Il s’agit de douze secondes d’une comptine. Réalisé par Thomas Edison, le plus vieil enregistrement musical destiné à la vente, devenu inaudible, a été ramené à la vie par une équipe de scientifiques. L’occasion de rappeler à quel point l’industrie musicale est une industrie récente, qui ne pourrait être qu’une maigre parenthèse dans l’histoire de l’art…

Earl Cornell et Carl Haber, deux scientifiques du Laboratoire National de Lawrence Berkeley, en Californie, ont redonné vie au plus vieil enregistrement musical connu destiné à la vente. Le magazine Science explique qu’il s’agit d’un extrait de 12 secondes (.mp3) d’une femme récitant le premier couplet de la comptine Twinkle Twinkle, Little Star (sur l’air de « Ah ! vous dirai-je, maman »), très populaire aux Etats-Unis. Ce sont les équipes de Thomas Edison, l’inventeur du phonographe, qui avaient fixé en 1888 cette voix féminine sur un cylindre métallique destiné à la toute première « poupée qui parle » mise en vente. Grâce à une manivelle, les enfants pouvaient écouter la comptine récitée par la poupée.

Le cylindre, retrouvé en 1967 dans les archives des laboratoires de Thomas Edison de West Orange, dans le New Jersay, était devenu totalement inaudible. Ses déformations empêchaient tout instrument mécanique de suivre le sillon pour lire l’enregistrement. Finalement, 123 ans après que la comptine fut dite, les scientifiques ont pu réécouter la voix enregistrée en 1888. Ils ont reproduit numériquement la topographie du cylindre grâce à un microscope confocal capable de reconstruire les variations de profondeur du tracé avec une précision de l’ordre du dixième de micromètre, soit environ 1/250 de l’épaisseur d’un cheveux. Un logiciel de synthèse a ensuite permis de lire l’enregistrement comme s’il était lu mécaniquement par une aiguille.

C’est à partir de cette invention du phonographe par Thomas Edison, et des premières commercialisations de disques (en fait d’abord des cylindres), que l’industrie musicale a véritablement décollé. Ce qui devrait faire s’interroger. Le plus vieux disque commercial au monde n’a que 123 ans. Et c’est au nom de cette industrie toute récente, qui n’a certainement pas créé la musique ni encore moins l’art, mais dont le modèle économique est des plus fragiles, que se déchaînent depuis les lois en série de protection des droits d’auteur qui aboutissent même, un siècle plus tard, à une gigantesque machine à envoyer des avertissements et des menaces à des centaines de milliers de citoyens. Quand réalisera-t-on que c’est aller trop loin ?

Il ne faut jamais perdre de vue que l’industrie musicale peut s’effondrer, et que ça ne sera pas la mort de l’art ou de la musique, mais le début de nouvelles formes d’expressions. L’historien de l’art Paul Oskar avait écrit le phénomène à propos du cinéma dans les années 1950 :

Il y a eu des périodes importantes de l’histoire culturelle où le roman, l’instrument de musique, ou la peinture sur toile n’existaient pas ou n’avaient aucune importance. D’un autre côté, le sonnet et le poème épique, les vitraux et les mosaïques, les fresques et l’enluminure des livres, la peinture sur vase ou les tapisseries, les bas-reliefs et la poterie, ont tous été des arts « majeurs » à différentes périodes et d’une certaine façon ils n’existent plus maintenant. D’un autre côté, le film est un bon exemple de la manière dont de nouvelles techniques peuvent conduire à de nouveaux modes d’expression artistique pour lesquels les esthéticiens du dix-huitième et du dix-neuvième siècle n’avaient aucune place dans leurs systèmes. Les branches des arts ont toutes leur apogée et déclinent, et même leur naissance et leur mort.

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