Nous l’avions souhaité, Free pourrait le faire. Lors du débat sur l’augmentation de la TVA sur les offres Internet triple-play, le gouvernement avait prétendu à tort qu’il s’agissait là d’une décision impérative imposée par Bruxelles. Nous avions expliqué cependant qu’il était tout à fait possible de répondre à l’injonction de la Commission Européenne en obligeant les fournisseurs d’accès à Internet à détailler le prix des différentes composantes de leurs offres triple-play.
Dans la lettre qu’elle avait envoyée en avril 2010 à la France, la Commissaire européen en charge de la fiscalité, Algirdas Semeta, n’avait pas critiqué le principe-même d’appliquer le taux réduit de TVA (5,5 %) sur les services audiovisuels des offres ADSL, mais la manière. « La TVA réduite est applicable même si le client n’est pas matériellement susceptible de bénéficier de la TV, par exemple parce qu’il n’a pas le décodeur nécessaire, ou parce que la TV n’est pas accessible pour des raisons techniques. Dans certains cas, l’application de la TVA réduite est donc complètement déconnectée de la fourniture même du service bénéficiant de la TVA réduite« , remarquait la Commission dans sa missive.
Ne voulant pas porter atteinte au modèle économique des opérateurs, le gouvernement n’avait pas souhaité les contraindre à vendre les services TV séparément de l’accès à Internet, sous forme d’option (ce qu’avaient demandé les députés en 2009). C’est pour cette raison que le taux normal de TVA à 19,6 % s’appliquera désormais sur l’ensemble de la facture.
Mais selon ZDNet, Free « envisagerait de dissocier à parts égales sur la facture de l’abonné les trois services qui constituent le triple play« . L’accès à Internet serait facturé environ 9 euros, comme la téléphonie, et la télévision. « Cette astuce permettrait alors d’appliquer la TVA globale à 19,6% seulement sur les 9 euros de la télévision et non sur la base totale (environ 30 euros) comme chez les concurrents« , indique Zdnet, qui rapporte que « ce système permettrait de limiter la hausse globale à 1 euro contre 2 à 3 pour la concurrence« .
Des offres séparées, mais une vente liée ?
En fait, selon notre interprétation, l’astuce ne permettrait pas « d’appliquer la TVA à 19,6 % sur les 9 euros de la télévision », mais plutôt de lui appliquer le taux réduit de 5,5 %, le reste étant toujours soumis au taux normal. L’article 11 de la loi de finances 2011 dit en effet que « le taux réduit n’est pas applicable lorsque la distribution de services de télévision est comprise dans une offre unique qui comporte pour un prix forfaitaire l’accès à un réseau de communications électroniques« . A contrario, il faut donc comprendre que le taux de 5,5 % peut continuer à s’appliquer si l’offre triple-play est démembrée. Ce qui est d’ailleurs confirmé par la suite de l’article, qui autorise l’application du taux réduit de TVA lorsque les services de télévision sont « distribués effectivement par ce distributeur dans une offre de services de télévision distincte de l’accès à un réseau de communications électroniques« .
Il ne faudrait donc pas seulement que Free détaille le prix des différentes composantes pour continuer à bénéficier du taux réduit sur la partie TV, mais aussi qu’il les affiche sous forme d’offres distinctes les unes des autres.
Il faut rapprocher cette hypothèse du constat fait en février dernier par l’ADUF, l’association des utilisateurs de Free. Elle remarquait l’apparition d’un nouveau firmware dont « le changement le plus important permet désormais à Free, en cas de défaut de paiement, de couper une partie des services offerts…« . L’opérateur est depuis « capable de bloquer la navigation, la téléphonie ou le service télévision, indépendamment l’un de l’autre« . Cette évolution avait été perçue comme une préparation aux coupures d’accès à Internet prévues par la loi Hadopi, puisque la loi interdit de couper également le téléphone et la télévision. Mais il s’agit surtout d’un moyen pour l’opérateur de différencier ses prestations, et leur facturation.
Il ne s’agit cependant encore que d’une hypothèse. Free a probablement plus à perdre qu’à gagner à proposer l’abonnement à Internet sans télévision ni téléphonie. Plus encore avec la Freebox v6 qu’auparavant, le téléviseur devient avec le Free Store un moyen de vendre des contenus à valeur ajoutée. La solution pour Free pourrait donc être de réaliser un montage juridique et financier qui distingue les différentes offres du triple play avec leurs taux de TVA différents, mais de les commercialiser sous une forme qui oblige à y souscrire toutes ensemble.
Si l’article L122-1 du code de la consommation interdit la vente liée, l’opérateur pourrait se reposer sur un jugement de la Cour de Justice des Communautés Européennes, du 23 avril 2009. S’intéressant à l’équivalent belge de cette disposition, la justice européenne avait en effet estimé que la prohibition de principe de la vente liée était contraire à la directive 2005/29/CE, qui établit une liste restrictive des pratiques commerciales qui sont réputées déloyales en toutes circonstances. Cette liste ne mentionne pas la vente liée, et s’agissant d’une directive d’harmonisation, elle s’impose au droit national.
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