Le CNC et le ministère de la Culture peuvent-ils soutenir un logiciel qui a pour effet de télécharger des centaines de films sur BitTorrent, dans une sorte d'ode à la culture populaire du P2P et de dénonciation de la traquer des internautes ? Visiblement oui, puisque les deux institutions font partie des organisations qui ont décidé d'aider l'artiste français Nicolas Maigret à mettre sur pieds l'oeuvre d'art The Pirate Cinema, qui est actuellement exposée dans le cadre du festival Sight + Sound 2013 à Montreal.
Créée avec l'aide du développeur américain Brendal Howell, à partir de travaux initiés au LaboMedia d'Orléans, The Pirate Cinema projette sur écran des bribes de films piratés, obtenus en temps réel sur BitTorrent, piochés parmi les 100 films les plus partagés sur The Pirate Bay. Différents serveurs sélectionnent des fichiers vidéo au hasard dans la liste, en téléchargent des morceaux le temps de pouvoir lire le contenu, et les effacent avant de passer à d'autres fichiers. Le résultat est alors projeté au mur, sur plusieurs écrans.
Mais il ne s'agit pas seulement de projeter les films les plus piratés, ce qui n'aurait pas grand intérêt artistique. L'oeuvre qui joue aussi sur la culture du mashup est présentée sous la forme d'une "salle de contrôle" de vidéosurveillance, où les films remplacent les caméras des rues. Sur chaque vidéo figure l'adresse IP et le pays d'origine de la transmission, ainsi que l'adresse IP et le pays de destination. Une manière de dénoncer la surveillance policière de la diffusion culturelle à l'heure de la riposte graduée de l'Hadopi ou de son successeur aux amendes, le CSA.
Comme un pied de nez à ces derniers, tous les échanges réalisés par les clients BitTorrent de l'artiste transitent par la Suède, sur des serveurs Ipredator chargés d'anonymiser l'adresse IP.
Mais outre la surveillance, The Pirate Cinema montre également la nature profonde du P2P, fait d'échanges mondiaux, et les "modèles sociaux alternatifs" qu'il préfigure dans le cadre de la nouvelle économie du partage en pleine émergence. "Avec la génération hyper connectée, un changement est en train de se réaliser, et ce changement n'est pas juste un changement technologique", analyse Nicolas Maigret. "A cet égard, Michael Bauwens et la Fondation P2P étudient et communiquent les alternatives. Ils explorent aussi le potentiel transformatif du P2P à des niveaux sociaux, politiques, économiques, culturelles et éducatifs. Il s'agit d'une tendance idéologique très sérieuse qui pourrait prendre une part de plus en plus importante dans les débats actuels", explique-t-il.
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