Publiée sur le Web depuis 2014, la bande dessinée Comme Convenu raconte l’histoire autobiographique d’une dessinatrice française et de sa famille, parties vivre le rêve américain dans la Silicon Valley. Une histoire pleine de galères, qui s’est transformée en succès d’auto-édition.

En 2010, Laurel et son mari Adrien, respectivement dessinatrice et développeur, décident d’aller vivre le rêve américain : le duo, qui s’est lancé un peu avant avec succès dans le développement d’un jeu mobile, s’associent à deux autres Français pour monter une startup nommée Boulax. Pour le couple, c’est l’occasion de quitter la France pour aller s’installer dans la Silicon Valley.

Une aventure familiale : Cerise, la fille de Laurel, et Brume le chat sont du voyage. Seulement, rapidement après leur installation non loin de San Francisco, la famille déchante : leurs salaires sont misérables et les promesses de leurs associés ne sont pas tenues. Plus les mois passent et plus les galères s’installent… et ils ne se doutent pas que ce n’est que le début d’une véritable descente aux enfers au cœur d’un pays où tout semble pourtant possible…

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Laurel en plein travail

Tel est le point de départ de Comme Convenu, une bande dessinée publiée sur Internet depuis 2014, au rythme d’une page par jour ou presque, par la dessinatrice Laureline Duermael, plus connue sous le nom de Laurel. Tous les ingrédients d’une BD bien ficelée s’y trouvent : du suspense, des rebondissements, de l’humour, des personnages hauts en couleur… mais Comme Convenu n’est pas une fiction : il s’agit d’une histoire vraie, celle de Laurel et de sa petite famille, dont le rêve américain s’est effectivement transformé en cauchemar.

« Il y a un moment où je me suis dit “il faut que ça sorte” » nous explique Laurel, par Skype, depuis son domicile californien. La dessinatrice gère actuellement la fin de la publication de la seconde partie de son histoire sur son site Web, mais également la campagne Ulule de financement de sa version papier. Une démarche qui n’était pas prévue à la base. « Ce n’était pas dans le but d’en faire un livre, d’ailleurs j’étais persuadée, à l’époque, de ne pas aller au bout de l’histoire. À ce moment-là, ça me faisait du bien, je n’avais pas de projet à long terme. »

Pour Laurel, ce type d’exutoire coulait de source. « J’ai toujours raconté ma vie sur un blog, depuis 2003. J’avais mis ça en pause pour m’occuper de cette startup qui me prenait beaucoup de temps. Démarrer Comme Convenu répondait à deux besoins : refaire un truc qui me plaisait, et être plus présente sur le blog que j’avais mis de côté pendant presque deux ans. » Comme on peut l’imaginer, la démarche n’a pas vraiment plu aux deux associés « à problèmes », nommés Joffrey et Luc dans la BD, et inspirés de vraies personnes. « Moi, ils ne m’en parlaient pas, car je ne me laissais pas faire. Ils ont essayé de convaincre mon mari Adrien de me dissuader de continuer, ont fait du chantage affectif. Mais ça n’a pas fonctionné. » Pour autant, Laurel n’a jamais eu de soucis, notamment judiciaires. « Je n’ai jamais consulté d’avocat sur le sujet, par exemple. »

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Chroniques cauchemardesques

« J’ai commencé à dessiner environ un an après notre départ de France » se rappelle la dessinatrice. « On avait lancé la startup 2 ans avant de partir. Tout se passait bien quand on était en France, ça a commencé à se dégrader quand on a emménagé en Californie, en février 2013. »

Car Comme Convenu raconte moins les périples d’une startup dans la Silicon Valley que les galères d’une famille d’expatriés « un peu trop naïve », de l’aveu même de Laurel : « On n’a pas lu les contrats, on a fait une confiance aveugle… on a été stupides, il faut le dire. C’est ce que j’essaie de montrer dans la BD : au début, on est bêtes à manger du foin ! Les lecteurs ont très vite posté des commentaires pour nous dire à quel point nous avions été naïfs. »

La famille a dû partager sa maison avec des stagiaires

Au programme, la nécessité pour la famille de partager sa maison avec des stagiaires qui, aussi sous-payés que Laurel et son mari, n’ont pas les moyens de faire autre chose que de travailler, des papiers pour rester aux USA qui sont liés à l’entreprise, mais également des problèmes de communication dans l’équipe, éparpillée dans trois pays. La BD distille un lot assez hallucinant d’anecdotes mêlant erreurs de gestion d’entreprise et autres magouilles improbables. « Quand je vivais certaines situations, je me disais parfois “c’est tellement dingue, si on mettait ça dans un scénario, on n’y croirait pas tellement c’est énorme” » confie la dessinatrice.

Et pourtant, Laurel nous l’assure : tout est vrai. « Il n’y a que certains noms et lieux qui ont été changés. Je cherche à coller le plus possible à la réalité des faits, c’est d’ailleurs pour ça que, parfois, il y a des temps morts. » À quelques dizaines de pages de la fin du récit, la question la plus importante encore en suspens concerne l’obtention, ou pas, de cartes vertes pour le couple. « À la fin des 500 pages, on aura la réponse, mais il n’y aura pas de rebondissement incroyable. Dans une fiction, ça ne se serait pas terminé comme ça. »

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La réalité d’un rêve américain

Si Laurel admet clairement que les ennuis de sa famille ont été entraînés par un manque de recherche avant leur départ, elle souligne cependant que leurs mésaventures n’ont, malheureusement, pas grand-chose d’exceptionnel dans la Silicon Valley. Le berceau des startup, situé en Californie, attire les développeurs et les entrepreneurs du monde entier, mais l’eldorado cache une réalité qui, dans certains cas, n’a rien d’idyllique.

Leurs mésaventures n’ont pas grand-chose d’exceptionnel dans la Silicon Valley

« Ici, on peut tout perdre du jour au lendemain » explique la dessinatrice. « Ce qu’on a vécu concerne pas mal de gens qui s’expatrient, et qui sont, notamment, victimes de chantage aux papiers : comme ton visa est lié à ton entreprise, si tu es viré, tu es forcé de rentrer. Donc ton entreprise peut te menacer de te virer pour te manipuler. On a parlé avec des personnes dans des situations similaires. Il y en a énormément qui perdent tout et qui doivent rentrer, complètement endettés. »

Le couple de Français a, ainsi, croisé la route de plusieurs expatriés qui ont tout perdu en tentant leur chance dans la Silicon Valley. Et la dessinatrice a également reçu des témoignages de personnes ayant lu sa bande dessinée. « On en n’a pas rencontré des milliers, juste quelques-uns. Il y en a sans doute beaucoup pour qui ça se passe bien, mais ce qui est certain, c’est qu’il faut bien préparer ses arrières, se protéger avant de faire le grand saut. Bien négocier sa paie, car la vie est très chère ici, et quand tes patrons te disent “on est en mode startup” et ne te paient pas assez, tu ne peux pas mettre d’argent de côté pour le cas où tu devrais rentrer. Sinon, il faut faire inclure dans ton contrat que si tu dois rentrer, la boîte doit payer. »

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Quant aux manœuvres financières parfois discutables qui sont relatées dans Comme Convenu, elle relativise : « Ici, plein de boîtes font un peu n’importe quoi quand elles démarrent, et quand elles prennent du poids, elles se régularisent. Ça a été le cas pour notre startup. » Le couple, comme énormément d’habitants de villes de la Silicon Valley, s’est heurté de plein fouet à la hausse du prix de la vie dans la région, due à l’énorme concentration d’entreprises et de hauts salaires. Une situation hautement problématique, qui a même poussé, en 2016, le maire de Palo Alto à tout simplement encourager les startup à se délocaliser.

« Nous aurions pu éviter certaines erreurs. Si ma bande dessinée peut aider de futurs expatriés à ne pas les reproduire, alors tant mieux », ajoute-t-elle.

Le crowdfunding, la libération

En octobre 2015, Laurel lance une campagne de financement participatif sur Ulule. L’objectif : éditer le premier tome de Comme Convenu sur le principe de l’auto-édition. Le succès est colossal : la dessinatrice visait la somme de 9 300 euros, elle en récolte finalement plus de 268 000, soit une campagne financée à 2860%.

La dessinatrice visait la somme de 9 300 euros, elle en récolte plus de 268 000

L’illustratrice n’en espérait pas autant : « J’avais demandé moins que ce dont j’avais besoin. Je me disais que j’allais compléter avec un petit prêt pour gérer tout ça. » Il faut dire que Laurel avait, à la base, des raisons de se méfier : « Quand j’ai atteint environ 200 pages, j’ai été contactée par de gros éditeurs franco-belges. Ils voulaient éditer Comme Convenu sur papier. C’est à ce moment-là que j’ai estimé que l’ensemble allait faire 500 pages, et qu’une répartition en deux tomes serait judicieuse. »

Mais la proposition d’un éditeur lui fait l’effet d’une douche froide : « Il me proposait 8 000 euros pour l’ensemble. Pour trois ans de travail. Même pas 2 euros par page ! » La dessinatrice est d’autant plus remontée que, de loin, elle a pu assister à la dégradation du métier d’auteur de BD en France : En 2016, une étude réalisée dans le cadre des États Généraux de la Bande Dessinée révélait que 36 % des auteurs vivent sous le seuil de pauvreté en France, alors que 53 % sont sous le SMIC annuel brut« Quand j’ai commencé, les éditeurs soignaient leurs relations avec les auteurs. Aujourd’hui, ils s’en fichent. Quand j’ai terminé le tome 3 de Cerise, mon éditeur m’a dit qu’il me tiendrait au courant pour la suite. Plus d’un an après, il n’a même pas pris la peine de m’écrire un mail. J’imagine que c’est mort pour un tome 4 », ironise-t-elle.

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« Si j’avais accepté, je n’aurais jamais eu la volonté de continuer » explique Laurel. « Et puis mon côté tête de mule a pris le dessus : je préférais que ça reste gratuit pour tous. J’aurais même accepté que ça me coûte de l’argent, plutôt que d’en arriver là. » Mais la perspective de sortir la BD en version papier lui plaisait, et le crodwfunding s’est rapidement imposé comme étant la solution idéale pour tenter l’aventure.

Le succès de sa campagne de 2015 n’a pas seulement fait que confirmer le succès de la BD : elle a littéralement sauvé la vie de la petite famille. « Sans le succès sur Ulule, nous aurions dû rentrer en France, très endettés » confie Laurel. « Outre l’aspect financier, la production du livre nous a également permis de justifier une activité aux États-Unis, nécessaire pour rester sur le territoire. » Une conséquence heureuse, mais des plus inattendues.

La suite déjà écrite

Aujourd’hui, Laurel et Adrien ne travaillent plus chez Boulax, mais chez Docker, l’entreprise du Français Solomon Hykes, que l’on découvre très tôt dans Comme Convenu. Pour connaître la suite et la fin de la bande dessinée, il faudra patienter encore quelques semaines, la publication arrivant à sa fin. À cette occasion, une seconde campagne de financement a été lancée, début mars, sur Ulule : à l’heure où ces lignes sont écrites, elle a dépassé les 289 000 euros, avec un objectif atteint à près de 3 000 %.

Il est possible de précommander le tome 2, mais également le tome 1, via la page de la campagne, jusqu’au 6 avril. Différents Stretch Goals permettent d’ajouter des goodies, mais également d’améliorer la qualité de l’ensemble. « Je suis obsédée par la qualité, c’est ma hantise de décevoir les gens, je ne veux pas que ça arrive » explique la dessinatrice, qui ajoute « ne dormir que 5 à 6 heures par nuit » depuis le début de la campagne. « On ne se rend pas compte du travail que ça représente avant d’être dedans. »

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Et après ? « Je vais faire une pause de 3 mois, et ensuite je me lance dans la publication d’une nouvelle BD. » Pour connaître le sujet précis, il va falloir patienter : « Ce sera une suite, en quelque sorte, mais avec un nouveau sujet. » Si Laurel n’imagine pas abandonner le style autobiographique, elle optera cependant pour un rythme de publication différent : « Les pages sont plus grande, donc ce sera peut-être 3 ou 4 par semaine, plutôt qu’une par jour. » Par ailleurs, une partie des fonds qui resteront de la seconde campagne serviront à créer une boutique en ligne pour la vente de livres et de goodies, autour de l’univers de Laurel.

Quant à repartir sur un modèle d’édition traditionnelle, elle n’y pense pas vraiment, encore échaudée par ses dernières expériences avec des éditeurs. Seule perspective envisagée : signer avec un éditeur américain, pour que Comme Convenu soit traduit. Mais pas de proposition en vue à ce jour.

Pour autant, Laurel reste prudente concernant le financement participatif : « Rien ne dit que ça marcherait une troisième fois. Il y en a plein pour qui ça ne marche pas et qui travaillent pourtant autant que moi. » Elle est cependant sûre d’une chose : « Pour que ce genre de chose fonctionne, il faut être honnête avec les gens. Même si la leçon que je tire de cette histoire, c’est qu’il faut malheureusement toujours se méfier des personnes, même si c’est triste à admettre. Tout le monde n’est pas honnête et bienveillant. Ça m’aurait aidé de lire une BD comme ça avant de me lancer dans cette histoire. »

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Les 500 pages de Comme Convenu resteront lisibles sur le web après la fin de sa publication : il n’y a aucune raison de passer à côté.

Illustrations : Laurel / Comme Convenu

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