Washington étend son offensive pour empêcher la Chine de profiter des fleurons du secteur des semi-conducteurs. Le Japon et les Pays-Bas sont ainsi sur le point de renforcer leurs sanctions. Mais, cette stratégie a un risque à long terme.

Il semble que les efforts diplomatiques des États-Unis pour endiguer l’accès de la Chine au nec-plus-ultra des semi-conducteurs paient. Dans son édition du 26 janvier 2023, l’agence de presse Reuters signale le ralliement imminent de deux pays à la politique américaine de contrôle de certaines exportations : le Japon et les Pays-Bas.

Washington voit d’un mauvais œil l’émergence technologique de Beijing, synonyme de remise en cause de son avance. L’Amérique a amorcé un pivot en 2009 et concentre de plus en plus son attention vers l’Asie-Pacifique. Pour éviter une confrontation directe, l’arme des restrictions est utilisée, car c’est un moyen de ralentir le développement militaire chinois sans risque.

L’avance occidentale comme frein contre la Chine

Or, il s’avère que les États-Unis et quelques autres pays ont une avance et un savoir-faire dans les semi-conducteurs que la Chine n’a pas — du moins, pas encore. Les principales entreprises qui comptent sont d’ailleurs dans le camp occidental, au sens large. C’est le cas des USA, mais c’est aussi le cas des Pays-Bas et du Japon qui hébergent quelques acteurs clés.

Ainsi, il est indiqué dans la dépêche que La Haye va étendre les restrictions imposées à ASML tandis que Tokyo fera de même pour Nikon Corp. Ces deux pays accueillent également d’autres fleurons de ce secteur, comme NXP Semiconductors pour les Pays-Bas et Renesas Electronics, Toshiba et Tokyo Electron pour le Japon.

ASML constitue peut-être l’actif le plus stratégique et le plus sensible. Cest la seule entreprise capable de fabriquer des machines aptes à mettre en œuvre la technique de la lithographie extrême ultraviolet (lithographie EUV), qui permet de procéder à une miniaturisation jamais vue. Chaque machine pèse 180 tonnes, prend des mois à fabriquer et coûte plus de 100 millions d’euros.

ASML
Une machine de lithographie EUV. 180 tonnes de technologie de pointe. // Source : ASML

De fait, ASML dispose d’une compétence incontournable sur ce terrain et la Maison-Blanche le sait bien. C’est pour cela que l’effort américain se porte sur La Haye, afin de juguler la possibilité de la Chine de pouvoir accéder aux générations de puces les plus avancées. Les pressions sur ASML remontent à 2020, au moins, et se sont poursuivies au fil des mois.

ASML a une exposition limitée en Chine — en 2021, le marché chinois représentait 15 % des ventes totales d’ASML, loin derrière Taïwan (39,4 %), et la Corée du Sud (33,4%), deux autres poids lourds de cette industrie. En outre, seulement 3 % de la recherche et développement d’ASML se situe en Chine. L’essentiel est aux Pays-Bas (72 %) et les États-Unis (21 %).

La Chine a un tissu industriel dans les semi-conducteurs, avec des entreprises telles que SMIC, Hua Hong, Tsinghua Unigroup et JCET. Certaines d’entre elles bénéficient d’un soutien notable du gouvernement chinois, comme les trois premières. Mais, leur maîtrise est moins aboutie que les fleurons internationaux. Elles ont ainsi quelques générations de retard en matière de finesse de gravure.

Selon Chris Miller, auteur d’une étude sur la guerre autour des semi-conducteurs, cité dans la revue Le Grand Continent, « [le président chinois] Xi Jinping est plus inquiet de devoir subir un blocus mesuré en octets qu’en barils. La dépendance à l’égard des semi-conducteurs importés constitue bien la plus grande vulnérabilité économique et géopolitique de la Chine. »

Une politique à double tranchant

Il est établi depuis longtemps que la balance commerciale de la Chine est très déficitaire sur les semi-conducteurs. En valeur, elle en importe davantage que le pétrole. Or, relève Chris Miller, « le pays capable de produire des semi-conducteurs plus avancés disposera également d’un sérieux avantage militaire ». Les progrès dans ce domaine sont liés à l’avance technologique.

Reste toutefois un risque à moyen et long terme, sur lequel les États-Unis n’auraient plus la main : le découplage des deux pays sur ce terrain. De la même façon que des bactéries deviennent de plus en plus résistantes aux médicaments, les sanctions dans ce domaine ne sont pas à l’abri de ne plus faire beaucoup d’effet un jour, si Beijing parvient à combler son retard.

C’est la mise en garde du patron d’ASML. À force de pousser la Chine dans ses retranchements, ces leviers pourraient finir par disparaître, en devenant insensible à ces mesures, comme les super-bactéries donnent du fil à retordre à la médecine. « S’ils ne peuvent pas obtenir ces machines, ils les développeront eux-mêmes. Cela prendra du temps, mais au final, ils y arriveront. »

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