Depuis la publication d’une étude, dans la revue Nature du 2 novembre, détaillant la découverte scientifique d’une cavité de 30 mètres située au-dessus de la grande galerie de la pyramide de Khéops, à Gizeh, le monde de l’égyptologie est en émoi.
Si la mission ScanPyramids, composée de deux équipes japonaises — de l’université de Nagoya et du KEK, un organisme de recherche sur les hautes énergies — et de l’équipe française du CEA (Commissariat à l’énergie atomique et aux énergies alternatives), se garde bien d’avancer la moindre théorie sur ce que pourrait contenir cette cavité, elle fait malgré tout face aux critiques de certains archéologues sur la nature de sa découverte.
Sébastien Procureur, ingénieur-chercheur au CEA et co-auteur de ce travail coordonné par l’institut HIP (Heritage Innovation Preservation), revient pour Numerama sur l’observation de longue haleine menée par ScanPyramids et sur sa méthode de détection des muons, les particules élémentaires qui ont permis de mener cette étude à bien.
Comment le CEA s’est-il retrouvé impliqué dans la mission ScanPyramids ?
La mission ScanPyramids a été lancée par l’institut HIP et la faculté du Caire en octobre 2015. Initialement, il y avait plusieurs équipes de scientifiques en terme de muographie : deux équipes japonaises, de l’université de Nagoya et de Kek.
Au moment où ça a été évoqué dans la presse, nous étions en train de développer un télescope à muons. J’ai donc tout simplement contacté Mehdi Tayoubi [le co-directeur de la mission ScanPyramids et co-auteur de l’étude] en lui disant qu’on savait aussi faire ce genre de choses au CEA.
On a ensuite monté un dossier puisque dès qu’un partenaire scientifique rejoint la mission, il faut évidemment l’accord des autorités égyptiennes. Nous avons donc rejoint officiellement la mission ScanPyramids en avril 2016.
Quand avez vous découvert la cavité de 30 mètres ?
Nous l’avons vue de manière certaine en juillet 2017.
Mais deux découvertes de petites cavités avaient déjà été annoncées en octobre 2016 : l’une par l’université de Nagoya, l’autre par nous-mêmes.
Le gouvernement égyptien, qui a dû donner son accord, a-t-il financé la mission ScanPyramids ?
Non, pas du tout. Le gouvernement fournit l’accès à la pyramide, mais, ensuite, la mission tourne essentiellement sur le financement des instituts scientifiques et sur le mécénat. Ce sont Mehdi Tayoubi et le HIP qui gèrent ces parties financières.
L’intérêt, pour l’Égypte, est bien sûr de promouvoir son patrimoine historique exceptionnel. Par ailleurs, la faculté du Caire est un membre actif de cette mission, et nous avons été aidés sur place par des ingénieurs et des étudiants pour vérifier le bon fonctionnement des télescopes.
Concrètement, comment fonctionne votre détecteur de muons ?
La muographie consiste à utiliser des particules élémentaires qu’on appelle muons et qui font partie d’un rayonnement naturel. Ces particules sont produites dans la haute atmosphère par interaction avec le rayonnement cosmique.
Cette interaction entraîne de nombreuses réactions : beaucoup de particules sont produites, mais il n’y a pratiquement plus que le muon qui arrive au niveau du sol. Il a des propriétés intéressantes puisqu’il est très énergétique et très pénétrant, et peut par conséquent traverser une assez grande quantité de matière avant d’être arrêté. Ça peut aller jusqu’à quelques centaines de mètres de roche.
Quand les muons traversent de la matière, ils perdent une partie de leur énergie en interagissant avec elle. Une fois qu’ils ont perdu la totalité de leur énergie, ils sont absorbés, ils se désintègrent. Donc, quand vous mettez un détecteur de muons en contrebas de l’objet que vous souhaitez imager, le nombre de muons qu’on va observer dans une direction donnée va renseigner sur la quantité de matière qui se trouve dans cette direction.
Plus on détecte de muons, et moins l’objet est épais ou dense, et à l’inverse moins on en détecte, plus il y a de matière.
En détecter beaucoup, c’est donc forcément bon signe…
Quand on recherche une cavité, oui, mais tout dépend de l’application que vous en faites, il y en a plusieurs. Certains scientifiques étudient les volcans ou utilisent les muons pour l’exploration minière… ils ne cherchent pas forcément des trous !
Quels sont les avantages principaux de cette technologie ?
Le détecteur de muons a deux avantages majeurs. Le premier, c’est que la technique est totalement non invasive, on n’a pas besoin d’ouvrir ou de faire un trou.
Le deuxième , c’est que c’est un rayonnement naturel, donc il n’y a pas de source artificielle à amener, on installe juste le détecteur.
À quel endroit était positionné votre détecteur de muons ?
Comme les Japonais étaient arrivés en premier, ils se sont mis à l’intérieur de la pyramide, dans la chambre de la reine essentiellement. C’est plus intéressant car vous vous trouvez au plus près des structures et vous pouvez potentiellement les regarder directement par en-dessous. Quand on regarde au zénith, il y a plus de muons que lorsque vous observez en biais : l’idéal est donc de se mettre à l’intérieur.
Mais comme la place était déjà prise, on s’est installés à l’extérieur. Là, il n’y a pas énormément de contraintes en terme de positionnement car le plateau est assez grand autour, il y a de la place.
Combien de temps vous a-t-il fallu pour voir émerger les premiers éléments de votre future découverte ?
On a mené plusieurs campagnes de mesures. Mais concernant celle qui a donné lieu à la découverte, on a réinstallé les télescopes devant la face nord de la pyramide au début du mois de mai 2017. Les équipes japonaises commençaient à voir quelque chose dans cette zone-là, donc on s’est dit qu’on allait les redéployer pour essayer de sonder de l’extérieur.
C’est une manipulation assez lente car les muons sont peu nombreux. Pour vous donner une idée, si vous mettez votre main à l’horizontale, typiquement, il y a un muon par seconde qui la traverse. C’est assez faible.
Par ailleurs, comme la pyramide est assez grande, 1 muon sur 100 traverse 100 mètres de roche. […] On cherche des anomalies sur cette fraction de pourcent, donc la manipulation est assez lente, et il nous a fallu 2 mois de mesures pour voir quelque chose avec certitude.
Aviez-vous un moyen externe de confirmer la nature de vos découvertes ?
Les deux équipes japonaises installées dans la chambre de la reine ont commencé à voir quelque chose, avec des technologies et des analyses différentes. On s’est donc dit qu’on allait se mettre à l’extérieur pour réaliser une meilleure triangulation car elles n’avaient pas beaucoup de bras de leviers pour faire cette triangulation.
[Christopher Filosa, doctorant de Sébastien Procureur et membre de l’équipe ScanPyramids, précise cet élément technique : « C’est comme pour un GPS : pour localiser une position dans l’espace, il faut disposer de 3 points de vue différents. Avec seulement 2, les cônes de visée issus de ces points ont une intersection qui ne permet pas de localiser précisément ce qu l’on cherche.
Mais avec un 3e point un peu plus excentré, un peut trouver une intersection plus réduite et ainsi localiser de façon précise la position recherchée. C’est ce qui c’est passé avec les deux équipes japonaises. Elle n’avaient pas un bras de levier assez grand : grâce à notre angle de vue de l’extérieur, on a pu localiser de manière plus précise l’anomalie détectée par les trois équipes. »]
Concrètement, les 3 équipes voient la structure au même endroit, ce qui est assez rassurant. L’autre point qui valide la technique, c’est le fait d’avoir vu les autres structures de la pyramide — notamment la grande galerie –, qui existent et sont connues, donc a priori ça donne une grande confiance vis-à-vis de la méthodologie.
Comment s’est déroulée la collaboration avec les équipes japonaises ?
Une coordination était réalisée par l’institut HIP, Medhi Tayoubi et la faculté du Caire. Régulièrement, cela donnait lieu à des petites collaborations entre les différentes équipes de muographie pour voir où on en était, ce qu’on avait trouvé, les résultats…
En revanche, pour cette découverte, on a explicitement choisi de travailler de manière totalement indépendante pour éviter de s’influencer les uns les autres. À la fin, on s’est tous réunis en disant : ‘Voilà, on a quelque chose…’ On a tous vérifié et c’était effectivement au même endroit. Les analyses sont parfaitement indépendantes.
Quelle est la particularité des détecteurs de muons du CEA ?
Nous avons réussi à créer des instruments très précis, qui résistent aux conditions environnementales et c’est très important. En Égypte, on était dans les pires conditions possibles : à l’extérieur des pyramides, avec le vent, la poussière, les températures élevées — jusqu’à 45 degrés…
Ce n’est pas seulement la température qui compte mais la répétition des cycles chaud-froid qui finit par abîmer les instruments. Au final, on a tout de même travaillé pendant plus d’un an avec les différents instruments de mesure et ils ont survécu.
On imagine que ces conditions météo ont été plus difficiles pour l’équipe ?
Non, ça s’est bien passé ! De toute façon, on avait une connexion 3G des télescopes pour rapatrier les données à Saclay, au CEA, donc on ne restait pas sur place. Après, il y avait effectivement des gardes d’équipes locales d’ingénieurs et de gardiens pour assurer la maintenance.
Avez-vous eu une bonne et une mauvaise surprise sur place ?
La bonne surprise, c’est qu’on a eu accès aux 220 volts. Initialement, on avait pris des instruments pour qu’ils puissent fonctionner sur panneau solaire, donc on avait minimisé la consommation électrique — sachant qu’un télescope consomme 35 watts, comme une ampoule de basse consommation. On avait prévu d’installer ça mais comme on avait du courant, ça nous a simplifié les choses.
En revanche, même si on avait anticipé les problèmes de température — en vérifiant par exemple que les télescopes fonctionnaient bien dans des fours –, tout ce qui relevait de la poussière et des tempêtes de sable a été assez critique. Les télescopes étaient dans des tentes qui se sont envolées plusieurs fois à cause de tempêtes de sable terribles. Mais heureusement, ils ont pu fonctionner malgré tout.
Comment pouvez-vous affirmer avec certitude que la cavité de 30 mètres découverte n’est pas un simple éboulement ?
Des égyptologues ont commencé à remettre en question notre découverte, en disant qu’une pyramide était comme un fromage suisse, avec des trous partout… Mais cet argument n’est pas valable : si vous observez quelque chose qui est troué d’un petit peu partout, quand vous regardez la densité moyenne dans une direction, la densité est justement un peu plus faible dans toutes les directions.
Nous, on avait justement une sous-densité très forte et très localisée, donc il ne s’agit pas de petits trous mais bien d’un grand vide qui fait plusieurs centaines de mètres cube. Il est particulièrement intéressant parce qu’il est dans le même plan de la pyramide que les autres structures qui sont connues, comme la grande galerie, la chambre souterraine…
Donc la théorie du « swiss cheese » telle qu’elle a été formulée par les égyptologues ne tient pas.
Quelle a été justement votre réaction face aux critiques de certains égyptologues, qui remettent en question votre découverte ?
On leur répond essentiellement qu’on n’a pas trouvé de référence ou de mesure antérieure indiquant un vide à cet endroit de la pyramide. Ensuite, si c’était vraiment connu, ça paraîtrait sur les plans que les égyptologues font de la pyramide. Or, vous pouvez prendre n’importe quel plan, vous ne trouverez rien au-dessus de la grande galerie.
Nous avons été un peu surpris par cette sortie médiatique, il nous faudrait des références scientifiques pour étayer ça.
Êtes-vous étonné par l’importante couverture médiatique sur cette cavité, qui a été relayée partout dans le monde ?
On ne s’attendait clairement pas à ça, mais le sujet des pyramides, et surtout Khéops, passionne les foules pour de bonnes raisons !
Pensez-vous pouvoir bénéficier, au CEA, de cette visibilité accrue ?
En rejoignant la mission ScanPyramids, l’idée était vraiment de bénéficier d’un terrain d’expérimentation pour tester différentes technologies un peu innovantes. De ce point de vue là, ça permet de communiquer sur le savoir-faire du CEA donc c’est positif.
Des industriels viennent déjà nous voir depuis un ou deux ans et on sent qu’il y a tout un tas d’autres applications pour cette imagerie pénétrante avec une source naturelle. Certains viennent nous voir pour le contrôle d’ouvrage d’art, pour le génie civil, pour tout ce qui relève de l’exploration des sols et des sous-sols, pour la sécurité du territoire et scanner des sous-sols… Cette technique dispose vraiment un grand champ d’applications très différentes.
Connaissez-vous d’autres équipes scientifiques qui recourent aux muons ?
Les équipes japonaises travaillent avec les muons depuis de nombreuses années. Elles avaient initié ce travail dans les années 2000 pour la volcanologie, et le réacteur de Fukushima a aussi été imagé après la catastrophe. Les Japonais sont assez actifs sur cette technique-là.
En France, on trouve d’autres personnes qui travaillent avec les muons. Au CNRS, une équipe lyonnaise étudie la volcanologie, mais vous avez aussi des Italiens, des Anglais, des Américains assez actifs avec les muons, sur tout ce qui relève de la sécurité du territoire notamment.
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