Que l’on s’y intéresse ou non, la Corée du Sud est une pépinière technologique et culturelle pour le cinéma de demain. Alors qu’en Europe, le relatif échec de la 3D a calmé les ardeurs des grandes chaînes de cinéma, la Corée en est déjà à la 5D — ce qui ne veut rien dire mais est un argument commercial formidable — et les studios multiplient les innovations. Et forcément, le petit pays asiatique est en train de se transformer en el dorado du cinéma en réalité virtuelle, ultime gadget de cette culture du ciné-show. Une tendance que Samsung ne se prive pas de soutenir avec des grands coups marketing…
ScreenX, le cinéma coréen et l’innovation
Pour lutter contre la baisse de fréquentation des cinémas coréens, il y a déjà plusieurs années, la chaîne de salles coréenne CJ CGV — qui détient des centaines de salles en Chine, en Corée, au Vietnam et également aux États-Unis — avait inventé et plus ou moins standardisé un format qui effleurait les promesses du 360° : les salles immersives ScreenX composées de trois écrans, entourant leur auditoire de part et d’autre, mimant ainsi une vision à 180°.
En 2016, il y a désormais plus de 84 salles compatibles avec la technologie purement coréenne ScreenX, dans les quatre pays où CGV est installé. Mais l’aventure des ScreenX n’est pas terminée. Fier de sa technologie, CGV a conclu en 2015 un accord avec le groupe chinois Wanda qui détient également de nombreuses salles en Asie et en Amérique du Nord pour continuer l’installation de ce néo-cinéma à travers le monde. CGV parie sur plus de 1000 salles équipées d’ici à 2020. Pour l’instant, l’Europe n’est pas au programme.
Les studios asiatiques n’ont évidemment pas laissé pour compte ces salles, qui ont reçu de nombreux blockbusters coréens, spécialement taillés pour les trois écrans. La production principalement coréenne va s’étendre à la Chine grâce à l’accord avec Wanda qui compte financer de nombreuses productions locales pour qu’elles s’adaptent au ScreenX.
Derrière les foules d’innovations, plus ou moins gadget, dont les cinémas asiatiques se sont parés, des fauteuils vibrants au ScreenX, il y a en réalité l’enjeu de la difficile survie des studios coréens et de leur financement, les salles de cinéma. En 2015, le PDG de CGV expliquait ainsi : « À une époque où chacun peut télécharger facilement des films et les regarder en bonne qualité sur des écrans HD, les salles doivent chercher un moyen de garder une audience qu’elles ne pourront faire revenir qu’avec des expériences immersives et spectaculaires. ScreenX a été créé pour donner aux spectateurs une expérience vivante grâce à une vue panoramique de ce qui se passe sur l’écran ».
En somme, très tôt dans la culture asiatique le cinéma s’est transformé sans vergogne en véritable attraction à spectacles. En Europe, nous sommes vraisemblablement bien plus académiques sur la question — imaginez-vous allez au cinéma et vous installer dans un fauteuil prétendument 4D qui vous jettera de l’eau à la figure pendant la diffusion ? Certainement pas.
Mais il y a dans cette vision occidentale du cinéma quelque chose de très historique et de finalement assez élitiste. Le film est un art et le cinéma en est son austère temple, la salle de cinéma occidentale est à peu près ce que le musée est à l’oeuvre picturale. Et les traditions sont encore difficiles à changer. Parfois pour le meilleur, mais il existe de fait un risque de dépassement technologique face à des nouveaux médias, comme la réalité virtuelle. Et à ce titre, la Corée du Sud en tant que précurseur farfelu de l’innovation, pourrait bien s’ériger comme le centre névralgique du cinéma en réalité virtuelle.
Samsung, le cinéma et l’avenir
Une nouvelle fois Samsung a organisé cet été son festival technologique coréen, le D’light Showroom. Véritable attraction touristique de Séoul, le D’light prend chaque année place dans l’arrondissement central de Gangnam-Gu, dans une sorte de Samsung Tower.
Le D’light attire chaque année des fans de la marque coréenne, des touristes de l’Asie entière mais également de nombreux occidentaux. Car à l’instar de ce que Samsung a tenté de faire à Paris, l’événement est une véritable vitrine de l’entertainement tech du Coréen. Au D’light, on ne vient pas seulement voir les derniers produits de Samsung, on vient clairement s’amuser avec la tech, qui semble à l’occasion devenir un véritable jouet populaire que les coréens plébiscitent, le tout teinté d’un patriotisme économique évident.
Mi-Apple Store monumental, mi-parc d’attraction, le D’light permet en fin de compte au géant de rendre palpables et concrètes ses innovations. Et cette année, comme l’année dernière, Samsung met en avant sa nouvelle technologie phare pour le divertissement : la réalité virtuelle. En 2015, avec les ScreenX en pleine expansion, la VR était le next-thing, mais en moins d’un an, Samsung a réussi à convaincre des studios.
En effet, cette année le D’light accueillait un show Oculus extraordinaire pour illustrer les possibilités du cinéma en réalité virtuelle. La filiale de Facebook n’en est pas à son premier prêche au monde du cinéma. Déjà en 2013, le Sundance accueillait également un showcase d’Oculus. Et pour bien comprendre l’intérêt de Samsung et Oculus pour le cinéma, parfois au dépend du jeu vidéo, il faut noter que le constructeur du Gear VR a aujourd’hui une vision plus claire de la demande du grand public pour la réalité virtuelle grâce aux premiers résultats de l’utilisation du casque.
Les deux sociétés ne cessent depuis de répéter un chiffre éloquent : 80 % des personnes possédant un Gear VR regardent quasi exclusivement du contenu vidéo chaque jour. En réalité, le casque à petit prix de Samsung a permis de vérifier une hypothèse : la réalité virtuelle n’est pas qu’une lubie de gamers et il existe de fait un marché multimédia grand public.
La VR en dehors du jeu
Yelena Rachitsky, qui représentait Oculus au showcase, confirme cette hypothèse elle aussi : « La réalité virtuelle est différente de la 3D. La 3D n’était pas un changement de paradigme , c’était finalement limité à une boite rectangulaire. Alors que la VR signifie une véritable convergence de différent médias ». Mais la VR a un défaut qui n’était pas forcément présent dans la 3D ; faire un film en VR n’a rien de commun avec un film traditionnel. Par ailleurs, le film en VR peut difficilement se convertir en film traditionnel, la notion du temps et de l’espace étant radicalement différente.
Jeon Woo-Yeol, qui réalisa le premier film en VR coréen en 2015, le court Time Paradox VR, a lui déclaré au D’light : « Cela prendrait des années de développer un jeu vidéo en VR, mais les films en VR ont l’avantage de ne pas nécessiter la même lenteur de production ».
Le réalisateur met par ailleurs déjà en pratique ses intuitions artistiques, avec le soutien de la tech local. Il a prévu de tourner plus de quatre productions en VR d’ici à 2020. Selon lui, la production en VR combine un double avantage pour les studios coréens : l’évidente différenciation par rapport à un film normal, qui conduit à un renouveau de l’enthousiasme pour les salles et leurs shows, ainsi qu’une facilité technologique permise aux studios par le soutien de Samsung, mais également de nombreux acteurs publics et privés que l’on retrouve à la Korea Advanced Institute of Science & Technology. La très prestigieuse institution qui a travaillé à l’élaboration du ScreenX est déjà à l’assaut des caméras 360°.
Derrière cette véritable course à la VR, les studios coréens tentent de s’imposer plus largement en Asie et espèrent aussi, par ce biais, convaincre l’Occident. Celui-ci reste en retard sur le sujet, en dehors de quelques pionniers comme les studios LucasFilm. Mais ce qui différencie fondamentalement l’approche du cinéma en VR en Corée et à Hollywood, c’est l’enthousiasme pour un medium nouveau qui réunit la tech grand public, les studios et les salles, alors qu’ailleurs, la VR est considérée par les acteurs comme gadget, geek et est souvent vu comme une menace pour le lieu Cinéma. La Corée héberge-t-elle déjà le cinéma de demain ?
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