L’Horloge de la fin du monde fait partie de ces créations scientifiques que l’humanité souhaite parfois gentiment oublier. Son tic-toc est des plus discrets, moins bruyant que celui de nos montres automatiques, et la doomsday clock ne change la position de ses aiguilles qu’en de rares occasions. De facto, ce n’est qu’à l’occasion des sursauts de la grande aiguille, le temps d’un soupir inquiet, que les connaisseurs s’inquiètent des mouvements de cette fameuse pièce d’horlogerie singulière qui depuis sa création en 1947 indique la proximité de l’extinction humaine selon le Bulletin des scientifiques atomistes de Chicago.
Et ce vendredi, ils s’inquiètent d’une nouvelle progression de la course de la grande aiguille. Alors que celle-ci n’avait pas bougé depuis 2015 — le sursis de l’humanité semblait se pétrifier — l’Horloge de la fin du monde a de nouveau repris sa course infernale et se rapproche désormais de ses records historiques.
Dans le petit monde des scientifiques qui font et défont l’heure de l’apocalypse, l’inquiétude du tournant que prend l’humanité est palpable et cette semaine, le Bulletin a décidé d’avancer de 30 secondes la position de son aiguille. Elle se trouve désormais à deux minutes et 30 secondes avant minuit.
Trente secondes d’angoisse
Trente secondes qui glacent les inquiets et indiffèrent les autres. C’est là une des plus vieilles règles qui entourent l’histoire de Horloge : il y a ceux qui la pensent sacrée et quasiment divine — la mystique scientifique existe bel et bien — et ceux qui ne cessent, pour diverses raisons, depuis sa création, de dénoncer un instrument vulgaire et pathétique aux mains de scientifiques orgueilleux et déprimés.
Pourtant, que l’on accorde à l’Horloge de la fin du monde notre confiance — reconnaître l’extinction prochaine de l’espèce est une épreuve douloureuse mais parfois salvatrice — ou notre méfiance — l’humanité s’éteindra quand les hommes en auront décidé ? — l’avancement en 2017 de sa grande aiguille est plus qu’un fantasme. L’horloge, nous disent les scientifiques atomistes, reprend sa course vers la Fin ultime — symbolisée par minuit — comme elle l’avait fait aux moments les plus intenses de la guerre froide.
Ironie de l’Histoire : lorsque l’on interroge les singuliers horlogers atomistes sur la raison de la soustraction de 30 secondes à l’espérance de vie de l’humanité, ils invoquent, à l’image de leurs prédécesseurs des années 1940, deux nations qui hantent l’intime histoire de la doomsday clock depuis son lancement : la Russie et les États-Unis.
Car en indiquant désormais, et très précisément, vingt-trois heures cinquante sept et trente secondes, en 2017, l’Horloge de la fin du monde s’approche de son record historique. Il s’agissait d’un temps porté à vingt-trois heures cinquante huit, en 1953, lorsqu’à neuf mois d’intervalles l’URSS et les États-Unis testaient des armes thermonucléaires. Vous l’aurez compris, l’Horloge qui fut longtemps le cri d’alarme des scientifiques face aux menaces portées par la Guerre Froide, est redevenue alarmiste, 27 années après la chute du mur de Berlin.
Cette Horloge semble rechapée d’un mauvais film catastrophe. Et pourtant, la création de celle-ci précède les innombrables références culturelles qui évoquent la maudite aiguille des minutes. La plus connue reste celle de Watchmen, le comic qui fait de l’Horloge une véritable obsession de Dr Manhattan, arme nucléaire de la Guerre Froide fantasmée par Alan Moore et Dave Gibbons. Et en effet, dans la fiction comme dans l’Histoire, la doomsday clock est intimement liée aux chocs des blocs et à l’extrême tension qui rythme la guerre froide alors que le risque d’une guerre nucléaire destructrice pour l’humanité n’avait jamais été aussi tangible que lorsque l’URSS et les États-Unis déchiraient le monde en deux.
Et bien que l’exercice de divination de l’extinction peu apparaître comme peu scientifique, voire comme le fruit d’un folklore sinistre, si l’on reprend le cours des aiguilles depuis leur création en 1947, on suit, tic après toc, les battements de l’Histoire avec une précision glaçante. « Nous ne sommes toujours pas morts ! » clameront les optimistes, « Il s’en est fallu de peu ! » répliqueront les lucides.
Brève histoire de l’Histoire
1949 — 23h57
Seulement deux années après la création de l’Horloge par le Bulletin, les scientifiques atomistes enlèvent à l’humanité plus de 4 minutes d’espérance de vie. La raison est alors les premiers essais nucléaires soviétiques qui laissent planer sur le monde les premières inquiétudes d’une Guerre Froide qui mènera l’humanité à sa propre fin.
1953 — 23h58
Le bulletin enlève à nouveau une minute à l’humanité. Il ne reste donc que deux minutes avant que la course à l’armement nucléaire ne tire un trait définitif sur notre monde. La même année, les gouvernements soviétiques et américains jouent également contre le temps pour faire leurs preuves dans l’armement thermonucléaire. Jamais l’Horloge n’avait laissé aussi peu de temps à l’Humanité que cette année là.
1960 — 23h53
Bien que le conflit qui oppose les deux blocs ne se calme qu’en surface, les scientifiques de Chicago acceptent de redonner un peu de leste à l’espèce humaine. La conscience citoyenne concernant le danger des armes nucléaires semble ouvrir un nouvel espoir pour un désarmement.
1963 — 23h48
À nouveau, le Bulletin se veut rassurant en pleine guerre froide. Les États-Unis et l’URSS viennent alors de signer le Traité d’interdiction partielle des essais nucléaires.
1984 — 23h57
Le monde est toujours déchiré par la Guerre Froide qui s’est trouvée de nouveaux champs de batailles, et qui fractione plus que jamais l’Asie du Sud et le Proche Orient. Ronald Reagan accède au pouvoir et relance la course à l’armement nucléaire, l’Horloge recommence à inquiéter.
1990 — 23h50
La chute du mur de Berlin est un message clair pour le monde : l’Union soviétique est au bord de l’implosion. La Guerre Froide vit ses dernières heures. Certains pensent même que nous nous approchons d’un nouvel ordre mondial fait de paix, de prospérité et de libéralisme.
1991 — 23h43
Le monde reprend son souffle, les espoirs qui suivent la dislocation de l’URSS et les stratégie de réduction des armes donnent à l’humanité plus de dix-sept minutes avant l’apocalypse. C’est toujours un record, la meilleure année depuis la création de l’horloge.
2007 — 23h55
La fin de l’histoire est déjà remise en question par la brutalité des nouveaux conflits qui fragmentent le monde et conduisent de nouveaux gouvernements à se réarmer. En Iran, on ne se cache plus de chercher à contrôler le feu nucléaire, et en Corée du Nord, on expérimente également des armes nucléaires. De plus, la Russie et les États-Unis n’ont toujours pas réussi à se délester de leurs 26 000 têtes nucléaires malgré les efforts de la diplomatie internationale. Enfin, pour la première fois dans l’histoire de l’Horloge, les scientifiques atomistes ajoutent aux dangers de l’armement nucléaire, l’autre compte à rebours de l’humanité : le réchauffement climatique.
2015 — 23h57
Alors même que la Guerre Froide est un brumeux souvenir, l’Horloge pointe à nouveau les cinquante-sept minutes qui n’avaient jamais été atteintes depuis 1984. La rénovation de l’arsenal américain et russe sape les accords de désarmement et l’année 2015 a été la plus chaude jamais enregistrée. Les scientifiques jugent les gouvernements incapables de traiter efficacement la question climatique, toujours plus préoccupante.
2017 — 23h57 et 30 secondes
L’horloge n’a que rarement été aussi précise qu’aujourd’hui. Prudents et inquiets, les scientifiques n’osent pas pointer 23h58, le record maudit de 1953, mais soulignent que rarement l’humanité n’a été exposée à autant de risques. D’un côté, l’armement nucléaire est toujours prêt à détruire le monde, et de l’autre, la nature elle-même se détraque sous les effets des activités humaines. Et face à cela, le Bulletin note une inquiétante torpeur politique des gouvernements : « Les autorités avisées doivent agir immédiatement et éloigner l’humanité du précipice. Si elles ne le font, les citoyens judicieux doivent avancer et choisir un autre chemin. »
Tic toc
Ces autorités avisées, dans la bouche des scientifiques, sont nos gouvernements, de Trump à l’ONU en passant par Poutine. Et les citoyens judicieux, c’est vous, c’est nous. Lequel des deux camps éloignera l’humanité du précipice vers lequel elle se dirige ? Il s’agira peu probablement des dirigeants du monde qui suivent des politiques contraires à la survie de l’humanité, que ce soit concernant l’environnement ou l’armement nucléaire. Quant aux citoyens, que le Bulletin exhorte au réveil, l’Horloge semble leur laisser le bénéfice du doute. Mais notre temps est compté.
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