La gifle administrée aux partisans de la neutralité du net est rude mais elle était sans doute prévisible tant l’opposition à ce principe fondamental est forte parmi les grands opérateurs de réseau. Aux États-Unis, AT&T, qui est le principal fournisseur d’accès, a décidé de n’en faire qu’à sa tête ou presque en dévoilant une nouvelle formule qui profite d’une faiblesse dans la règlementation américaine.
Il s’agit d’un principe selon lequel tout le trafic est traité de façon égale, sans discrimination, limitation ni interférence, qu’importe l’expéditeur, le destinataire, le type, le contenu, l’appareil, le service ou l’application.
Concrètement, AT&T passe par la pratique dite du « zero rating » qui consiste à ne pas facturer l’usage de certains services alors même qu’ils sont utilisés à travers le forfait du client. Par exemple, cela peut être des offres qui incluent Facebook et YouTube mais pas Twitter et Dailymotion ; les premiers peuvent être consultés sans limite alors que les seconds consomment l’enveloppe mensuelle de data.
Dans le cas de l’opérateur américain, The Verge signale que depuis cette semaine, le nouveau service de streaming baptisé DirecTV Now se voit appliquer la politique du « zero rating ». Les abonnés peuvent ainsi profiter de DirecTV Now sans contrainte : son usage ne sera pas décompté des x gigaoctets auxquels ont droit chaque mois les mobinautes chez AT&T.
Pour cela, AT&T exploite la décision de la commission fédérale des communications (FCC) de ne pas bannir explicitement le principe du « zero rating ». À la place, la FCC a décidé que ces schémas seront jugés au cas par cas, ce qui constitue de fait une incitation pour que les opérateurs tentent leur chance et voient si c’est admis ou s’ils devront revenir à la charge une prochaine fois.
Les États-Unis ont pourtant installé début 2015 un nouveau cadre pour la neutralité du net. Hormis l’enjeu du « zero rating », le règlement doit permettre de mieux la faire respecter outre-Atlantique, en faisant de l’accès au net un service d’utilité publique devant respecter des obligations d’ouverture et de non-discrimination. Voilà pour la théorie : en pratique, le fournisseur d’accès AT&T montre les failles du dispositif.
AT&T n’est pas le premier opérateur à exploiter le « zero rating » pour essayer de limiter les effets de la neutralité du net. T-Mobile a montré la voie l’an dernier avec une approche du même acabit. Mais pour The Verge, on change complètement d’échelle avec AT&T. Une échelle « qui compte », jugent nos confrères. « Et la version d’AT&T est bien pire que celle de T-Mobile », ajoutent-ils.
Une manière détournée d’enfreindre la neutralité du net
À première vue, la perspective d’avoir de la vidéo gratuite qui n’est pas comptabilisée dans le forfait pourrait réjouir la clientèle de l’opérateur. Après tout, n’est-ce pas tout simplement formidable de voir qu’un opérateur se démène pour ses mobinautes, afin qu’ils puissent avoir une expérience aussi riche que possible ?
Sauf qu’il s’agit d’une manière détournée d’enfreindre la neutralité des réseaux. AT&T, ici, applique le « zero rating » sur son service. Quelle conséquence cela-t-il peut-il entraîner ? C’est simple : les clients auront tôt fait d’aller plutôt sur DirecTV plutôt que chez un concurrent qui, lui, n’a pas le droit au « zero rating ». C’est une façon de garder captifs ses clients dans un écosystème façonné par l’opérateur.
Toute la question est de savoir si la FCC, puisqu’elle doit passer en revue au cas par cas les fais de « zero rating », acceptera l’approche d’AT&T ou si elle la dénoncera ; dans le cas de T-Mobile, note The Verge, la commission fédérale des communications n’a pas cherché à mettre fin à sa stratégie. Mais son ampleur est considérée comme bien moindre ; reste qu’une infraction demeure une infraction.
La décision d’AT&T survient dans un contexte politique particulier : Donald Trump, dont la position anti-neutralité du net a été constatée au cours de la campagne présidentielle, a nommé dans son équipe de transition deux personnalités qui sont notoirement connues pour être des adversaires de ce principe fondamental et favorables à un démantèlement, ou en tout cas une diminution des pouvoirs de la FCC.
On peut ainsi se demander si AT&T n’a pas été encouragé en quelque sorte à aller dans cette direction maintenant que Donald Trump, plutôt favorable à une dérégulation dans le secteur des télécoms, est sur le point d’accéder à la Maison Blanche. Rappelons d’ailleurs qu’il sera amené à renouveler quatre membres de la FCC dont les mandats se terminent en 2017 et 2018.
L’affaire devrait en tout cas être suivie avec attention par les opérateurs européens qui ne sont pas non plus des farouches partisans de la neutralité des réseaux. On se souvient par exemple qu’Orange n’a pas caché son hostilité à toute imposition sur les réseaux télécoms du principe de non-discrimination même si, en règle générale, les fournisseurs d’accès ont plutôt tendance à prétendre y être favorables.
Et en Europe ?
La situation que connaissent les États-Unis pourrait-elle faire tache d’huile en Europe ? La question est en suspens : à la fin du mois d’août, l’organe des régulateurs européens des télécommunications a communiqué ses lignes directrices sur la neutralité du net qui s’imposent à toutes les instances du Vieux Continent, comme l’autorité de régulation des communications électroniques et des postes (Arcep) en France.
Comme l’avait analysé La Quadrature du Net, ces lignes directrices sont très clairement favorables aux internautes. Cependant, l’association avait fait remarquer qu’en ce qui concerne le « zero rating », il « n’est pas nommément interdit », même si la formulation du texte doit éviter toute ambiguïté sur le sujet. C’était ce que nous avions également noté en parcourant le nouveau cadre :
Les lignes directrices interdisent quasiment dans les faits la pratique du « zero rating ». Ces pratiques contestées n’étaient pas interdites explicitement par le règlement européen. Elles ne le sont toujours pas formellement par le BEREC, mais les conditions fixées sont tellement strictes qu’il sera très difficile pour un opérateur de continuer à avoir recours au « zero rating ».
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