cela est loin de nous gâcher le plaisir.
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