L'accusation est surprenante, mais illustre sans aucun doute les immenses craintes des professionnels de la publicité en ligne devant l'initiative de Mozilla, à savoir le blocage automatique des cookies tiers. Comme l'a remarqué The Inquirer vendredi dernier, les annonceurs ont lancé une campagne pour dénoncer le détournement d'Internet qu'opérerait la fondation avec ses projets.
"Trouver des choses qui vous intéresse sur Internet est facile de nos jours. C'est parce que les publicitaires peuvent adapter les publicités selon des centres d'intérêt bien particuliers par le biais d'une utilisation responsable et transparente des cookies", commence, en préambule, le manifeste (.pdf) signé par six organisations : 4As, AAF, ANA, DMA, IAB et NAI.
"Mais Mozilla veut éliminer les mêmes cookies qui permettent aux annonceurs d'atteindre le bon public, avec le bon message, au bon moment", s'alarme le collectif. "Mozilla prétend que c'est dans l'intérêt de la vie privée. En vérité, nous croyons qu'il s'agit d'aider certains modèles économiques à acquérir un avantage sur le marché et de réduire la concurrence".
"Dès à présent, les consommateurs ont le contrôle sur ce qu'ils reçoivent comme annonces basées sur leurs intérêts à travers le programme d'autorégulation du Digital Advertising Alliance". Et le collectif d'ajouter "qu'il apparaît que Mozilla veut être à la fois juge et partie pour les modèles économiques sur le net". Il n'est toutefois pas certain que les annonceurs soient dans une position confortable pour se plaindre.
Vu les intérêts économiques en jeu, l'autorégulation prônée dans le cadre du Digital Advertising Alliance risque d'être bien creuse. Le collectif, qui dénonce la position supposée de Mozilla d'être juge et partie, peut-il avancer un tel argument, alors qu'il suggère dans le même temps un mécanisme où les publicitaires seraient à la fois régulateurs et régulés ?
À cette question, aucune réponse n'est apportée par les signataires, qui se contentent d'affirmer que "si les cookies sont éliminés, il est clair pour nous que les consommateurs disposeront d'une expérience d'Internet moins diversifiée et moins pertinente".
La critique adressée par les publicitaires est à nuancer, car les utilisateurs eux-mêmes sont très demandeurs d'un plus grand respect de leur vie privée. Pour s'en convaincre, il suffit de parcourir le classement des extensions les plus populaires de Firefox. On trouve des programmes comme Adblock Plus, No Script, Flashblock, Element Hiding Helper ou encore Ghostery.
La fondation Mozilla n'a toutefois aucunement l'intention de tuer la publicité. Le dispositif imaginé par Mozilla, encore en cours d'élaboration, concerne d'abord celles vis-à-vis desquelles "l'internaute n'a pas choisi de cliquer". "La survie de tout cet écosystème passe par celle des acteurs économiques, et donc des régies publicitaires. Nous ne voulons donc pas leur disparition", avait expliqué Tristan Nitot, notant une vraie attente des internautes sur ce terrain.
La sortie des annonceurs sur ce terrain n'est pas sans rappeler celle des industries du divertissement, qui ont affirmé il y a quelques années qu'Internet serait bien vide sans leurs oeuvres. Si celles-ci ont effectivement su trouver leur place sur la toile, via des canaux de distribution légaux ou non, il convient de ne pas oublier que le fondement d'Internet n'est pas mercantile, mais la communication, la collaboration et le partage.
C'est ce qu'a rappelé récemment Bernard Benhamou, délégué aux usages d’Internet au ministère de l’Economie numérique, en signalant la décision de Tim Berners-Lee de ne pas breveter le web. Notant des "enjeux industriels et politiques immenses", il a plaidé pour "un Web ouvert qui reste, au propre et au figuré, entre les mains des citoyens". Ça tombe bien, ça concorde avec le manifeste de Mozilla.
( photo : CC BY Doug Belshaw )
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