Le génie dans la lampe passe au numérique avec Jam, une start-up française qui a pour ambition de trouver ce que vous voulez. À condition d’être étudiant.

« Hello ! Souhaites-tu que je t’aide aujourd’hui ? ». Jam et moi, c’est une belle histoire qui a commencé dans les couloirs de Sciences Po, et qui me vaut aujourd’hui d’écrire pour Numerama. C’est Jam qui a relayé les offres d’emploi. C’est à Jam que nous avons également demandé un rendez-vous avec l’équipe pour réaliser cet entretien.

Jam ? L’assistant virtuel des étudiants, un service de conciergerie moderne qui promet « Tout ce que tu veux, en un texto ! ». Nous l’avons testé, et bien évidemment, nous avons voulu en connaître les coulisses. Marjolaine Grondin, co-fondatrice de la start-up, nous a reçu dans ses bureaux de la rue de Cléry, pour parler ensemble de la genèse et des ambitions du projet.

JAM, le concept

Marjolaine Grondin

Marjolaine Grondin dans
les bureaux de Jam

Jam, c’est un drôle de concept. D’où est venue l’idée ?

L’idée est venue progressivement et tout d’abord d’un problème que j’ai eu pendant mon année d’études à l’étranger. J’étais à Berkeley, un grand campus américain, une super université… mais on y est vite perdu, on ne sait pas comment trouver un appartement, où chercher un covoiturage pour San Francisco le week-end, où acheter des livres abordables, où sortir, et encore moins comment trouver un petit job pour financer l’année et trouver un stage ! Et je me suis rendue compte qu’à Sciences Po on n’avait aucun service non plus qui nous aidait assez régulièrement. Ni à HEC d’ailleurs.

Il y avait quelque chose à faire pour aider les étudiants. On a tous des problèmes et des petites envies quotidiennes, ce sont tous les mêmes, et ils se répètent d’une année sur l’autre. Ma première intuition s’appelait Blackbird : créer un réseau qui mettait en relation les étudiants pour qu’ils se partagent les bons plans. En le lançant à Sciences Po, nous nous sommes rendus compte que les gens revenaient parce qu’ils s’intéressaient aux annonces qu’on postait plus qu’à celles que les étudiants postaient entre eux — pour ça ils ont des groupes Facebook ou ils en parlent en amphi.

Nous nous sommes donc dits que nous allions essayer de faire encore mieux ce que nous faisions déjà bien, et que nous allions arrêter de pousser les étudiants à partager et à liker. À la place on a continué le travail de curation de contenus, de négociations et de partenariats parce que c’est ce qui fait notre valeur.

On est repartis de la feuille blanche juste après avoir été incubés au Numa en avril, en faisant venir des étudiants au bureau pour nous faire part de leurs problèmes quotidiens. On a eu des réponses comme : « Ça m’embête d’avoir cassé mon iPhone avant mon week-end à Berlin » ou encore « J’ai un problème parce que j’ai un passeport turc, et qu’après j’aimerais faire un stage à New-York ».  Petit à petit, on est passés par mail, puis par texto pour rester le pote à qui on peut parler facilement sans smartphone, sans 3G et sans qu’il ne prenne de place. Maintenant on est aussi sur Facebook Messenger et on va passer bientôt par Whatsapp et Twitter.

Concrètement, quel est le modus operandi si je vous demande un sandwich sur un campus ?

Nous sommes branchés par API donc sur des flux de Yelp, Foursquare, d’autres applis ou services qui aident à trouver des petites adresses. On en a parfois en dur dans notre système ; par exemple on nous a demandé tellement de fois des sushis illimités à Paris ou le meilleur bar à whisky, etc., qu’à force la réponse part automatiquement.

Là, nous avons à peu près 12 000 utilisateurs, avec cent à cent cinquante inscrits par jour.

Ça fonctionne aussi quand c’est une demande précise mais singulière : par exemple, on a eu quelqu’un qui cherchait des bubble teas à Paris, donc on a sauvegardé la réponse en template. La première fois, on fait la recherche, on s’assure que c’est bien à jour, mais après c’est automatisé :  la machine prépare les réponses, l’humain vérifie ou améliore, et on envoie.

En termes techniques, vous avez donc fait une sorte de back-office automatisé…

Exactement, on arrive à catégoriser la demande. Si cela concerne un appartement, on sait qu’il faut demander la surface, le loyer, les APL. Quand toute ma requête est affinée j’envoie les conclusions. Tout passe d’abord par l’algorithme. La moitié de l’équipe fait du développement.

Qui s’occupe de l’humain ?

Ce sont des étudiants, des backers pour I got your back, la plupart de Sciences Po, qui sont derrière la machine et travaillent une dizaine d’heures par semaine, en roulement, jusqu’à 23 heures. On essaie d’aller jusqu’à 2 heures du matin les fins de semaine.

Un cœur de cible

Et pourquoi ne vous adressez-vous qu’aux étudiants ?

On connaît bien le marché, on connaît bien les besoins des étudiants. Là, nous avons à peu près 12 000 utilisateurs, avec cent à cent cinquante inscrits par jour. Aujourd’hui, ça a plus de valeur d’aller voir un partenaire potentiel en lui disant qu’on connaît douze mille étudiants plutôt que d’avoir cinquante mille personnes qu’on ne connaît pas. Ça nous rend très identifiables pour les partenaires.

Pour les étudiants aussi. Un produit fait pour tout le monde, c’est un produit fait pour personne, personne ne se sent concerné. Par ailleurs on sait que 5% de notre base ne sont pas des étudiants.

Vous arrivez à aider ces utilisateurs qui ne sont pas étudiants ?

On leur dit qu’on est plus adaptés pour des étudiants, mais qu’ils peuvent demander ce qu’ils veulent. S’ils nous demandent un job de senior VP on n’aura pas les bonnes compétences pour les aider, on les redirigera ailleurs. En revanche s’ils cherchent une salle de sport abordable dans le 18e, un code AirBNB, un endroit où se faire livrer, aucun problème !

Un produit fait pour tout le monde, c’est un produit fait pour personne

Vous avez choisi de faire du service au consommateur gratuit… comment gagnez-vous de l’argent ?

80 % de notre chiffre d’affaires se fait par le recrutement. On travaille avec des entreprises qui ont des enjeux de recrutement, et qui nous envoient des offres de stages, de jobs, de missions ponctuelles…

Nous ne sommes pas encore rentables mais c’est un excellent modèle. Recruter un bon stagiaire aujourd’hui coûte entre deux et cinq mille euros, il faut employer un RH en interne, participer à des forums dans les grandes écoles, mener des actions, imprimer des affiches, des posters, sponsoriser le BDE etc. Ça coûte très cher !

Et si vous n’avez pas l’offre qui correspond en interne, vous allez la chercher sur d’autres sites ?

On ne cherche pas à caser nos clients à tout prix, le but reste de faire correspondre l’offre à la demande. Plus on grandira plus on aura d’offres : on est une marketplace. Il y a les clients qui vont rechercher un type d’étudiants que nous n’avons pas, puis des étudiants qui vont demander des offres et que nous renverrons vers un site externe.

Cela revient à de l’affiliation, à une mise en réseau : on reste une entreprise mais c’est un type particulier d’entreprise.

économie du partage ?

Est-ce que vous imaginez faire payer des commerces type Monoprix, si par exemple un étudiant vous demande un sandwich ?

Aux origines du Jam

Aux origines de Jam

On pourrait, mais cela nous coûterait trop cher en termes de temps d’aller démarcher, rentrer les données dans le back-office, pour gagner dix centimes si on envoie quelqu’un.

Et je pense que ça nuirait à Jam, à sa neutralité. Donc pour l’instant, on se dit que s’il y a une demande sur dix d’un étudiant qu’on peut monétiser, ça vaut le coup d’en faire neuf gratuites. Si on aide quelqu’un à trouver une idée de cadeau pour sa copin ou un resto où emmener dîner ses amis, on se dit qu’il utilisera de nouveau le service quand il cherchera un job et on sera très efficaces dans la recommandation.

Vous avez identifié de la concurrence ?

Non, on n’a pas du tout de concurrents qui font la même chose sur le même modèle que nous. On a des services qui se lancent aussi sur le système de conciergerie moderne, mais qui sont plutôt premium. C’est très bien aussi, c’est un modèle qu’on aurait pu mettre en place, mais cela cible moins les étudiants.

Les Échos ont parlé de vous comme des pionniers de l’économie collaborative…

Oui, je trouve cela un peu grossier, dans le sens où c’est comme ça qu’on a commencé mais on est allé beaucoup plus loin. C’est un peu facile de dire « économie collaborative » simplement parce que c’est du réseau : je ne trouve pas que ce qu’on fait soit collaboratif. C’est plus de la conciergerie moderne, sympa, friendly, mais on n’a pas un particulier qui loue sa perceuse ou qui laisse sa chambre dans un appart.

Certes, nous avons des petits exemples dans le sens où on peut mettre en relation un étudiant qui chercherait des cours de maths avec un autre qui souhaiterais en donner, mais ce sont plus des exceptions qui découlent de l’idée de base du service. Alors au début, oui, c’était de l’économie collaborative mais maintenant, nous sommes un intermédiaire entre offre et demande.

étudiant entrepreneur

Vous avez fait Sciences Po et HEC. Est-ce que ce double cursus vous a donné les premières impulsions ?

C’est exactement le mot ! C’est de l’impulsion. C’est vraiment le fait d’avoir étudié à l’étranger, d’avoir fait HEC et Sciences Po qui donne l’impression que tout est possible… tant que tu résistes à la pression pour faire du conseil, entrer dans une banque ou un grand groupe. Il y a de plus en plus d’étudiants qui se dirigent vers l’entreprenariat ou l’associatif. C’est une envie, une impulsion et l’impression que tu peux rencontrer qui tu veux, que tout est possible, que tu vas y arriver malgré les difficultés ! Je ne suis pas sûre que toutes les formations puissent apporter ça.

Quand j’ai des étudiants qui me disent qu’ils ont l’énergie et la motivation pour créer une start-up, mais qu’ils hésitent à compléter leur cursus par une école de commerce, je leur réponds que s’ils ont déjà l’impulsion, ils apprendront le reste avec la pratique.

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Jam, au sens propre

Vous conseilleriez de commencer à entreprendre pendant les études ?

Oui… en tous cas de commencer. De commencer, parce que ça permet de se prendre des murs tout en se disant que ce n’est pas grave, surtout pour des étudiants qui ont encore la chance d’être soutenus par leurs parents. En tout cas il ne faut pas entreprendre pour gagner de l’argent dès le lendemain, c’est sûr !

Être étudiant-entrepreneur, ça permet aussi d’oser se lancer après les études parce qu’on a déjà commencé, plutôt que de prendre un job pour un an, et d’y être encore dix ans plus tard.

Quel est votre plus grande fierté depuis le début de votre aventure, le moment où vous vous êtes dits que vous aviez accompli quelque-chose ?

Je pense qu’il y en a eu plusieurs. Il y a le moment où on a eu nos premiers vrais succès à Sciences Po, où les gens s’inscrivaient, postaient des messages etc. Il y avait aussi les premières levées de fonds avec des business angels de Sciences Po qui nous ont fait confiance. On l’a fait en deux temps : cent mille euros d’abord, et deux cent trente mille après. Mais les premiers cent mille, c’était énorme pour nous, le fait d’avoir été pris à l’incubateur de Sciences Po c’était génial. Le fait de lancer le service et d’avoir les premiers inscrits c’était super, les premiers échanges qui se faisaient grâce à nous… ce sont plein de petites choses qui font tenir et un peu oublier que le reste est ultra difficile.

Pour être franche, le moment où l’on s’est dit qu’il se passait vraiment quelque chose c’est avec le Jam actuel, quand on a pivoté en avril, après l’espèce de dépression face aux statistiques qui n’étaient pas bonnes. C’était très difficile, mais on a tout remis à plat, on a soufflé, et on est repartis du bon pied. On a recruté douze mille personnes en six mois, qui reviennent régulièrement, qui ont trouvé des choses utiles grâce à nous.

S’il y a une demande sur dix d’un étudiant qu’on peut monétiser, ça vaut le coup d’en faire neuf gratuites.

Quelles sont vos prochaines étapes ?

Toujours continuer à grandir et à améliorer l’intelligence artificielle qu’on développe en interne. Puis une nouvelle levée de fonds.

Plus léger pour finir : quelle est la question la plus délirante que vous ayez reçue ?

Oh, on en a des tas ! (rires). On nous a demandé « un teckel à poils durs à Saint-Germain des Prés »  ou alors « envoie-moi un message enflammé pour faire croire à ma copine que j’ai une maîtresse ». En fait on les garde, on a un petit channel sur Slack qui s’appelle Jam Pearl et on publie les plus drôles dessus. Il y a des gens qui nous racontent vraiment leur vie.

Et vous répondez à ces demandes ?

On essaie !

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