C’est le projet le plus philanthropique que l’on puisse imaginer, et il est incroyable qu’il ait fonctionné. Des milliers d’hommes et de femmes du monde entier se sont réunis autour de l’idée utopique de mettre ensemble tout leur savoir, pour créer l’encyclopédie la plus complète et la plus précise possible de toutes les connaissances du monde. Sans rémunération ; juste pour le plaisir du partage et de la création commune d’un monument intellectuel voué à s’inscrire dans le patrimoine mondial de l’Humanité.
Mais la philanthropie n’est pas la valeur la mieux partagée du monde et certains n’hésitent pas à vouloir détourner le projet à des fins purement commerciales.
C’est le cas d’Orange. L’opérateur a créé en 2009 son propre miroir de l’encyclopédie, sous l’adresse wikipedia.orange.fr, et un autre sous la marque de sa filiale Voila, sur encyclo.voila.fr. Le principe des deux miroirs est identique. Il s’agit à chaque fois de proposer une copie conforme du contenu de Wikipédia, en ajoutant dans l’interface des espaces publicitaires absents de l’encyclopédie originelle, ou des liens menant aux autres contenus des portails. L’opérateur veut ainsi capitaliser sur du contenu qu’il n’a pas produit (1,2 millions d’articles francophones actuellement), pour en tirer des recettes publicitaires.
C’est autorisé par la licence de Wikipédia, qui est très permissive. Tous les contenus de l’encyclopédie sont mis à disposition sous licence Creative Commons by-sa, qui n’exclut pas la reproduction à des fins commerciales.
Jusque là donc, tout va bien. Si l’on peut dire.
Mais Orange va beaucoup plus loin et, selon nous, franchit la ligne rouge. Non seulement l’opérateur copie Wikipédia, mais en plus il impose à ses moteurs de recherche de remplacer les résultats devant mener au site officiel de Wikipédia par son propre miroir. Ainsi, une recherche sur Orange.fr (ou la barre d’outils d’Orange) conduit vers le miroir de Wikipédia par Orange, tandis qu’une recherche sur Voila conduit vers le miroir de Wikipédia par Voilà :
Ainsi non seulement Orange copie Wikipédia, mais il prive ce dernier de la visibilité qu’il mérite, pour s’assurer que seule la version où il ajoute ses publicités sera vue.
Par ailleurs selon nos constatations, le miroir de Voila repose sur une version mise en cache de l’encyclopédie, avec un certain délai de latence pour les mises à jour, tandis que le miroir d’Orange est mis à jour en temps réel, ce qui suppose d’interroger en permanence les serveurs de Wikipédia. Impossible à faire sans l’autorisation expresse de Wikipédia.
Interrogé sur ce point par Numerama, Orange nous a confirmé qu’un accord avec la fondation Wikimédia signé en 2009 était toujours actif, mais sans vouloir nous préciser son contenu, notamment sur la contrepartie financière. « Nous ne pouvons pas divulguer les termes de notre partenariat« , nous indique l’opérateur.
Il n’a pas non plus voulu nous dire depuis quand les miroirs remplaçaient la version officielle de Wikipédia dans ses résultats de recherche. « Il ne s’agit pas de supplanter Wikipedia mais de lui apporter une audience complémentaire optimisée, sous une forme différente« , tient cependant à préciser Orange. « Le contenu des pages concernées n’est en rien affecté par Orange/Voilà et chaque internaute peut évidemment accéder aux même pages via l’URL de wikipedia« .
Orange ajoute, pour justifier sa politique, que « d’un point de vue opérationnel, Orange apporte à Wikimedia une audience qui, pour une grande partie, ne consulte pas Wikipedia habituellement« , et que « l’objectif principal de la fondation Wikimedia étant de diffuser le savoir au maximum de personne, cette audience supplémentaire est le principal atout de ce partenariat pour Wikimedia« .
« Une pratique éthiquement contestable »
Egalement contacté, Wikimédia France a préféré nous renvoyer vers le siège américain de l’encyclopédie, qui ne s’est pas montré beaucoup plus explicite qu’Orange sur le contenu de l’accord. Il confirme simplement qu’avec ses miroirs, « Orange a exercé ses droits » en vertu du « partenariat stratégique » d’avril 2009, qui prévoit une mise en avant des contenus Wikipédia sur les portails de l’opérateur. Il nous précise qu’un autre accord a été signé en 2012 pour une période de 3 ans, qui prévoit qu’Orange donne accès à Wikipedia mobile sans surcoût en Afrique et au Moyen-Orient. Aucun des deux acteurs ne souhaite communiquer sur d’éventuelles contreparties financières.
« A titre personnel« , le président de Wikimédia France, Rémi Mathis, voit un problème dans la mise en œuvre des miroirs par Orange. « Je ne crois pas être contredit par la plupart des wikipédiens : nous trouvons dommage d’enfermer le lecteur dans un environnement fermé qui ne permet pas de modifier les articles« , nous dit-il. « Wikipédia vit par et pour ses contributeurs. On contribue parce qu’on lit et, quand on lit, il est bon de corriger les erreurs ou les fautes d’orthographe : empêcher cette contribution ne se situe pas tout à fait dans la lignée de la philosophie de Wikipédia de partage de la connaissance« .
Par ailleurs, Rémi Mathis trouve aussi que le fait de remplacer Wikipédia par ses miroirs dans les moteurs de recherche d’Orange est « très dommage« . « C’est un jugement purement moral mais empêcher les gens d’accéder à Wikipédia (et de l’améliorer) alors qu’on utilise ce site dans son portail est éthiquement contestable« , estime-t-il.
Orange n’a pas souhaité nous indiquer le nombre de visites de ses miroirs Wikipédia. Il faut donc s’en remettre à des indices. Selon Alexa, encyclo.voila.fr représenterait 0,90 % des visiteurs du portail Voila.fr, qui serait le 80ème site le plus visité en France. Les données pour le miroir Orange ne sont pas connues. Selon ses propres chiffres d’audience, Orange compterait 17 millions de visiteurs uniques répartis notamment sur orange.fr, 118712.fr, Voila et GOA.
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