Entre les indépendants et les gros éditeurs, les studios de jeu vidéo de moyenne taille (ou AA) nagent entre deux eaux parfois troubles.

Quand on pense « grosses galères financières » en termes de jeux vidéo, nos pensées se tournent souvent — à juste titre — vers les petits studios indépendants qui souffrent d’un manque de moyens inhérent à la taille de leur structure.

Toutefois, ils ne sont pas les seuls à faire face aux difficiles enjeux du marketing et de la production de jeux vidéo. Car même en atteignant un nombre d’employés plus conséquent, les studios de jeux vidéo de taille moyenne, dits AA, ont également leurs démons à combattre.

Nous avons rencontré les représentants des firmes Dontnod et Amplitude, deux studios AA à qui l’on doit Remember Me et Life is Strange pour l’un, Endless Legend et Endless Space pour l’autre.

Le prérequis : créer en permanence

En discutant avec les principaux concernés, on réalise que la plus grande difficulté est de devoir assurer une production en permanence pour maintenir la barque à flots. Là où un studio indépendant va tout mettre en œuvre pour créer son petit bijou et entrer ensuite dans une phase de vente où il va tenter de vivre sur les revenus de son jeu, le studio AA n’attend pas.

Très vite, la nécessité d’instaurer une boucle de production se fait sentir. « La production des jeux quand on est un AA doit être un circuit court, c’est-à-dire entre 2 et 3 ans par jeu. » explique Oscar Guilbert, président de Dontnod. Une fois la production d’un titre suffisamment avancée, une équipe commence sans plus attendre à concevoir un prochain projet.

« Pour la série des Endless, on avait calculé le nombre de ventes suffisant pour pouvoir vivre. Il est nécessaire d’effectuer ce genre d’étude avant même de commencer la production d’un jeu. On débute ensuite le projet avec une équipe restreinte et on multiplie l’effectif par rapport à notre objectif financier, au fur et à mesure de l’avancement » détaille Romain de Waubert, co-fondateur du studio Amplitude.

Le début de production réunit donc en petit comité le personnel chargé de mettre en place le squelette du titre, avant de partir dans une phase de programmation. Il poursuit :  « D’abord en équipe de 5, avec des scénaristes, des game designers, puis à 30 ou 40 personnes au gros de la production, qui correspond souvent au milieu du processus de production en termes de temporalité. Puis, petit à petit le plateau décroit à la fin, avec des program designers, des producteurs, et les autres passent sur un autre projet.« 

La méthode semble reprendre celle de la production des plus grands éditeurs, mais avec des moyens beaucoup plus réduits. Pour ne pas tomber dans les travers aussi bien créatifs avec un Endless Space 15ème du nom et les travers financiers que susciterait un manque d’appétence du public si le titre n’est pas vendeur, tout l’enjeu réside dans le fait de pouvoir perfectionner les rouages de cette mécanique bien huilée.

Proposer un contenu propre au studio

Si la livraison de commandes spécifiques à des éditeurs tiers peut être une solution pour se garantir un certain confort de revenus, la question n’est pas vraiment d’actualité pour Dontnod comme pour Amplitude.

« Chez Amplitude, nous ne faisons pas de commandes. On voulait conserver notre univers, de jeux 4x, de stratégie. Il y a toutefois de très belles commandes qui sont proposées, mais les éditeurs ne savent pas toujours comment motiver les développeurs. De plus, il est difficile de sortir de la commande une fois qu’on y est entré », explique Romain de Waubert.

Une vision partagée par Oscar Guilbert, qui souhaite également conserver un modèle de jeux avec un contenu narratif fort. Pour cela, Dontnod s’allie avec les éditeurs pour se garantir une sécurité financière.

Son président affirme : « En tant que studio AA, notre modèle diffère de ce que pourraient faire les grandes firmes. Nos frais pendant la production sont couverts par les éditeurs. Si le jeu marche bien, on génère du profit et c’est comme ça que ça fonctionne. Le risque que l’on ne prend pas, c’est l’éditeur qui le prend. On travaille avec plusieurs éditeurs, Square Enix et Focus, afin de ne pas mettre tout nos oeufs dans le même panier.  L’avantage ? « Si l’un des éditeurs décide d’arrêter un projet, on peut se reposer sur d’autres éditeurs. »

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Accepter l’aide d’un éditeur ou d’un groupe est probablement la condition requise pour permettre aux studios AA de conserver leur cap et leur objectifs avec leur taille. À défaut d’avoir choisi un éditeur fixe pour la publication de ses titres, Amplitude a rejoint un groupe de studios, issus pour la plupart de l’Europe de l’Ouest et d’Amérique du Nord, et dirigé par Sega.

Romain de Waubert précise : « L’objectif de Sega est de mettre à disposition un service commun de marketing, de relation public, de sécurité, et professionnaliser la relation client » explique le fondateur d’Amplitude. Il arrive à un moment où on ne peut plus poursuivre sa croissance seul. »

Communiquer, c’est la clé

Pendant ces discussions avec les développeurs indépendants autour des difficultés à faire connaître et vendre leur jeu, le même obstacle revient souvent : celui de la communication. Quand on est seulement 2 ou 3 à cravacher pour pouvoir programmer et produire le titre qui nous est si cher, il devient compliqué de consacrer du temps à la communication de son jeu sur les réseaux sociaux, dans la presse, auprès des joueurs…

À une échelle comme celle des studios AA, cette donnée devient indispensable. Pour Amplitude, qui a commencé en tant que studio indépendant avec un nombre restreint d’employés, la communication fait partie intégrante du processus de production : « La communication d’Amplitude est une approche qui se fait sur plusieurs domaines comme les réseaux sociaux, le fait d’inviter les joueurs à créer avec nous, faire du crowdsourcing afin d’amener un coeur de cible autour du jeu. On a directement investi dans ces éléments de marketing et de community management plutôt que de trouver quelqu’un pour le faire. »

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Communiquer avec son public, mais également communiquer avec ses collaborateurs s’impose comme une évidence au sein de ce type d’entreprise. Avec l’expérience de la production indépendante derrière lui, Romain de Waubert formule un dernier conseil : « Quand on démarre sa boite, il faut être sûr de mener le projet à bout, et ne pas laisser de place à l’aléatoire. Il faut déterminer des règles, des codes, une hiérarchie. Il arrive souvent que des débuts de succès fassent exploser certaines relations. Il faut savoir être très clair au début et bien répartir les tâches. Parfois les amis ne sont pas les meilleures personnes avec qui travailler. »

Des règles qui peuvent paraître simples et évidentes pour tous, toutes indispensables à la bonne vie au sein d’un studio AA. Constamment entre deux eaux, les enjeux de ces infrastructures font parfois faire à ses employés un numéro d’équilibriste qui peut parfois coûter très cher.

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Cette année encore, la fermeture de studios comme United Front Games (Sleeping Dogs) rappelle l’existence du mince fil sur lequel évoluent ces professionnels de l’industrie, qui, même avec la meilleure volonté du monde, ne parviennent pas à survivre dans un milieu où les tendances et les technologies sont sans cesse en mouvement.

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