Twitter est-il devenu le théâtre de la bêtise ? Depuis quelques mois, on assiste en effet à l'apparition d'une multitude de mots-clés (hashtags) stigmatisant des groupes de personnes selon des considérations religieuses (#UnBonJuif, #CestLaFauteAuxMusulmans), sexuelles (#SiMonFilsEstGay, #VousEtesDesPutes) ou ethniques (#ChezLesArabes, #ChezLesNoirs).
Des tendances tendancieuses
Précédés du signe typographique croisillon (#) et destinés à recenser les messages autour d'un thème commun, ces marqueurs permettent de transformer un terme ou une expression en lien de recherche et à faciliter la conversation autour d'un sujet. Ceux qui sont les plus populaires sont regroupés dans une rubrique baptisée "tendances", visible par tous les usagers.
Or à plusieurs reprises, des hashtags désagréables se sont hissés parmi les sujets les plus discutés. Et bien souvent, ces marqueurs sont accompagnés de messages particulièrement désobligeants envers les groupes ciblés. Et les exemples cités plus haut ne sont que les cas les plus médiatisés ; nombre de mots-clés, parfois très virulents, se cachent dans les tréfonds de Twitter.
L'affaire la plus récente et la plus commentée est évidemment celle du mot-clé #UnBonJuif, puisqu'elle a mobilisé à la fois l'Union des Étudiants Juifs de France (UEJF) et SOS Racisme. Désireux d'éviter les foudres de la justice française, le site communautaire américain a finalement accepté de faire le ménage sur sa plateforme, en retirant les messages les plus polémiques signalés par l'UEJF.
L'intérêt de la surveillance sociale
Certes, tous les messages marqués par ces hashtags ne sont pas racistes, antisémites, sexistes ou homophobes. Beaucoup visent en réalité à stopper le succès de mot-clé, même s'ils participent à sa notorité. Ainsi, de nombreux usagers, scandalisés par l'émergence de ces mots-clés, tentent de les contrer en les détournant (#SiMonFilsEstGai, #SiMonFilsEstHomophobe) ou en grondant leurs auteurs.
Pour Jean-noël Lafargue, maître de conférences associé à l’Université Paris 8, professeur à l’École Supérieure d’Arts du Havre, l'intervention des autres usagers révèle une surveillance sociale qui marche. "Ceux qui ont sorti des horreurs se font faire les gros yeux et doivent tenter de regagner les faveurs du groupe à coup d’excuses telles que « je rigolais »", explique-t-il.
"Peu importe que ces rectifications soient sincères ou non, elles sont forcées de le devenir, c’est la magie de la pression sociale, cette histoire aboutit donc à une éducation", poursuit-il. Et les auteurs, réprimandés par les autres usagers, sont parfois obligés de se retrancher derrière le prétexte de l'humour ou de s'excuser pour calmer le jeu et ne plus être la cible de critiques.
Le gouvernement veut une concertation sur les dérives
De son côté, le gouvernement n'entend pas rester les bras croisés. Najat Vallaud-Belkacem, ministre des droits des femmes et porte-parole du gouvernement de Jean-Marc Ayrault, annonce la tenue le 7 janvier 2013 d'une concertation entre les associations, notamment celles défendant les droits LGBT, et le site web afin d'empêcher la prolifération de ces messages.
"Je souhaite que nous puissions travailler ensemble, en lien avec les acteurs associatifs les plus concernés, à la mise en place de procédures d'alerte et de sécurité qui permettront que les événements malheureux que nous avons connus ces dernières semaines ne se reproduisent plus", écrit-elle dans une tribune publiée samedi dans Le Monde, citée par Le Figaro.
"Je souhaite en particulier que l'entreprise Twitter puisse examiner les conditions de mise en place de dispositifs concourant à la lutte contre les infractions en matière de provocations ou d'injures", poursuit la ministre, souhaitant, "sans préjudice d'éventuelles actions judiciaires, en appeler au sens des responsabilités de l'entreprise Twitter, pour qu'elle contribue à prévenir et à éviter de tels débordements".
Le web, espace de discussion et de confrontation
La tendance observée sur Twitter n'est pas récente. Pour la Ligue Internationale Contre le Racisme et l'Antisémitisme (LICRA), le web est une caisse de résonance qui favorise la prolifération de la haine. "Faute d'une régulation suffisante, la Toile est aujourd'hui un accélérateur du phénomène de banalisation de l'acte raciste", a estimé en 2011 son président.
Cependant, un rapport rédigé en 2010 par l'actuelle présidente de la CNIL note que si "la présence des contenus racistes sur internet est réelle", elle est "difficile à évaluer dans sa volumétrie exacte". D'autant que le nombre de signalements de contenus racistes et xénophobes est très nettement supérieur au nombre de cas réellement qualifiés ainsi par les responsables de la plateforme Point-de-Contact.
Ce qui est certain, c'est que le web n'est pas une zone de non-droit. L'arsenal juridique est assez étoffé pour traduire en justice les auteurs de tweets litigieux, s'ils s'avèrent que ces derniers enfreignent la législation. C'est ce que rappelle la ministre Vallaud-Belkacem. "Le canal virtuel qu'ils ont emprunté ne rend pas moins punissables ceux qui les commettent et que les tribunaux pourraient connaître".
Le filtrage et la censure, mauvaises réponses à un vrai problème
Internet n'est en fin de compte que la vitrine de la société. Si des dérives apparaissent en son sein, c'est d'abord parce qu'elles existent déjà au quotidien. C'est donc d'abord aux causes profondes qu'il faut s'attaquer, plutôt qu'à leur visibilité. Car cela ne fera que les masquer sur la toile, comme on balaie en vitesse la poussière sous le tapis.
En filtrant ou en censurant les contenus litigieux, la lutte contre le racisme aura pour effet de le rendre moins visible, plus pernicieux. Cela ne veut pas dire pour autant qu'il ne faut rien faire sur le plan judiciaire. Mais au moins, lorsque les dérives sont visibles, elles peuvent être plus efficacement combattues. Ne serait-ce que par la réaction d'autres usagers, excédés de voir ces messages.
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