Le journaliste Jean-Michel Aphatie reproche au député Lionel Tardy d’avoir tweeté l’audition des responsables de l’Equipe de France de football à l’Assemblée Nationale. Il y voit une ingérence déplacée de l’élu dans le domaine réservé du journalisme. Sans se demander ce que devrait être le journalisme en 2010.

Comment a-t-il osé ? En « tweetant » mercredi des bribes de l’audition de Jean-Pierre Escalettes et Raymond Domenech, comme il le fait régulièrement à de nombreuses occasions, le député Lionel Tardy a commis un crime de lèse-journalisme. Ce qui a profondément agacé Jean-Michel Aphatie, intervieweur star de RTL et de Canal+ :

Un huis clos est décidé par la commission machin à l’Assemblée nationale. On peut penser que le huis clos est idiot. Et donc, on ne participe pas à une réunion que l’on trouve idiote. Mais y participer en  » twittant  » clandestinement les propos tenus par les protagonistes, c’est-à-dire en ignorant le pacte passé des participants à cette réunion, ce n’est pas joli-joli.  » Twitter  » dans ces conditions, c’est se dissimuler et trahir, en clair agir sournoisement. Autant de qualifications assez éloignées des valeurs d’une démocratie.

Peut-être Jean-Michel Aphatie n’est-il pas au courant que même une audition sous huis clos donne lieu systématiquement à un compte-rendu officiel dans les jours qui suivent, qui reproduit en principe fidèlement les propos tenus. Et que le huis clos n’est donc pas idiot, mais très fictif. Il permet surtout aux participants de parler sans la présence des lumières des caméras, des claviers bruyants des ordinateurs portables ou des obturateurs claquants des d’appareils photo. Qu’un député tweete n’est pas la trahison d’un secret d’Etat, mais la trahison d’une chronologie médiatique qui donnait la part belle aux journalistes. C’est d’ailleurs ce que concède Aphatie à la fin de son billet d’humeur :

Un journaliste à l’ancienne prend son téléphone et faite le tour des participants. Travail nécessaire à l’information des citoyens. Il se fait raconter les réunions, les propos tenus. Par la multiplicité des sources et le croisement des récits, il parvient à dégager une vérité suffisamment fiable pour pouvoir informer les citoyens. (…)

Ce travail s’inclut plus harmonieusement dans un ordre démocratique. Celui dont c’est le métier tente de raconter une scène, de la mettre en perspective, donc d’informer l’opinion. Quand un acteur de la scène publique se livre à ce travail, à chaud, dans l’immédiateté, il ne fait rien d’autre qu’occuper un champ qui n’est pas le sien pour effectuer une tâche qui n’est pas sienne.

Ainsi dans le « journalisme à l’ancienne » comme l’appelle Aphatie, le journaliste avait la primeur des informations. Ses journaux se vendaient, ses émissions de radios s’écoutaient, parce que le journaliste allait révéler une information jusque là inconnue. Le député qui tweete casse cette exclusivité temporaire. Il viole la règle du jeu. Vexation suprême du journaliste qui ne trouve plus sa place dans la société moderne.

Mais le problème n’est pas ne plus trouver sa place. C’est celui de ne plus la chercher. Or dans son billet, à aucun moment Apathie ne se demande ce que cette nouvelle donne change au métier de journaliste. Il se contente de critiquer celui qui a cassé le code.

Nous ne qui ne sommes pas de l’école du « journalisme à l’ancienne », et qui d’ailleurs ne nous définissons pas comme journalistes mais plutôt comme éditorialistes, avons depuis longtemps compris que notre rôle n’était pas de rapporter des informations. Mais plutôt de les analyser, d’y apporter un éclairage, une critique constructive. L’important n’était pas de rapporter ce qu’ont dit Domenech ou Escalettes, mais de dire aux lecteurs pourquoi ils l’ont dit, ce que ça implique, et de dire aussi ce qu’ils n’ont pas dit, et ce que ça peut dissimuler. Bref, de s’intéresser davantage au fond qu’à la forme.

Le tweet ne rabaisse pas le journaliste. Il l’oblige au contraire à s’élever et lui donne un rôle beaucoup plus important que celui de simple rapporteur de nouvelle, ou de passe-plat. C’est une chance pour la démocratie, pas une malédiction.

Dans une chronique l’an dernier, Jean-Michel Aphatie avait critiqué « une certaine dérive d’internet, où dominent la colère et le ressentiment, ce qui diminue, évidemment, le professionnalisme« . La colère et le ressentiment ont changé de camp.

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