En position dominante sur le marché de la publicité en ligne depuis des années, Google est pour la première fois confronté au boycott de nombreux clients, dont plusieurs grandes marques, comme McDonald’s ou Vodafone, qui lui reprochent d’associer leurs publicités à des contenus inacceptables, qu’il s’agisse de propagande terroriste, d’extrême-droite, ou d’incitation à la haine.
Depuis les premières défections, à la mi-mars, les annonces de boycott se multiplient, essentiellement du côté du Royaume-Uni et des États-Unis. Retour sur les origines, les causes et les conséquences de ce mouvement encore en cours.
L’élément déclencheur : l’enquête du Times
Tout est parti d’une enquête du Times. Le 9 mars, le quotidien britannique révèle que de nombreuses marques financent sans le savoir des sites ou des vidéos de propagande en faveur du terrorisme ou encore de suprémacistes blancs.
Parmi les groupes cités, on trouve de grandes marques mondiales, comme McDonald’s, Honda, Reuters Thomson mais aussi des campagnes d’information du gouvernement britannique pour le don du sang ou le recrutement dans l’armée. Selon le journal, ces sites et ces publications bénéficieraient ainsi de dizaines de milliers d’euros de revenus par mois, les vidéos monétisées permettant à leur créateur d’obtenir aux alentours de 7 euros pour 1 000 vues, sachant que certaines d’entre elles atteignent souvent la barre du million.
En théorie, les contenus dérangeants sont filtrés pour s’assurer que ces publicités en ligne n’apparaissent pas à proximité. Mais le Times constate à de nombreuses reprise qu’elles ne fonctionnent pas en pratique : une publicité pour une nouvelle voiture Mercedes apparaît ainsi au bout de quelques secondes sur une vidéo de propagande pour l’État islamique tandis qu’une bannière pour Jaguar reste bien visible à côté.
Ils donnent parfois lieu à un mélange des genres particulièrement absurde, à l’instar d’une vidéo montrant un membre armé du groupe néo-nazi Combat 18 poser devant une croix gammée en feu, juste à côté d’une bannière promotionnelle pour l’association caritative Marie Curie. Sans compter les publicités associées à des vidéos de religieux extrémistes qui défendent le viol au sein des couples mariés ou appellent à la violence.
Alerté par le Times, Google a supprimé plusieurs des vidéos litigieuses et rappelé sa politique de « tolérance zéro » pour les contenus d’incitation à la haine ou à la violence, même si la réalité contraste avec la théorie. L’article du Times fait office d’électrochoc au sein de nombreuses entreprises, qui assurent qu’elles n’étaient pas au courant de telles dérives. Marc Pritchard, un cadre de la multinationale P&G, résume ainsi son sentiment : « Nous avons une chaîne médiatique qui est au mieux obscure, et au pire frauduleuse. Il faut qu’on la purifie. »
Le problème de la publicité programmatique
Le programme publicitaire de Google permet à ses clients d’acheter des espaces publicitaires — avant, pendant ou après les vidéos sur YouTube ; sous forme de bannières sur les sites — grâce à un système d’enchères. Les publicitaires, qui représentent souvent des grandes marques à travers une agence, recourent ensuite à la publicité programmatique pour acheter automatiquement, grâce à des algorithmes, ces espaces et ainsi cibler des internautes spécifiques selon leurs habitudes de navigation.
Jules Minvielle, fondateur de la startup- française Mozoo, spécialisée dans la pub pour mobile, explique ainsi à Challenges : « Ce mode de fonctionnement qui cible les publicités en fonction du profil des internautes (âge, sexe, ville, etc) rend difficile de savoir à quel contenu va être associé une campagne. Avec les vidéos dont on ne peut pas ‘scanner’ les contenus comme avec du texte, c’est encore plus compliqué. »
En théorie, les vidéos jugées inappropriées — et théoriquement interdites sur YouTube — sont filtrées par une liste noire. Mais si YouTube ne catégorise pas efficacement les contenus concernés, ou, mieux, ne les supprime, le filtre s’avère logiquement inefficace et les publicités apparaissent sur des pages ou créations incitant à la haine. Aux yeux des publicitaires et de leurs clients, c’est donc Google qui est en tort à cause d’une politique de modération inefficace.
Le géant américain, censé s’assurer que les utilisateurs YouTube éligibles à la monétisation de leurs vidéos respectent ses conditions d’utilisation, tente à moitié de se dédouaner : « Certains contenus YouTube peuvent être controversés et offensants, c’est pourquoi nous autorisons seulement la publicité sur les vidéos qui respectent nos critères publicitaires. Nos partenaires peuvent aussi choisir de ne pas apparaître sur des contenus qu’ils jugent inappropriés et il relève de notre responsabilité de les aider à faire des choix informés ».
En pratique, l’étendue de la publicité programmatique est aussi pointée du doigt, certains accusant à demi-mot les agences de ne pas se soucier de savoir où sont déployées leur campagnes, l’objectif étant simplement de maximiser les profits, quitte à les chercher sur des contenus litigieux.
Selon des documents consultés par le Times, les marques clientes des agences publicitaires sont en plus mécontentes du travail des agences, qu’elles rémunèrent de sommes importantes pour des campagnes numériques jugées peu efficaces ou de mauvaise qualité. Aujourd’hui, c’est donc plus globalement l’efficacité du système publicitaire en ligne qui est remise en cause.
Qui fait partie du boycott ?
Google, contacté dès la publication de l’enquête par des membres du gouvernement britannique, a depuis été convoqué par le conseil des ministres, qui s’est montré très clair sur l’objet de cette rencontre : « La publicité en ligne est un moyen efficace et économique, pour le gouvernement, d’atteindre des millions de citoyens grâce à des campagnes cruciales sur le recrutement militaire ou le don du sang. […] Google a été convoqué pour expliquer au Cabinet comment il va s’assurer de fournir le service de qualité exigé par le gouvernement au nom des contribuables ».
Le gouvernement britannique compte parmi les premiers utilisateurs du service publicitaire de Google à avoir suspendu son utilisation du service publicitaire, au même titre que le quotidien britannique The Guardian, la BBC, L’Oréal ou que la branche britannique de l’agence de communication française Havas.
Un coup particulièrement dur à encaisser pour Google puisque celle-ci représente des clients comme Royal Mail, Dominos Pizza ou Emirates et dépense plus de 175 millions de livres par an en publicité numérique. Paul Frampton, en charge de cette branche, exige une réaction de Google : « Nous maintiendrons cette position jusqu’à ce que YouTube et la plateforme Google Display prouvent leur capacité à assurer les standards attendus par nos clients. »
Au fil des jours et des semaines, les défections se sont multipliées, renforçant l’ampleur du boycott, désormais soutenu par d’autres entreprises de taille comme Sky, Vodafone, Marks & Spencer ou encore McDonald’s.
Quelle réaction de la part de Google ?
Comme à chaque fois qu’elle est confrontée à une polémique, l’entreprise de Mountain View a promis des changements. Ceux-ci ont été détaillés lundi 20 mars par Philip Schindler, responsable business au sein de l’entreprise, par le biais d’un article de blog.
Google prévoit 3 changements majeurs, à commencer par le renforcement, « dès aujourd’hui », de ses mesures contre le contenu haineux mais aussi contre les faux créateurs de contenu sur YouTube, ceux qui reproduisent d’autres chaînes pour les détourner : ils ne pourront plus bénéficier du système publicitaire de Google. La firme entend aussi « supprimer plus efficacement les publicités des contenus qui attaquent ou harcèlent des personnes en fonction de leur ethnie, religion, sexe ou de ce genre de catégories. »
La deuxième étape s’impose comme la plus prometteuse : fournir aux clients de la plateforme publicitaire des paramètres plus précis pour choisir sur quel type de contenu seront affichées leurs publicités. Le réglage par défaut inclura ainsi les contenus « potentiellement répréhensibles ». Les clients pourront aussi désigner nommément les sites et les chaînes qu’ils veulent automatiquement exclure de leur campagne, ou préciser plus en détail les seuls emplacements où leurs publicités doivent apparaître.
Enfin, Google promet plus de « transparence » avec un véritable retour et suivi sur les pages et vidéos où seront affichées les publicités, afin d’éviter les mauvaises surprises qui ont déclenché ce boycott.
Pour mettre en place ces changements, Philip Schindler promet un recrutement massif et l’utilisation de nouveaux outils basés sur de l’IA. Ces changements suffiront-ils pour autant à regagner la confiance des clients qui ont décidé de suspendre leur abonnement ? Cette annonce n’a pas suffi à empêcherd’autres grandes entreprises comme AT&T et Verizon de rejoindre le boycott.
+ rapide, + pratique, + exclusif
Zéro publicité, fonctions avancées de lecture, articles résumés par l'I.A, contenus exclusifs et plus encore.
Découvrez les nombreux avantages de Numerama+.
Vous avez lu 0 articles sur Numerama ce mois-ci
Tout le monde n'a pas les moyens de payer pour l'information.
C'est pourquoi nous maintenons notre journalisme ouvert à tous.
Mais si vous le pouvez,
voici trois bonnes raisons de soutenir notre travail :
- 1 Numerama+ contribue à offrir une expérience gratuite à tous les lecteurs de Numerama.
- 2 Vous profiterez d'une lecture sans publicité, de nombreuses fonctions avancées de lecture et des contenus exclusifs.
- 3 Aider Numerama dans sa mission : comprendre le présent pour anticiper l'avenir.
Si vous croyez en un web gratuit et à une information de qualité accessible au plus grand nombre, rejoignez Numerama+.
Vous voulez tout savoir sur la mobilité de demain, des voitures électriques aux VAE ? Abonnez-vous dès maintenant à notre newsletter Watt Else !