Ce qui était redouté depuis de nombreux mois par la communauté du Bitcoin est arrivé : la capacité du réseau a atteint sa limite de traitement de transactions. Habituellement, le temps qui s’écoule entre la transaction et sa validation par le réseau varie entre 10 et un peu plus de 40 minutes. Mais l’acceptation du Bitcoin comme moyen de paiement sur de plus en plus de sites internet, et la croissance naturelle en termes d’utilisateurs du réseau, a provoqué d’énormes congestions dans la chaîne de blocs.
Concrètement, une transaction peut maintenant rester dans le pool d’attente pendant près 4 heures, et même parfois jusqu’à 16 heures ; des délais qui mettent en émoi l’ensemble de la communauté. En conséquence, les développeurs ont demandé aux utilisateurs d’éviter de faire des échanges dans les prochains jours.
Un problème de fond
Il faut voir la chaîne de blocs comme un immense registre qui contient toutes les transactions jamais effectuées, et sur lequel reposent à la fois l’intégrité et la validité du système. Pour valider des transactions, les mineurs doivent créer des blocs dans la chaîne de blocs et chacun d’entre-eux peut contenir 1 Mo d’informations. Mais avec le volume actuel de transactions, 1 Mo ne suffit plus, et c’est ce qui provoque les congestions du réseau.
Le système est censé pouvoir balancer la surcharge en augmentant les frais liés aux transactions — ce qu’il fait. Mais même l’augmentation des frais ne permet pas de freiner la lente hémorragie dont souffre le Bitcoin.
À l’origine de ce problème, il y a Satoshi, le mystérieux fondateur de la cryptomonnaie. Il a arrêté de travailler sur son invention et l’a confiée à Gavin Andresen, un des premiers contributeurs au projet. Gavin s’est lui-même entouré de quatre autres développeurs pour l’aider dans sa tâche et pour reprendre les rênes au cas où il lui arriverait quelque chose. Depuis, les développeurs ont conscience que la limite de 1 Mo imposée par Satoshi était due à la limitation de la puissance de calcul de l’époque, alors que les composants se sont améliorés. Mais chaque fois qu’il a fallu aborder l’augmentation de la taille des blocs, les développeurs ont toujours préféré reporter la question à plus tard.
Conséquence directe, un schisme s’est créé entre les acteurs de la cryptomonnaie qui considèrent qu’il faut augmenter la taille des blocs à 8 Mo et ceux qui préfèrent rester à la taille actuelle.
Une querelle interne
Les premiers se rangent du côté de Bitcoin Core, l’équipe en charge du code original, tandis que les autres supportent des alternatives en faveur de l’augmentation de la taille des blocs, à savoir Bitcoin XT, Bitcoin Classic, et Bitcoin Unlimited. Ces versions modifiées de Bitcoin, une fois installées sur un nœud, permettent aux mineurs de lancer un vote pour changer la limite imposée de 1 Mo. Le premier d’entre-eux partait d’une idée simple : si 75 % des blocs votaient en faveur de l’augmentation, des blocs plus gros auraient été mis en place.
Mike Hearn, un des développeurs derrière Bitcoin XT — qui a depuis quitté le projet — a raconté dans un billet que, dès le lancement, 15 % des nœuds ont commencé à utiliser la version modifiée de Bitcoin. Mais cette démocratie n’était pas au goût de tous.
« C’est là que les attaques par déni de services ont commencé, écrit Hearn, les attaques étaient si larges qu’elles ont coupé des régions entières d’Internet ». Plus loin, l’homme explique que parfois, les attaquants s’en prenaient directement à des datacenters qui hébergeaient un seul nœud sous Bitcoin XT jusqu’à ce que celui-ci soit retiré. Hearn conclut simplement en disant que « le message était clair : quiconque supporterait des blocs plus larges ou permettrait ne serait-ce que de voter pour eux, serait attaqué ».
De leurs côtés, les défenseurs du système actuel reprochent aux partisans du changement d’être à l’origine de la surcharge du réseau, en forçant des frais de transactions si faibles que les mineurs ne s’embêtent même pas à les accepter.
Une crise existentielle
Mais si le Bitcoin est aujourd’hui gangrené par ces querelles intestines, c’est à cause de la nature même de la monnaie. À l’origine, l’expérience du Bitcoin était de créer une monnaie virtuelle entièrement décentralisée. Or, l’augmentation croissante de la chaîne de blocs a fait passer le minage d’une activité accessible au statut d’industrie onéreuse aux répercussions bien réelles.
La pratique demande aujourd’hui tellement de ressources matérielles qu’elle est l’apanage d’une élite de mineurs qui créent d’immenses fermes, générant plusieurs millions d’euros tous les mois. Celles-ci sont principalement chinoises et les deux principaux acteurs détiennent 50 % de l’entière puissance de calcul du réseau.
Cela soulève d’ailleurs un autre problème auquel fait face le Bitcoin, à savoir que si de nombreuses transactions sont bloquées, c’est à cause d’interférences dues à la censure du Grand Firewall de Chine.
Bien installées, et de peur d’affoler leurs investisseurs, ces sociétés refusent de faire un quelconque pas en avant vers le changement. Elles préfèrent donc tourner la tête et enterrer le problème… avec le résultat que l’on connaît. Aujourd’hui, si le Bitcoin ne change pas, il pourrait bien être en train de vivre ses derniers moments. Les différents acteurs de la cryptomonnaie devront donc faire un choix, entre augmenter la taille des blocs pour permettre au réseau de suivre la charge, ou limiter drastiquement l’usage du Bitcoin.
Ou pour reprendre les mots de Hearn : « Si la décentralisation est ce qui fait du Bitcoin quelque chose de bien, et que la croissance menace cette décentralisation, alors peut être que le Bitcoin ne devrait pas être autorisé à grossir ».
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