Ils sont une soixantaine déjà réunis au sein de la Featured Artists’ Coalition (FAC), un nouveau groupement d’artistes-interprètes britanniques officialisé ce week-end à Londres. Parmi eux figurent des groupes et artistes reconnus comme Craig David, Radiohead, Iron Maiden, Robbie Williams, The Verve, Travis, Kaiser Chiefs ou encore Billy Bragg. Conscients que le numérique a changé la donne face aux majors, ils demandent « du changement » dans leurs relations contractuelles avec les grandes maisons de disques, pour rééquilibrer les rapports de force.

« Historiquement, beaucoup d’artistes ont signé pour abandonner le contrôle de leurs droits pour une longue période de temps dans des accords conçus avant l’ère numérique lorsque l’industrie musicale opérait dans un climat économique et culturel différent« , rappelle la coalition, pour qui « il y a besoin dans l’ère numérique d’avoir un nouvel ensemble d’accords qui reflètent les nouvelles façons dont la musique est consommée par les fans« .

Ils demandent ainsi à être partie prenante dans les accords de licence négociés par les majors avec les services en ligne (Deezer, Myspace, YouTube…), pour lesquels ils estiment ne pas recevoir une part suffisante des revenus. Ils demandent également que le modèle allemand soit suivi en donnant la propriété des droits sur les enregistrements aux artistes-interprètes plutôt qu’aux maisons de disques, de façon à « louer » ces droits le temps du contrat avec un label plutôt que de céder la propriété des bandes. Entre autres revendications, ils proposent que les maisons de disques perdent leurs droits sur une œuvre s’ils ne l’exploitent pas commercialement et qu’elle reste dans un placard. Ils demandent enfin que leurs droits soient similaires à ceux des auteurs des chansons, qui reçoivent des subsides pour chaque exploitation et chaque diffusion publique de leurs œuvres.

Après plusieurs décennies de soumission aux maisons de disques, les artistes-interprètes se sentent enfin en position de force et veulent saisir l’opportunité pour améliorer leur traitement.

Une bataille pour le contrôle de l’offre et de la demande

Avec Internet, les majors du disque ne perdent pas seulement des ventes dues au piratage. Elles perdent surtout leur contrôle sur une chaîne historique d’intermédiaires qui les rendait incontournables et qui étouffait auparavant les protestations des artistes. Les radios diffusant essentiellement la musique des majors, et les disquaires et grandes surfaces vendant quasiment exclusivement les disques des majors ou des grandes maisons indépendantes qui passent à la radio, les artistes qui souhaitaient se faire connaître et vendre des disques n’avaient pas d’autre choix que de décrocher le précieux sésame d’une signature chez un grand label. Les négociations se faisaient uniquement à la marge. Mais avec le numérique, le nombre de médias a explosé, et les artistes peuvent diffuser eux-mêmes leurs albums et les faire connaître sans l’aide d’une maison de disques. Plusieurs membres de la FAC l’ont déjà expérimenté, en particulier Radiohead qui a fait office de cobaye (de façon tout de même très mesurée).

Le rapport de force se renverse actuellement au profit des artistes et à terme, les majors risquent de ne plus trouver leur utilité. Ils déploient actuellement des efforts immenses pour conserver un rôle clé sur le marché en mettant en avant leurs « task force » marketing qui maîtrisent de mieux en mieux la communication en ligne, ou en proposant aux artistes les plus populaires des contrats à 360° qui mêlent des revenus issus des ventes de disques, du merchandising, des licences ou des tournées.

Mais les majors rêvent surtout de pouvoir très vite reconstituer la chaîne historique d’intermédiaires pour re-devenir un maillon indispensable aux artistes et continuer ainsi à leur faire signer des contrats aux conditions fixées d’avance.

C’est dans cet esprit que les majors refusent toute licence globale qui ouvrirait les vannes de tous les médias, y compris amateurs, qui pourraient diffuser légalement n’importe quel artiste signé ou non. Au contraire, ils s’associent à une poignée de marques très puissantes comme MySpace ou Nokia, à qui ils livrent en quasi-exclusivité le droit de diffuser leur catalogue gratuitement. Tous les autres services sont illicites et pourchassés en justice.

L’espoir étant que les internautes, en masse, se ruent vers ces quelques services où ils trouvent légalement le droit d’écouter l’immense majorité des artistes les plus populaires du moment. Si cette stratégie fonctionne et que les MySpace Music et autres Nokia Comes With Music emportent une part de marché très conséquente, les artistes qui souhaiteront se faire connaître et être diffusés seront à nouveau tentés de signer chez les majors qui seules détiennent les clés qui ouvrent les portes de ces services.

Derrière le combat de façade contre le piratage au nom des artistes, c’est donc surtout un combat contre les artistes eux-mêmes qui est mené par les producteurs de disques. Ces artistes britanniques l’ont bien compris. Il est temps que les Français le comprennent aussi.

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