Il faut s’aventurer dans une petite zone d’activité en périphérie de Paris pour trouver les locaux de Qobuz. Quelques rangées d’ordinateurs, des salles de réunions, du matos Hi-Fi, quelques disques qui traînent : nous pourrions nous croire chez un jeune label. Alors qu’ici, personne ne produit de la musique ; Qobuz la distribue. Depuis plus d’une décennie déjà.
Au départ, il s’agissait de se jeter dans le grand bain du numérique avant que les iTunes et Spotify n’assèchent le vivier de jeunes pousses prometteuses qui s’imaginaient disquaires de demain. Parmi ceux-là, un restera debout et perdurera : Qobuz.
La boutique ouverte en 2007 est pionnière dans le streaming aux côtés de Deezer et Spotify : ce nouveau mode de consommation auquel les majors ne croient pas trop va alors exploser, en moins d’une décennie. Porté par des mélomanes, notre Français marque rapidement sa différence : jazz, savante, world, la musique qu’on y trouve semble axée vers les oreilles sensibles. En outre, le site propose un format encore rare dans le nouvel écosystème numérique : du sans perte.
Néanmoins, le marché n’est pas tendre avec les mélomanes : les machines à algorithmes et à exclusivités serrent la sangle autour des petits. Progressivement, le streaming se polarise autour des grands. Qobuz vacille, mais ne tombe pas. La reprise sera amorcée dès 2015 et des fonds nouveaux permettent au Français d’engager un nouveau mouvement.
Survivre et durer
De 2016 à 2017, les tarifs sont revus, les applications le sont également, et la communication tente de sortir de sa niche. Preuve en est : la plateforme qui pratique des prix premium s’ouvre à un abonnement à moins de 10 € par mois, sans la haute fidélité, mais avec l’attention permanente que la marque porte à la musique.
À la fin de l’été, les nouvelles applications sont là, le Qobuz connect pour associer Chromecast et autres API devenues populaires également. On nous souffle que Qobuz pour Google Home arrive : désormais, le petit ne veut plus la jouer timide sur le plan technologique. Et c’est peut-être ce qui manquait le plus aux mélomanes nouvelle génération sur Qobuz : une plateforme à laquelle on confie nos mobiles et nos casques, sans craindre un bug ou une interruption musicale. À titre personnel, pour avoir connu l’avant et l’après, les progrès sont indéniables et approchent maintenant l’expérience d’un Spotify.
Mais la ressemblance avec le leader ne fait pas le produit, sinon la tentation de l’original serait trop grande. Xavier et Malcom, respectivement de la communication et du marketing, que nous avons rencontrés, préfèrent insister sur la curiosité et un savoir à partager. « En termes d’acquisition, nous jouons désormais à jeu égal avec 40 millions de titres, notre défi est de mettre en lumière notre catalogue comme d’autres ne le font pas », détaillent-ils. Malcolm ne mâche pas ses mots et rapidement, on entend le mélomane : « le streaming n’est pas synonyme d’appauvrissement culturel généralisé ».
« le streaming n’est pas synonyme d’appauvrissement culturel généralisé »
L’ennemi ici, c’est la musique devenu fond sonore, l’art devenu ameublement, et le nivellement par le bas des charts : « Nous aussi nous avons en catalogue le dernier Ed Sheeran, mais ce n’est pas ce que nous proposons de découvrir à nos abonnés. » Le message est passé.
Se réclamer d’une musique pure et amoureuse n’est toutefois pas une mince affaire, il faut ensuite régaler des oreilles de mélomanes pointues, aux besoins souvent bien différents du commun des mortels.
Haute résolution musicale
Pour cela, la plateforme a une formule technique connue et appréciée : la qualité sonore — diffusion en FLAC 16 et 24 bits, titres Hi-Res en nombre et, dans le pire des cas, qualité CD. Toutes les formules ne donnent pas accès au même débit, mais la compression à tout prix n’est jamais le maître mot. Même à 10 € par mois, la compression avec pertes (320 kbps) est très satisfaisante. Et lorsque l’on parle de simple respect des enregistrements, nous n’entrons même pas dans le débat sur la perceptibilité de la haute résolution, seulement de la fidélité à l’œuvre — loin d’être garantie par tous.
En outre, et c’est peut-être la différence Qobuz la plus lisible par tous, dans les locaux que nous visitions, on trouve de nombreux postes où tous les jours, des mains humaines viennent ajuster, trier et classer les métadonnées. Ces informations transmises par les labels avec les enregistrements qui — si vous faites un peu attention — sont plus ou moins bien traités chez la concurrence. Ici, avant d’atterrir dans le catalogue, chaque album passe par une cellule d’enrichissement, et souvent, de correction de ces informations indispensables aux mélomanes, notamment dans la musique savante.
Pour se convaincre de l’utilité d’une telle pratique, il suffit d’aller sur une grande plateforme et y découvrir des albums dont l’artiste serait Wagner ou même Chopin, alors qu’il faudrait trouver les interprètes.
Enfin, cerise sur le disque : les livrets des albums sont quasiment toujours associés aux albums et le service se fend, sur une large gamme d’albums, de critiques brèves, mais éclairantes, que l’on lit avec gourmandise lorsqu’elles parlent orchestration, mastering, contexte et histoire.
Sur les 50 employés que compte la startup, 20 sont assignés à la rédaction d’une grosse production éditoriale qui va des critiques, à des articles touffus en passant par des playlists qui n’ont rien à voir avec les moods (humeurs) de Spotify façon « matin feignasse » ou encore « apéro glandeur ». Ici, on trouve plutôt : « Fela Kuti, pape de l’afrobeat » ou « la scène jazz nordique ». Et dans un monde de plus en plus dominé par l’insipide, la musique d’ambiance et les algorithmes qui dégueulent des sons jamais offensifs, jamais troublants, la culture et l’histoire que partagent les passionnés de Qobuz ressemblent à un bol d’air.
À ce sujet, nous sommes obligés de reprendre les mots de Sophian Fanen (Les Jours, La Fête du Stream) : «Sur Spotify, comme sur Deezer ou Apple Music, tout n’est plus que volupté ensoleillée, cocktail de fin d’après-midi, voiture décapotable sur les petites routes et rigolade entre amis très jolis. Cette ambiance aseptisée qui donne l’impression de passer sa journée dans la banque d’images de Fotolia, c’est le doux monde de la playlist de mood, ou d’ambiance. »
Tout ne serait donc que culture, snobisme mâtiné d’intelligence et bon goût sur Qobuz ? Non, l’eldorado musical n’existe pas. D’autant que le système du streaming reste peu rémunérateur — chez le Français aussi. Néanmoins, la méthode Qobuz a fait ses preuves dans l’industrie : l’Average Revenue Per User (ARPU) moyen des clients est d’environ 400 € par an, contre 120 € maximum chez Spotify et les autres.
En effet, la majorité des utilisateurs a opté pour la formule sublime à 349 € par an, sur laquelle les abonnés ont droit à des prix cassés sur l’achat numérique de disque Hi-Res. Et le client mélomane connaît généralement son budget musique : les dépenses suivent.
Pour conclure, parlons d’ailleurs de ce client, très singulier dans le monde du streaming dominé par les moins de 35 ans et les millennials. Chez Qobuz, la moyenne d’âge est de 40 ans, on écoute à 18 % du jazz et on possède du matériel Hi-Fi coûteux.
Anecdote : sur la plateforme il existe un classement des albums les plus écoutés. Le top trois, à l’écriture de ces lignes, est le suivant : l’ébouriffant Handel Goes Wild de la harpiste autrichienne Christina Pluhar qui croise le baroque et le jazz, suivi de la réédition exceptionnelle des sessions Hitchhiker de Neil Young, et pour conclure, le Sleep Well Beast des National, rock indé taillé pour les larmes automnales.
Oui, Qobuz, c’est un autre monde.
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