Une figure longtemps ignorée de l’astronomie moderne, qui a pourtant permis grâce à ses travaux de faire la lumière sur la matière noire. Voilà qui était Vera Rubin. Une astronome de l’ombre qui aurait dû obtenir beaucoup plus tôt la reconnaissance de ses pairs mais qui a dû batailler tout au long de sa carrière pour défendre ses idées et prouver l’existence d’un mystérieux phénomène sur les galaxies.
Née à Philadelphie le 23 juillet 1928, Vera Rubin s’est finalement éteinte 88 ans plus tard le 25 décembre avec la satisfaction d’avoir contribué de manière significative à l’avancée des connaissances sur la manière dont fonctionnent ces vastes formations stellaires. C’est pour son apport que le président des États-Unis lui remettra en 1993 la médaille nationale des sciences.
Bien que ses recherches en astronomie lui ont permis au fil des années de décrocher diverses distinctions et de rejoindre toutes sortes d’institutions, comme l’académie nationale des sciences, Vera Rubin n’obtiendra pas la récompense ultime, à savoir le prix Nobel de physique. Mais qu’importe. L’essentiel est ailleurs : ses travaux ont pavé la voie à la communauté scientifique qui lui a succédé.
Ce n’était pourtant pas gagné et elle aurait eu mille fois l’opportunité d’abandonner. « Le travail initial de Rubin n’a pas été facilement accepté par ses collègues sur le terrain — sa thèse de doctorat a été ignorée et sa thèse de maîtrise, qu’elle a revisitée en tant que chercheuse à l’institut Carnegie , était largement controversée », rappelle la fondation nationale pour la science.
Un travail contesté
Avant de s’attaquer à la matière noire elle-même, Vera Rubin s’est d’abord penchée sur le mouvement des galaxies. Elle a notamment remarqué qu’à la marge de l’éloignement global induit par l’expansion de l’univers, un phénomène repéré dans les années 1920 par l’astronome américain Edwin Hubble, les galaxies ont des comportements particuliers inexpliqués.
Ses constatations d’alors ont été accueillies avec beaucoup de méfiance de la part de ses collègues. Malgré un environnement manifestement hostile, elle continuera dans cette direction, notamment en binôme avec l’astronome américain Kent Ford, avec qui elle s’intéressera à la rotation de la galaxie d’Andromède et tout particulièrement à la trajectoire des étoiles et du gaz.
« Vera Rubin et Kent Ford ont rapporté que la rotation d’Andromède était anormale. Sa périphérie tournait si vite qu’elle aurait dû se disperser, si la seule masse qui la maintenait en un tout était la matière qui était accessible aux télescopes », résume Lawrence M. Krauss, enseignant à l’université d’État de l’Arizona. Autrement dit, il y a a priori autre chose qui entre en ligne de compte.
Leurs observations continueront d’être vivement discutées dans la communauté scientifique avant que celle-ci ne finisse par admettre progressivement qu’il y a bien un problème avec la courbe de rotation des galaxies. Alors que leur vélocité est censée décroître avec la distance, celle-ci se maintient au même niveau que l’on se trouve en son centre ou en bordure.
Bref, les étoiles situées en périphérie tournent beaucoup trop vite. Les mesures qu’elle fait sur les premières galaxies sont répétées ailleurs avec à chaque fois le même constat : il y a un effet gravitationnel sur les astres que les astronomes ne voient pas. Celui-ci est caché et on ne le perçoit qu’indirectement, en mesurant ses conséquences sur le mouvement des étoiles et sur la rotation des galaxies.
Ces observations « ont fourni des preuves irréfutables de l’existence de la matière noire, proposée pour la première fois par Fritz Zwicky en 1933, mais rejetée par la plupart des scientifiques jusqu’à ce que Rubin et Ford révèlent leurs résultats (qui sont maintenant connus sous le nom d’effet Rubin-Ford) », ajoute la fondation nationale pour la science.
Le rapport entre matière visible et matière noire est d’un à dix dans les galaxies spirales
L’existence de cette masse cachée est aujourd’hui communément admise au sein de la communauté scientifique mais sa nature reste encore un mystère impénétrable. Au niveau de l’Univers, la matière noire représente 24 % de la densité d’énergie détectée par le satellite Planck. La matière classique ne constitue que 4,6 % de ce total. Le reste (71,4 %) est regroupé dans ce qu’on appelle l’énergie sombre.
Vera Rubin ne connaîtra jamais le secret de cette matière noire, qu’elle a contribué à mettre en évidence il y a une quarantaine d’années. Mais ces travaux sont aujourd’hui à la base de nombreuses autres recherches pour parvenir à comprendre la nature de ce contenu encore hypothétique. Et qui sait : peut-être y a-t-il en ce moment dans les laboratoires une autre « Vera Rubin » qui avance à grands pas sur ce problème.
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