On a eu un léger sursaut en voyant la figure illuminée de bonheur d’EnjoyPhoenix dans les pages du Financial Times de ce lundi. Bien que nous prenons l’habitude de voir les youtubeurs et les vidéastes de la plateforme prendre une nouvelle importance en politique, comme dans le coeur des jeunes générations, voir le quotidien financier américain porter sa très sérieuse attention à notre Marie Lopez nationale, icône de la génération YouTube, a de quoi surprendre.
Mais si le prestigieux FT s’y intéresse, c’est aussi parce que les montants d’argent désormais échangés dans la microsphère du vlog sont très loin de l’amateurisme revendiqué du vlog beauté, et en font une véritable industrie du showbiz nouvelle génération.
La France, royaume de YouTube
Lorsque nous traitions l’impact culturel et moral de l’hystérie autour des YouTubeuses, nous n’avions pas spécialement abordé la question économique alors même que, spécialité française, elle est cruciale. La France a en effet la particularité d’être un pays où les jeunes gens ont presque tous un smartphone et où sont installés les plus importantes industries de la cosmétique, à commencer par le géant L’Oréal. Or c’est aujourd’hui grâce à cet étrange cocktail national qu’est en train de s’installer une vraie économie du vlog beauté.
Au delà des revenus souvent commentés des stars de ces nouvelles productions web, la question de la publicité et des accords avec les marques est un point bien plus délicat. Notamment parce que les fans des vidéastes sont assez intraitables lorsqu’elles ont l’impression d’être prise pour appât par leur YouTubeuse. Nombreux sont les scandales des communautés reprochant à untel ou unetelle un contrat trop voyant avec une marque, pour un placement de produits. Il s’agit alors pour ces chefs de communauté de jouer habilement entre les partenariats commerciaux et leur propre crédibilité aux yeux de leur audience.
Les ados ne bloqueront pas les pubs qu’ils veulent voir
Toutefois, ces mêmes créateurs de contenus sont la nouvelle cible fétiche des publicitaires français. Ainsi, comme le relevait le Financial Times, L’Oréal est totalement conscient que face aux évolutions, l’influence de la publicité sur les jeunes générations a énormément évolué. Ces derniers adoptent facilement un bloqueur de publicités lorsqu’ils surfent, et de plus le lien entre le consommateur et la marque est en train d’être complètement bouleversé par l’essor des tests, tutoriels et conseils. Ce qui se mesure dans la tech grand public s’observe sur de plus en plus de marchés : le consommateur est conscient, informé et va à la rencontre des intermédiaires entre la marque et lui afin de déterminer son achat.
Il n’y a finalement que peu de différence formelle entre lire un test de Numerama avant d’acheter une trottinette et regarder un comparatif de fonds de teint sur YouTube — à cela près que le test est impartial, peut être négatif et n’est pas payé par la marque… mais ce pacte implicite n’est pas rappelé. Or dans un monde où les jeunes générations ne regardent plus la télé et bloquent les publicités, le dernier recours devient l’intermédiaire. Et pour L’Oréal, c’est EnjoyPhoenix.
Aujourd’hui de nombreuses marques offrent à des YouTubeurs un cachet et un budget
La marque n’a pas souhaité aborder avec le quotidien économique les sommes engagées pour sa campagne avec la youtubeuse. Lubomira Rochet, directrice des opérations numériques explique toutefois sa démarche ainsi : « Nous cherchons à faire de meilleurs contenus, des expériences, avec des excellents formats pour nos consommateurs — spécialement pour une tranche d’âge pour laquelle les bloqueurs de publicité sont devenus mainstream ».
Face aux ad-blockers des millenials, la seule solution de L’Oréal pour continuer d’atteindre sa cible est d’investir dans cette nouvelle publicité. Ce n’est pas tout à fait le cadre de ce que la presse écrite peut faire avec des articles sponsorisés, mais il s’agit là de placements de produit classiques, et surtout de production. Aujourd’hui de nombreuses marques offrent à des YouTubeurs un cachet et un budget pour réaliser leur propre contenu avec en filigrane, le partenariat. Mme. Rochet ajoute par ailleurs : « La principale chose que le blocage des publicités met en avant c’est la fatigue de la publicité traditionnelle. Nous devons réinventer une expérience à la fois moins dérangeante, plus immersive et plus personnalisée ».
La France est donc en train d’innover et d’inventer la pub de demain pour les adolescents, du placement de produit malin au milieu de tutoriels beauté. Aussi léger que semble être le sujet, les sommes en jeu pour l’industrie cosmétique forcent le secteur à se renouveler, et vite.
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