«On a merdé ». L’expression a le mérite de l’honnêteté et de la clarté. Elle est signée par Scott Cunninghman, vice-président senior de la technologie et des opérations publicitaires de l’Internet Advertising Bureau (IAB), le consortium des professionnels de la publicité en ligne, chargé d’établir les standards techniques et les bonnes pratiques du secteur.
Alors que l’IAB avait jusqu’à présent un discours simpliste qui consistait à affirmer que « le blocage de la publicité est du vol pur et simple », Cunninghman apporte un discours beaucoup plus nuancé, qui met enfin la responsabilité première du fiasco sur les épaules des professionnels eux-mêmes. Si les internautes en sont venus à être aussi nombreux à bloquer la publicité sur leurs navigateurs web, et si Apple a fait de cette possibilité un argument de vente pour son nouvel iOS 9, c’est effectivement d’abord et presque exclusivement parce que la publicité en ligne est devenue insupportable.
L’industrie de la publicité en ligne s’est laissée entraîner ces derniers années, avec les éditeurs de sites internet, dans un cercle vicieux qui n’a fait que nourrir l’installation des ad-blocks. Différents facteurs ont contribué dans un premier temps à faire chuter le coût payé par les annonceurs sur les sites internet, ce qui a fait que les éditeurs ont cherché à compenser la perte de revenus par l’ajout de publicités toujours plus nombreuses et plus visibles, et que les annonceurs ont profité de la situation de faiblesse des éditeurs pour leur imposer des formats qui auraient été inacceptables en d’autres temps révolus.
pour quelques centimes de plus
Plus les internautes ont bloqué les publicités pour échapper à cette surenchère, plus le cercle vicieux s’est aggravé.
« Notre quête de quelques centimes nous a peut-être coûté quelques dollars en fidélité des consommateurs », reconnaît aujourd’hui Scott Cunninghman. « Nous avons perdu de vue notre responsabilité sociale et éthique de fournir une expérience sûre et pratique pour tous ceux qui souhaitent consommer les contenus de leurs choix ».
L’IAB veut donc désormais remettre en question ses formats et ses pratiques publicitaires, avec un nouveau programme en cours d’élaboration par l’IAB Tech Lab, baptisé « LEAN » pour « Light » (léger), « Encrypted » (chiffré), « Ad choice supported » (permettant le choix des publicités) et « Non-Invasive ads » (publicités non invasives).
Encore flou dans ses aspects concrets, le programme des publicités LEAN vise donc ces quatre objectifs :
- Des publicités légères : Des fichiers de taille limitée avec des lignes de conduite claires sur les données transmises ;
- Des publicités chiffrées : Permettre l’affichage de publicités sur des sites HTTPS ;
- Offrir le libre choix : Les publicités devront respecter les programmes de respect de la vie privée de la Digital Advertising Alliance ;
- Non-invasif/non-disruptif : Les publicités ne devront pas perturber l’expérience utilisateur, par exemple ne pas recouvrir le contenu auquel le lecteur veut accéder, ou ne pas lire automatiquement des vidéos dont le son serait activé par défaut.
Autant de belles déclarations d’intention mais qui arrivent peut-être trop tard, alors que les internautes sont déjà très nombreux à avoir déjà découvert le confort d’une navigation sans publicité. Pour eux, moins de publicité restera toujours trop de publicité. Moins invasif restera toujours trop invasif. La difficulté va être de convaincre les internautes de désinstaller les ad-blocks, et l’on peut craindre que ce soit désormais extrêmement compliqué.
Revenir en arrière ?
C’est peut-être tout le Web qui va devoir évoluer et abandonner un modèle économique largement financé par la publicité, qui a généré son lot d’effets pervers, à commencer par la constitution de mastodontes dont le métier consiste à collecter et à analyser les données personnelles de centaines de millions d’individus sur Terre, pour leur afficher des publicités toujours mieux ciblées.
Mais la gratuité permise par la publicité avait aussi la grande qualité de mettre chacun sur un pied d’égalité en terme d’accès. Il n’y avait pas un internet pour les pauvres et un internet pour les riches. Il y avait Internet. Or si la publicité ne permet plus à des sites internet professionnels de vivre, ils devront se tourner vers des modèles payants, discriminatoires par nature.
L’idéal serait sans doute de revenir à des publicités à l’ancienne, qui ne cherchent pas à cibler le lecteur en tant qu’individu, mais une typologie de lecteurs à travers un média. Ces publicités là ne posaient pas de problème de respect de la vie privée, et les médias parvenaient à vendre leur marque sans vendre leur âme.
Mais il est rare que l’avenir se fasse par des retours en arrière, et ce seront donc d’autres modèles qui devront s’inventer.
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