Deux ans après l’instauration du délit d’ « obsolescence programmée » dans la loi française, une première plainte vient d’être déposée. Le texte vise plusieurs fabricants d’imprimantes. Mais sur le plan juridique, les spécialistes que nous avons pu interroger sont divisés quant aux chances de succès de cette plainte.

Il s’agit d’une première en France : le 17 septembre 2017, une plainte pour « obsolescence programmée » a été déposée. Dans ce document, l’association HOP (Halte à l’obsolescence programmée) vise plusieurs marques qui commercialisent des imprimantes, à l’instar d’Epson, Canon et HP. Le collectif met en cause « les pratiques des fabricants d’imprimantes qui visent à raccourcir délibérément la durée de vie des imprimantes et des cartouches. »

L’association française estime que ces fabricants d’imprimantes — et tout particulièrement Epson, sur lequel se sont concentrées les investigations de HOP — bloqueraient sciemment les impressions « au prétexte que les cartouches d’encre seraient vides alors qu’il reste encore de l’encre. » Une autre critique adressée aux fabricants porte sur le tampon absorbeur d’encre : il est annoncé en fin de vie alors qu’il pourrait encore servir, fait valoir l’association.

Une législation récente

Sur le plan juridique, le dépôt de cette plainte soulève plusieurs questionnements. En effet, « l’obsolescence programmée » est un délit particulièrement jeune en droit français : il a été consacré il y a deux ans dans le Code de la consommation, avec la rédaction de la loi du 17 août 2015 relative à la transition énergétique pour la croissance verte. C’est ce texte qui la définit comme « l’ensemble des techniques par lesquelles un metteur sur le marché vise à réduire délibérément la durée de vie d’un produit pour en augmenter le taux de remplacement » par un abus de langage puisque cela supposerait qu’un constructeur programme une date d’expiration à un moment T.

imprimante

Or, amener la preuve juridique de cette volonté délibérée de la part d’un fabricant de réduire la durée de vie de son produit, aux dépens du consommateur, fait l’objet d’épineux débats. Contactée par nos soins, Christiane Féral-Schuhl, avocate au barreau de Paris et spécialiste des domaines de l’informatique, des technologies et de la propriété intellectuelle, remet en contexte les enjeux posés par le délit d’obsolescence programmée.

« La question est de savoir si pénalement le consommateur est assez protégé, nous explique-t-elle. Aujourd’hui, le constat est que les appareils vivent moins longtemps, ce qui amène à s’interroger sur la possibilité que la durée de vie de certains produits ait été réduite volontairement. L’enjeu est donc le suivant : comment prouver que le fabricant a mis au point un produit avec la volonté qu’il finisse par tomber en panne au bout d’un certain temps ou d’un certain usage ? »

Comment prouver que le fabricant a volontairement construit un produit qui va tomber en panne ?

Pour l’avocate, cette plainte « est intéressante car elle va permettre de mesurer l’efficacité de la loi de 2015 », et de son article 99 qui évoque spécifiquement l’obsolescence programmée. « Il va falloir démontrer que le fabricant a réduit la durée de vie de son produit pour favoriser le remplacement », poursuit-elle.

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CC Statmanharris

Selon elle, cette démonstration ne sera pas chose aisée : « Comment prouver qu’une panne électrique provient d’une action délibérée du fabricant et non d’un problème technologique ? Les téléviseurs, par exemple, utilisent un condensateur pour s’allumer. Si celui-ci est placé à un certain endroit, il chauffera plus rapidement et durera moins longtemps. Comment prouver que le condensateur a été placé volontairement au mauvais endroit ? »

Christiane Féral-Schuhl poursuit : « Par ailleurs, la durée de vie d’un produit est un indice différent pour chacun. Certains utilisent leur smartphone 2 heures par jour, d’autres 6 heures par jour. Logiquement, les seconds vont user leur smartphone plus vite. Il faudrait donc que les fabricans inscrivent une durée linéaire d’utilisation. Que doit mentionner le fabricant : le nombre d’heures de vie plutôt que le nombre d’années ? Pour cette raison, la loi risque d’être difficile à mettre en œuvre. »

La durée de vie d’un produit, une notion subjective

À supposer que la plainte conduise à une sanction à l’égard des fabricants d’imprimantes visés, la question de la sanction — et de son effet dissuasif — risque également de se poser. « La loi mentionne que le montant de l’amende peut être porté à 5 % du chiffre d’affaires moyen annuel de l’entreprise. Dans le cas des fabricants avec des chiffres d’affaires en millions d’euros, on peut s’interroger sur la portée dissuasive d’une telle sanction », relève Christiane Féral-Schuhl.

Un délit vraiment inapplicable ?

De son côté, Emile Meunier, avocat de l’association HOP et fondateur du cabinet d’avocats lobbyistes Meunier Avocats, se montre beaucoup plus optimiste sur les chances de succès de son client. « Dans le cas des délits occultes [généralement des délits financiers, comme des détournements de fonds], la question de la preuve est aussi complexe, pourtant on y arrive, argumente-t-il. Les délits occultes sont des délits qui sont cachés, jusqu’au moment où ils sont révélés. Prenons un exemple, celui d’une manipulation du cours d’une action, qui aurait été faite afin d’en tirer une plus-value. Dans ce cas là, le délit est occulte, la méthodologie d’enquête va donc chercher à savoir pourquoi le cours a été modifié de façon aussi brutale, et à qui cette modification pourrait profiter. »

Concernant les imprimantes, l’avocat de HOP estime que plusieurs faits sont bien démontrables : « Dans le cas d’une imprimante qui se bloque au bout d’un certain nombre de copies, nous allons chercher à savoir au bout de combien de copies elle se bloque. Pour cela, il suffit de parler avec un réparateur. Ensuite, il faut se tourner vers le fabricant, et s’il ne donne pas de réponse convaincante, on peut envisager qu’il s’agisse d’une obsolescence. »

cartouches-imprimante

Le juriste est ainsi convaincu que ce délit est bien sanctionnable. « Dans le cas où l’un des éléments de l’imprimante est indiqué en fin de vie, comme le tampon absorbeur ou un toner, et qu’elle refuse d’imprimer, un expert peut très bien démonter l’imprimante ou le toner et constater si oui ou non la pièce ou le toner est effectivement obsolète. Par ailleurs, avec un logiciel pirate, il s’avère possible de débloquer l’imprimante, qui va continuer à imprimer, ce qui pourrait démontrer que le blocage n’est pas justifié. »

« Ce qui est certain, poursuit-il, c’est qu’il y a des éléments troublants qui méritent une expertise judiciaire. Je suis serein quand à la possibilité de faire la preuve de l’obsolescence programmée. Nous avons joué notre rôle de lanceurs d’alerte. Aux autorités judiciaires de s’en saisir. »

« Cette plainte ouvre un débat »

Pour d’autres juristes, enfin, l’intérêt de cette plainte est à nuancer. Arnaud Gossement, avocat au barreau de Paris spécialisé en droit de l’environnement et en droit public, abonde dans ce sens. « Cette plainte ouvre un débat. Mais à mon sens, la vraie question porte sur la conception du produit, et l’information donnée au consommateur, notamment la mise à disposition des pièces détachées du produit. Il y a un ensemble de garanties à apporter au consommateur. Je crois davantage au bénéfice de ces mesures qu’à une action en justice. »

Une mauvaise réponse à une bonne question

Pour l’avocat, la procédure entamée par une telle plainte risque d’être particulièrement complexe, ce qui pourrait nuire in fine au consommateur : « Le juge n’est pas un technicien, la justice doit mener des expertises. Ce sont des procédures longues et coûteuses. Je ne dis pas que la plainte n’est pas fondée, mais il y a un risque qu’elle devienne une mauvaise réponse apportée à une bonne question, celle de la qualité du produit et de savoir comment un consommateur peut savoir qu’il en a pour son argent en achetant un produit. »

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