Du 5 au 10 mars 2016, Marrakech accueillera le 55è congrès de l’Icann (Internet Corporation for Assigned Names and Numbers) avec en ligne de mire la conclusion d’un accord sur le nouveau mode de gouvernance de l’organisme chargé d’administrer plusieurs ressources essentielles d’Internet, comme l’adressage IP et le système DNS racine grâce auquel les noms de domaine fonctionnent.
Bien que d’apparence technique, le sujet est extrêmement politique. Il s’agit de voir à quel point les États-Unis vont abandonner leur emprise sur l’Icann (et donc en quelque sorte sur Internet) au profit d’une administration plus « démocratique » et plus indépendante.
Comme nous l’expliquions en rapportant la nomination de Göran Marby à la tête de l’Icann, les USA lui délèguent depuis 1998 l’administration des « fonctions de l’IANA », qui sont des fonctions très techniques vitales pour Internet, autrefois assurées par l’Université de Californie du Sud et auparavant par le Département de la Défense. Ces fonctions sont déléguées à l’Icann par contrat, qui peut donc être résilié et confié à une autre organisation. C’est une épée de Damoclès, ou plutôt une laisse qui permet de s’assurer que l’Icann veille d’abord aux intérêts américains. En 2014, l’administration de Barack Obama a toutefois annoncé qu’elle allait renoncer à ce moyen de pression, et laisser l’Icann gérer en autonomie les fonctions de l’IANA, sans contrat.
Personne ne sera satisfait à 100 %, ce qui est bon signe
Reste à voir au sein de quelle Icann, puisque la réforme de son mode de gouvernance est une condition sine qua non. C’est là tout l’enjeu du congrès de Marrakech, qui doit permettre de réaliser enfin cette transition déjà annoncée pour 2015, et finalement repoussée. « S’il y a un accord, nous pourrons tenter un sprint pour finaliser la transition d’ici le 30 septembre 2016, date à laquelle l’actuel contrat entre l’Icann et l’administration américaine se termine », nous explique Mathieu Weil, le directeur général de l’Afnic, qui gère les domaines français comme le .fr. Si ça traîne encore, les élections américaines et le changement d’administration pourraient porter un nouveau contre-temps.
M. Weil, qui co-préside le groupe de travail intercommunautaire chargé du renforcement de la responsabilité de l’Icann (CCWG-Responsabilité), se dit confiant sur l’issue des négociations, même s’il reste prudent. « Nous avons de bonnes chances qu’un accord soit adopté », estime-t-il. « Il y aura des mécontents. Personne ne sera satisfait à 100 %, ce qui est bon signe puisque ça montre que tout le monde fait les compromis nécessaires. Mais l’essentiel c’est que personne ne fasse de ses désaccords un point de casus belli »,
Une instance d’appel, et un droit de veto
Outre le renforcement de la transparence et de la responsabilité de l’IANA, deux grands axes essentiels de réforme devraient être adoptés :
- Les décisions prises par le Conseil d’administration de l’Icann (telles que l’octroi d’un nouveau nom de domaine de premier niveau comme le .vin) pourront faire l’objet d’un recours par toute personne intéressée devant une instance d’appel, composée de sept juges. L’avis de cette « cour d’appel » s’imposera au Conseil d’administration, alors que celui-ci est jusqu’à présent souverain ;
- Les organismes qui représentent les différentes parties prenantes au sein de l’Icann (gouvernements, utilisateurs, NIC, gTLD,…) pourront imposer leur veto aux décisions du Conseil d’administration, par un vote majoritaire.
L’accord n’est toutefois pas pleinement satisfaisant, notamment au vu des intérêts français. La France plaidait notamment pour une plus grande diversité dans les instances représentatives, actuellement dominées par les pays et entreprises anglo-saxons, ce qu’elle ne devrait pas obtenir. Par ailleurs les États-Unis sont en voie d’obtenir que les décisions adoptées par l’organisme qui représente les gouvernements au sein de l’Icann soient prises selon une règle de stricte consensus, donc d’unanimité, ce qui revient à donner aux USA et aux autres états représentés un droit de veto.
« L’important à courte échéance, c’est d’obtenir un accord pour stabiliser le fonctionnement de l’IANA. Il y aura une deuxième phase pour revenir sur les questions de gouvernance en suspens », veut croire Mathieu Weil.
Réponse en mars prochain.
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