Rien ne s’oppose par principe à ce qu’un fabriquant d’ordinateur oblige ses clients à acquérir en même temps une licence de Windows et d’autres logiciels préinstallés, et rien ne l’oblige par principe à rembourser le prix des licences aux clients qui ne voudraient que du matériel. Ainsi a jugé en substance la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE), qui s’est prononcée mardi sur un vieux litige qui opposait le justiciable français Vincent Deroo-Blanquart à Sony Europe.
Le Français avait acheté en décembre 2008 un ordinateur portable Sony VAIO VGN-NR38E, qui était fourni obligatoirement avec Windows Vista et un ensemble d’outils préinstallés. Mais sachant qu’il préférerait y installer Linux et des logiciels libres, l’homme a refusé d’accepter le « Contrat de Licence Utilisateur Final » (CLUF) affiché au premier lancement de Windows, et écrit immédiatement à Sony pour demander le remboursement des logiciels dont il ne voulait pas. Évidemment, Sony refuse.
Après quelques mois de palabres, Sony finit par proposer au client de retourner l’ordinateur portable et de lui rembourser l’intégralité, soit 549 euros. Mais Deroo-Blanquart insiste — question de principe — et estime que l’obliger à choisir entre acheter Windows ou pas d’ordinateur du tout est une pratique de vente liée déloyale envers le consommateur. Il attaque, et réclame le remboursement de 450 euros de licences (ce qui aurait mis l’ordinateur complet sans Windows à moins de 110 euros), ainsi que 2 500 d’indemnisation de préjudice.
La prise en compte des attentes du consommateur moyen
Le plaignant a perdu en première instance en 2012 à Asnières, puis devant la cour d’appel de Versailles en novembre 2013, mais la cour de cassation a demandé à la CJUE de lui dire comment interpréter la directive de 2005 sur les pratiques commerciales déloyales, qui ne vise pas explicitement la vente liée.
Dans son arrêt Deroo-Blanquart du 7 septembre 2016, la CJUE estime que la vente liée d’un ordinateur et de ses logiciels préinstallés n’est pas en elle-même constitutive d’une pratique commerciale déloyale, définie par la directive comme une pratique « contraire aux exigences de la diligence professionnelle » qui « altère ou est susceptible d’altérer de manière substantielle le comportement économique (…) du consommateur moyen ».
Tout en affirmant à plusieurs reprises que chaque affaire doit être examinée au cas par cas par les juridictions nationales, la CJUE note qu’en l’espèce la cour d’appel a constaté que la préinstallation de Windows et de certains logiciels sur les ordinateurs de Sony « répond aux attentes » de la plupart des consommateurs sur le marché et que Sony n’a donc probablement pas cherché à changer leur comportement avec cette vente liée.
La bonne information du client différent
Par ailleurs, elle remarque que M. Deroo-Blanquart avait été informé par le vendeur de la présence de Windows Vista sur l’ordinateur, et du fait que Sony ne vendait pas le modèle nu, sans logiciels, ce qui écarte probablement le manque de diligences du vendeur. C’est d’autant plus vrai qu’il aurait aussi été informé du fait qu’il était « libre de choisir un autre modèle d’ordinateur, d’une autre marque, pourvu de caractéristiques techniques comparables, vendu sans logiciels ou associé à d’autres logiciels », et donc que personne ne l’a forcé à choisir ce Sony Vaio.
Même si la CJUE prévient qu’il « appartient à la juridiction nationale de déterminer » si de telles conditions peuvent compromettre sensiblement « l’aptitude de ce consommateur à prendre une décision commerciale en connaissance de cause », on comprend qu’il faudra beaucoup d’arguments pour convaincre les tribunaux.
De même, la Cour a refusé d’imposer aux vendeurs que soient détaillés les prix des ordinateurs, en indiquant le prix du matériel d’une part, et le prix des logiciels d’autre part. Elle estime qu’il ne s’agirait pas d’une « information substantielle » susceptible d’influencer la décision du consommateur et que, ce dernier n’ayant de toute façon pas d’autre choix que d’acheter l’ensemble ou un autre ordinateur, « l’absence d’indication du prix de chacun de ces logiciels n’est ni de nature à empêcher le consommateur de prendre une décision commerciale en connaissance de cause ni susceptible de l’amener à prendre une décision commerciale qu’il n’aurait pas prise autrement ».
Une décision qui déplaira fortement aux défenseurs du logiciel libre, qui espéraient que la transparence sur le prix d’une licence Windows (trop souvent perçue comme gratuite par les consommateurs) les convainquent de jeter un œil du côté des logiciels libres.
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