Raja Koduri est vice-président senior et architecte en chef du groupe qui s’occupe, chez AMD, des produits Radeon. Ancien ingénieur pour Apple, il travaille depuis plus de 20 ans dans l’informatique et notamment sur les composants graphiques et autres unités de calculs GPU.
L’intelligence artificielle a beaucoup fait parler d’elle ces derniers temps. Oui, mais voilà, la plupart des exemples présentant ses avantages supposés ne sont bien souvent que des démonstrations ésotériques allant de la parfaite maîtrise des échecs à la recherche de vidéos de chats sur Internet. Si ces développements participent incontestablement à ouvrir la voie à d’autres avancées significatives, ils suscitent l’interrogation des observateurs tant sur leurs avantages concrets que sur ce que peut bien nous réserver l’ère de l’intelligence de la machine.
Nous nous approchons pourtant du moment charnière où les progrès de l’intelligence de la machine ne se limiteront plus à ces quelques exemples et deviendront de véritables percées capables de changer la donne et de résoudre des problèmes jusqu’alors sans solution.
Il n’y a pas de secteur où cela sera plus concret que dans le monde médical.
Nous nous approchons du moment charnière où les progrès de l’intelligence de la machine permettront de résoudre des problèmes sans solution
La machine qui s’occupait de la santé des humains
De toutes les industries où la data est reine, la santé est assurément celle qui en est le plus riche. La conservation des résultats est une pratique à part entière, et ce standard est devenu infiniment plus accessible depuis que les systèmes de santé du monde entier ont basculé vers des dossiers électroniques. Les différentes techniques d’imagerie médicale, comme la radiographie, les scanners et les IRM, profitent toutes d’un stockage numérique.
Et si ces efforts ont initialement été entrepris pour réduire les coûts, améliorer l’efficacité ou encore faciliter les soins prodigués aux patients, ils se révèlent, à l’heure de l’intelligence de la machine, être une fabuleuse source de données pouvant être analysée. De cette source découleront de nouvelles recherches, avec de nouvelles trames, qui dépasseront de loin les capacités de l’être humain.
Cela étant, les données médicales seules ne suffisent pas à créer des avancées majeures. En fait, elles résident déjà pour bonne partie sous une forme numérique depuis des années. Cependant, les algorithmes utilisés jusqu’alors pour les analyser ne s’exécutaient pas assez rapidement pour proposer des informations décisives en temps voulu. Cette situation évolue actuellement grâce à l’utilisation inattendue des technologies graphiques.
Les GPU (Graphics Processing Units) ont traditionnellement été utilisés pour des tâches de rendu graphique ou vidéo. Ils sont au cœur de nombreux affichages, des écrans TV aux expériences de jeux immersives. L’industrie médicale s’attelle maintenant à exploiter leur puissance dans des applications d’intelligence de la machine.
Les récentes avancées en termes de technologie GPU ont contribué à rendre le traitement parallèle de données rapide, peu cher, et puissant. Associée à des plates-formes logicielles open source en constante progression, la performance de calcul peut enfin soutenir la demande des très exigeants algorithmes d’intelligence machine. La capacité à déchiffrer d’incroyables quantités de données aura un impact profond sur notre santé, sur les systèmes de santé, mais aussi sur la prévention et le traitement des maladies.
Prévoir plutôt que guérir
Les plates-formes d’intelligence de la machine commencent tout juste à prouver leur valeur en matière d’amélioration de la médecine préventive et ainsi contribuent à stopper les maladies avant qu’elles ne se déclarent — un élément primordial pour toute stratégie de santé. Aux États-Unis, 7 décès sur 10 sont causés, chaque année, par des maladies chroniques (comme le cancer ou les maladies cardiaques), et pratiquement un adulte sur deux souffre d’au moins une maladie chronique, la plupart pouvant être prévenues.
L’équipe a appris au réseau de neurones à identifier et différencier deux types de lésions de la peau
Les chercheurs ont récemment créé un algorithme de diagnostic par intelligence artificielle en programmant un GPU pour fonctionner comme un réseau de neurones. En appliquant de l’apprentissage profond ou « Deep Learning » sur le GPU, l’équipe a appris au réseau de neurones à identifier et différencier deux types de lésions de la peau : bénigne et maligne. Les résultats de l’étude ont démontré que l’algorithme est aussi fiable qu’un dermatologue pour détecter un cancer de la peau.
À ceci près que l’algorithme a le potentiel de proposer des diagnostics très rapidement pour un coût réduit. Avec près de 5,4 millions de nouveaux cas de cancer de la peau déclarés chaque année aux États-Unis, une détection la plus précoce peut avoir des impacts considérables sur le pronostic des patients atteints.
L’intelligence de la machine commence également à être utilisée pour prédire la santé future des individus et des populations par l’analyse des données cliniques et non cliniques afin d’identifier des patients à haut risque avant qu’un désastre ne se déclare. Une adoption plus rapide de ces technologies pourrait conduire à des issues plus favorables pour les patients tout en réduisant le gaspillage dans le système de santé et en répondant aux problématiques de surmédication et de multiples consultations.
Avec une généralisation de ces services, il faut s’attendre à l’avenir à ce que l’apprentissage profond (« Deep Learning ») propose une précision accrue, des analyses plus rapides tout en faisant baisser le coût des soins médicaux.
Mais l’intelligence de la machine façonne également de nouvelles méthodes là où les approches traditionnelles de la recherche n’ont pas été couronnées de succès. Historiquement, le coût de développement des traitements de maladies rares est gargantuesque et souvent prohibitif.
Le nombre de patients vivant avec une maladie orpheline est faible : cela complexifie la recherche de participants pour des essais cliniques coûteux tandis que les compagnies pharmaceutiques rencontrent des difficultés pour rentrer dans leurs frais une fois qu’un nouveau médicament est mis sur le marché. L’intelligence de la machine peut réduire le temps nécessaire à la mise sur le marché d’un nouveau médicament et répondre aux problématiques de coût de la recherche médicale. Cela ne pourra que favoriser les progrès dans les cas où les compagnies pharmaceutiques doivent se contenter de perspectives financières limitées.
Au-delà du casque Dreem, Rythm s’invite dans la science fondamentale avec le projet Morpheo. Concrètement, il s’agit d’un programme de mise en commun des données anonymes sur le sommeil de plusieurs instituts et laboratoires. Grâce à la technologie blockchain, ces données restent possédées par leurs propriétaires mais elles peuvent être confrontées à des théories venues du monde entier. C’est comme si, en un clin d’œil, vous aviez à votre disposition une base de données colossale et unique à disposition pour vérifier vos hypothèses. Cette nouvelle forme de recherche collaborative s’appuie énormément sur le deep learning : l’algorithme chargé de vérifier et confronter les résultats apprend de ses succès comme de ses erreurs.
Les sociétés les plus novatrices envisagent déjà tout le potentiel de cette technologie, combinant la science biologique et l’apprentissage profond (« Deep Learning »), pour découvrir de nouveaux traitements pour les maladies génétiques rares en s’affranchissant de longues et coûteuses recherches en vue d’élaborer de nouvelles médications. Au fil du temps, les données générées par ces applications pourront aussi devenir une ressource pour des logiciels additionnels ; lesquels pourront aider à expliquer pourquoi certains médicaments fonctionnent et suggérer les pistes les plus prometteuses à explorer.
L’internationalisation de la recherche sur la santé
Ce n’est pas un hasard si les chercheurs se sont largement tournés vers des initiatives open source pour soutenir leurs découvertes tandis que la tendance actuelle conduit à des écosystèmes ouverts. En utilisant des plates-formes de données et d’imagerie gratuites et ouvertes largement disponibles sur Internet, les chercheurs peuvent collaborer à un niveau sans précédent pour le pronostic des patients via l’intelligence artificielle.
Pourquoi l’open source ? Ces plates-formes proposent un riche ensemble de fonctionnalités créé par une communauté de développeurs animés par un seul but. La portabilité logicielle entre les différents écosystèmes matériels évite un verrouillage sur un type de matériel précis tout en bénéficiant des meilleures performances. Les entreprises tout comme les organisations académiques ou gouvernementales ne devraient pas être liées à une solution reposant sur un seul fournisseur.
Les plates-formes ouvertes comme la Radeon Open Compute Platform (ROCm) sont la clé pour améliorer l’accès à des bibliothèques mathématiques. Elles proposent une riche base de langages de programmation modernes qui peuvent accélérer le développement de systèmes de calcul hétérogènes, des systèmes haute performance efficaces sur le plan énergétique. Quant aux solutions matérielles GPU orientées vers le calcul comme les accélérateurs flexibles Radeon Instinct, elles contribuent à offrir davantage de choix dans un marché qui fut un temps verrouillé par un petit nombre de fournisseurs.
Alors que notre cheminement vers l’ère de l’intelligence de la machine se poursuit, de nouveaux accélérateurs basés sur des puces graphiques combinés à des structures open source d’apprentissage profond, nous aiderons à solutionner certains des défis de santé les plus pressants. Nous ne sommes qu’au début de ce fantastique voyage, mais déjà l’intelligence de la machine nous prend à témoin de ses capacités prometteuses pour un monde en meilleure santé.
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