La Chine est un de ces rares pays où Uber a échoué. Et c’est Liu Qing, présidente de Didi, qui a barré la route au géant américain avec son service de VTC.

Reputation Squad est une agence internationale de communication qui agit auprès de tous les publics quels que soient leurs lieux de conversation et qui s’est rendue experte dans son travail grâce à l’utilisation des nouvelles technologies (outils de veille, réalité virtuelle, optimisation des datas, etc.). Le pôle Chine de l’agence nous a proposé de partager ses connaissances avec nos lecteurs dans une série de portraits de dirigeantes et dirigeants chinois. Objectif : mieux connaître les entreprises et startups qui cartonnent en Asie et ne tarderont pas à se déployer dans le reste du monde.

Article de janvier 2017 remis en avant à l’occasion de la sortie de Didi du territoire chinois.

Liu Qing est ce qu’on appelle une force tranquille. Malgré son apparence frêle et sa voix douce, la présidente de Didi Chuxing n’a jamais eu besoin de crier pour se faire entendre.

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Liu Qing, par Lorenzo Gritti

Tout le monde sait que c’est elle qui est à l’origine de la fusion entre Didi Dache et Kuaidi, les deux plus grandes applications de VTC en Chine. Dans la jungle urbaine, entre klaxons et travaux de construction, elle a réussi à tirer son épingle du jeu et a permis à Didi Chuxing d’être valorisé à 33 milliards de dollars américains en septembre 2016, passant devant Airbnb, Snap ou Pinterest.

Née il y a 39 ans à Pékin, Liu Qing est la fille de Chuanzi Liu, le fondateur de Lenovo — la plus grande entreprise de technologie en Chine. Elle grandit tout près des leaders de l’innovation tech en Chine, et trace ainsi la voie vers son succès. Intégrant sans surprise les universités prestigieuses que sont la Peking University et la Harvard University, elle choisira la voie royale de l’informatique, suivant les pas de son père et de Bill Gates, son idole de toujours.

My Heart Will Go On

Son choix de carrière après son diplôme en a surpris plus d’un. Au lieu de rejoindre Lenovo pour gravir peu à peu les échelons de l’entreprise familiale, Liu Qing décide de postuler auprès de la banque d’investissement Goldman Sachs. Fidèle à sa réputation de femme déterminée et battante, elle passe 18 entretiens (dont un comportant la demande surprise de chanter le classique My Heart Will Go On de Céline Dion) avant d’obtenir le poste très convoité de Junior Analyst.

Naturellement le quotidien chez Goldman Sachs n’est pas facile, mais il ne fait que renforcer la ténacité de la jeune femme. Il aurait pu être simple pour elle de partir à la première difficulté pour rejoindre l’entreprise de son père ou l’entreprise d’un de ses contacts. Mais son éducation la pousse à faire ses propres expériences, et Liu Qing grandit avec la ferme volonté d’être l’actrice de sa propre réussite.

140 heures de travail hebdomadaires pendant 12 ans

Et c’est à l’endurance que Liu Qing construit sa voie : concentration, ténacité, et confiance inébranlable en sa capacité à surmonter les obstacles, sont ses maîtres mots. Ajoutez à cela une petite addiction au travail et vous ne serez pas surpris des « 140 heures de travail hebdomadaires », comme le note China Daily, que l’analyste s’inflige pendant 12 ans. Lors de cette même interview avec le quotidien chinois, elle affirme : « J’avais l’air d’avoir 42 ans, alors que je n’en avais que 24 ». Elle maintient le rythme et rejoint parallèlement les conseils d’administration de plusieurs entreprises de différentes industries, pour finalement devenir l’une des plus jeunes directrices exécutives de Goldman Sachs. Nulle crainte de la part de Liu Qing pour s’imposer dans un monde d’hommes.

Ces années à Goldman Sachs ont sans aucun doute préparé l’entrepreneure au challenge professionnel majeur de sa vie : Didi Dache. C’est en poste à Goldman Sachs qu’elle prend connaissance de la startup de VTC. En septembre 2013, elle fait une première offre d’investissement. Sans succès. En juin 2014, elle revient à la charge, épaulée par une équipe de Goldman Sachs. La startup refuse une nouvelle fois, et pour cause, elle possède déjà 43 % des parts de marché. La réticence de Didi face à la proposition d’investissement convainc Liu Qing que c’est une opportunité qu’elle ne peut pas rater.

Didi

Elle rencontre alors Wei Cheng, fondateur de Didi Dache, et lui indique que s’il ne veut pas de son investissement, elle souhaiterait tout de même travailler pour la startup. Le fondateur accepte la proposition culottée et quatre mois plus tard, Liu Qing quitte le monde de la banque pour une aventure professionnelle d’un tout autre acabit : devenir la Chief Operating Officer de Didi Dache.

Les femmes soutiennent la moitié du ciel

Comme disait Mao : les femmes soutiennent la moitié du ciel. C’est un adage qui se confirme avec la collaboration entre Cheng Wei et Liu Qing.

Force tranquille

Force tranquille

En tant que caution anglophone de Didi Dache, Liu Qing a très rapidement bénéficié du rôle d’ambassadeur pour toute prise de parole à l’étranger. Elle débute en gérant les relations gouvernementales, relations publiques et toute initiative de développement commercial. Elle aide ainsi à développer la fonction Didi Black (un service similaire à Uber Black — Uber Berlines en France –, qui permet aux clients de commander des voitures haut de gamme), puis est promue Présidente de l’entreprise, six mois après son arrivée, grâce au rôle essentiel qu’elle a joué pour la réussite commerciale de Didi.

Liu Qing est un atout-clé pour Cheng Wei, grâce à  sa connaissance parfaite du monde des affaires, mais aussi par son réseau professionnel étendu. Sans elle, la fusion entre Didi Dache et Kuaidi n’aurait jamais pu avoir lieu, et nous serions peut-être passés à côté de la création de l’application de VTC la plus populaire en Chine, qui cumule aujourd’hui 90 % de parts de marché.

Liu Qing a également été un pion essentiel à l’occasion de la bataille pour le marché chinois, avec l’arrivée d’Uber. Après deux années de négociations, la nouvelle Présidente de Didi réussit à conclure un partenariat avec le concurrent direct d’Uber, Lyft, ce qui lui permet un positionnement international. Elle a également sécurisé un milliard de dollars d’investissement de la part d’Apple. Mais la bataille contre Uber n’a pas été pas simple. En offrant des courses gratuites, et en dépensant des sommes colossales en marketing, Didi et Uber ont dépensé plus d’un milliard de dollars chacun dans leurs efforts de dépasser le concurrent. Au risque d’être déficitaires sur le marché.

Uber vs Didi

Finalement, Uber n’a eu d’autre choix que de vendre ses opérations chinoises à Didi. Dans l’opération, le géant américain sécurise tout de même 20 % du capital de Didi. Pour un géant de la tech tel que Uber, et son leader agressif et couronné de succès Travis Kalanick, perdre le marché chinois, et de surcroît à Liu Qing a été un véritable coup de massue, établissant par la même occasion l’entrepreneure comme ambassadrice de la scène tech chinoise naissante.

Avec son attitude posée, Liu Qing est en réalité une femme d’affaires animée par la compétition. L’application Didi est devenue un cas d’école pour les entrepreneurs et un outil indispensable pour de nombreux Chinois. Plus de 80 % des chauffeurs de taxi utilisent aujourd’hui l’application, présente dans plus de 400 villes chinoises. Impossible de trouver un taxi sous la pluie au milieu de la jungle urbaine de Shanghai sans utiliser Didi.

L’application gère 20 millions de courses dans 400 villes chinoises tous les jours

L’urbanisation croissante chinoise a transformé la manière dont les citadins voient la mobilité. Shanghai a vu sa population passer de 7,82 millions en 1990 à 23 millions en 2015, et Pékin cumule aujourd’hui à 21,7 millions d’habitants. Avec une croissance exponentielle du nombre d’habitants, et des coûts de plus en plus élevés, l’idée de posséder un jour une voiture paraît illusoire. Si la possession d’une voiture individuelle a pu symboliser la réussite économique et sociale, les jeunes Chinois savent apprécier des moyens de mobilité plus pratiques et moins chers. Pour eux, Didi est bien plus qu’une application de taxi : elle symbolise le nouveau mode de vie chinois.

Didi à la conquête du monde

Septembre 2015. Avec un simple e-mail, Qing annonce aux équipes de Didi qu’elle suit un traitement contre le cancer du sein : « Je fais partie de Didi Kuaidi depuis 14 mois, écrit-elle, Même si j’ai le cancer, cela ne m’empêchera pas de présider ce que je considère être une entreprise formidable […] je continuerai de soutenir Cheng Wei, et tous les salariés. Comme l’étoile la plus brillante dans la nuit, je continuerai de briller — nous continuerons tous de briller. » Deux mois plus tard, elle choisit le réseau social Sina Weibo pour faire taire les rumeurs sur son départ : « Amis chez Didi, vous pouvez compter sur mon retour à la fin du mois. »

Aujourd’hui, Didi Chuxing est le plus grand service de transport à la demande dans le monde. Quand Uber a eu besoin de 5 années pour dépasser le milliard de trajets réalisés, Didi a explosé ce record en à peine 12 mois en 2015 : l’application gère désormais 20 millions de courses dans 400 villes chinoises tous les jours.

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Uber a une plus grande assise avec sa présence dans plusieurs pays sur plusieurs continents. Mais Liu Qing n’oublie pas son objectif final : conquérir le monde avec Didi. Comme en Chine, elle souhaiterait dépasser Uber dans les autres régions du monde.

Liu Qing est l’une des rares femmes à la tête d’entreprises importantes en Chine et représente la nouvelle génération de femmes entrepreneures qui ont su imposer les entreprises chinoises au-devant de la scène nationale et internationale. Néanmoins, sa situation est plus qu’exceptionnelle : en Chine, en 2014, la part des femmes dans les conseils d’administration était seulement de 1,7 %, et seuls 3,2 % des CEO chinois étaient des femmes.

À la tête de son entreprise de plus de 5 000 salariés, Liu Qing a démontré que la nouvelle génération de startups chinoises n’est pas seulement une copie de succès occidentaux mais bien une génération de pionniers capables de conquérir des marchés en affrontant des entreprises internationales. C’est notamment grâce à cette démonstration de force que Liu Qing a été désignée comme l’un des porteurs du flambeau olympique lors des Jeux olympiques de Rio par le public chinois.

Traduit de l’anglais par Amal Froidevaux pour Numerama.

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