Dans notre exploration de l’univers de la crypto monnaie, on ne vous a pour l’instant suggéré que de spéculer sur des devises. C’est comme si vous convertissiez vos 1 000 euros en 1 137 dollars, en espérant que le dollar grimpera jusqu’à atteindre la parité avec l’euro… et que vous pourrez donc récupérer 1 137 euros, soit 137 euros de bénéfices. Avouez-le : ce n’est pas vraiment la facette la plus intéressante du trading.
Et dire qu’avec vos dollars vous pourriez pousser les portes du Nasdaq et jouer avec de vraies entreprises qui ont une histoire et une vision ; et par exemple investir dans Amazon et sa stratégie au long terme, vous lier financièrement à Apple pour des raisons sentimentales, ou parier à quitte ou double sur l’avenir de Tesla…
Dans ce cas, bonne nouvelle : si vous voulez faire pareil dans le monde de la crypto monnaie, les tokens sont faits pour vous. Dans cet univers décentralisé et dérégulé, hybride improbable de communisme et d’ultralibéralisme, la bourse est comme à ciel ouvert — pour le meilleur et peut-être bientôt pour le pire.
Rêve démocratique et ultralibéral
Les tokens sont les équivalents cryptofinanciers des actions et autres actifs. De fait, le monde de la crypto monnaie ne fait pas si clairement la différence entre ce que nous distinguerions dans le monde traditionnel comme de la devise, des actions ou des obligations. Ainsi, les éthers sont des tokens, au même titre que les tokens EOS, alors que les bitcoins ne sont techniquement pas des tokens et qu’EOS est bâti sur la plateforme Ethereum.
Une entreprise de l’Ether est totalement dérégulée, inrégulable, et intaxable car domiciliée nulle part
Derrière les tokens se trouvent généralement des startups relativement classiques, exploitant le potentiel des smart contracts d’Ethereum. Mais les contrats intelligents permettent d’aller beaucoup plus loin en établissant des DAO, ou Decentralized Autonomous Organization. Imaginez une entreprise dont le CEO et les cadres sont des logiciels, et dont les statuts sont rédigés non pas en code de juriste, mais en code informatique. Seuls les actionnaires sont humains, et les parts de l’entreprise qu’ils détiennent sont les fameux tokens, qui leur donnent des voix dans le « conseil d’administration » de la DAO pour en donner la direction. Une telle entreprise est totalement dérégulée, inrégulable, et intaxable car domiciliée nulle part.
Si l’entreprise en question est une banque centrale émettant sa propre devise, on retrouve un cas analogue à celui d’Ethereum ou du bitcoin en tant que monnaies ; mais le terme de DAO n’est alors plus applicable, car il évoque des entités séparées de la banque centrale. Le site d’Ethereum promet que les DAO (qu’ils appellent Democratic autonomous organizations) permettent jusqu’à « créer son propre pays avec une constitution inaltérable ».
Le bitcoin ne supportant pas en tant que tel les smart contracts, il n’est pas idéalement taillé pour le genre d’entreprises basé sur des tokens. C’est donc la plateforme Ethereum qui est reine dans le domaine — on parle bien ici de plateforme et non de monnaie, car il est tout à fait possible d’acheter des tokens avec du bitcoin, qui reste la « monnaie internationale ». Plus discrète qu’Ethereum, la crypto monnaie Omni fait office de couche logicielle permettant au bitcoin de supporter des actifs au même titre qu’Ethereum.
ICO : introduction en cryptobourse
Quand une entreprise traditionnelle est introduite en bourse, on appelle cela une IPO (Initial Public Offering) : des parts de l’entreprise sont vendues pour lever des fonds. Dans le monde de la cryptofinance, l‘équivalent d’une IPO est une ICO (Initial Coin Offering) : des tokens sont vendus pour récolter de l’argent sous forme de bitcoins ou d’ethers. Mais les ICO ressemblent également beaucoup à des campagnes de crowdfunding, au sens où elles sont souvent organisées alors que les entreprises existent à peine, et non après avoir dépassé plusieurs millions de dollars de valorisation. On parle parfois de crowdsale pour désigner ce processus intermédiaire.
Ethereum est née d’une ICO, vendant ses 60 premiers millions de tokens pour 18,5 millions de dollars en bitcoins
Ethereum elle-même est née d’une ICO, vendant ses 60 premiers millions de tokens (les ethers) pour 18,5 millions de dollars en bitcoins. On a vu des levées de fonds fulgurantes, comme les 35 millions de dollars du navigateur adbloqueur Brave, amassés en seulement 30 secondes. Le record d’ICO vient d’être brisé par le Chinois Li Xiaolai et ses 82 millions de dollars amassés ; et encore, l’objectif de 200 millions a pâti de la chute récente des cours des crypto monnaies.
Une fois passée l’ICO, les tokens peuvent être achetés et revendus comme on pourrait le faire avec des actions en bourse. Si vous avez lu les articles précédents, vous vous souvenez sans doute que les employés humains de la « banque » du bitcoin sont rémunérés avec du bitcoin nouvellement émis. Avec les entreprises de la blockchain, si vous décidez par exemple de leur offrir votre puissance de calcul, c’est comme si vous étiez rémunérés en stock options ; vous recevrez des tokens pour vos bons et loyaux services.
Quand on sait à quel point il peut être difficile pour une startup, même avec un projet solide sur la table, de se faire financer par des fonds d’investissement (les fans de Silicon Valley se remémoreront les déboires incessants de Pied Piper à ce sujet), voir des millions de dollars accourir pour ce qui se résume parfois à un joli Powerpoint peut légitimement inquiéter. L’année dernière, Ethereum a ainsi fait l’amère expérience, non pas d’une escroquerie à grande échelle, mais du piratage de sa plus grosse entreprise.
Juillet 2016, quand Ethereum a eu des problèmes
Ethereum avait une DAO sobrement nommée « la DAO » dont le rôle était celui d’un fond d’investissement : si une entreprise d’humains voulait se faire financer, elle pouvait faire une demande auprès de la DAO, dont les actionnaires votaient ensuite. L’entité a un succès fulgurant dès sa création le 30 avril 2016, attirant 11 000 investisseurs et absorbant vite 15 % de tous les ethers en circulation.
Dès fin mai, des experts s’inquiètent de failles de sécurité. La plus notable, permettant de revendre les mêmes parts plusieurs fois de manière très rapprochée et ainsi d’aspirer les fonds, est remontée le 9 juin par la Blockchain Foundation. Le 14 juin, des solutions au problème sont proposées ; il ne manque plus que l’approbation des membres de la DAO… qui tarde un peu trop. Le 17 juin, la faille est exploitée par des hackers : 3,6 millions d’ethers (soit 50 millions de dollars) sont drainés en quelques heures, soit un tiers des 150 millions de dollars entreposés dans l’entité.
La communauté Ethereum tente d’abord de mettre en place un soft fork, une modification logicielle non-intrusive qui aurait dû empêcher les hackeurs — et seulement les hackeurs — d’encaisser les ethers volés. Mais quelques heures avant l’installation prévue du soft fork, une faille est trouvée dans celle-ci et l’essentiel de la communauté, échaudée, préfère prendre une option plus radicale : mettre la DAO en liquidation, le 20 juillet 2016.
Cette décision ne se fait pas sans contestation ; les plus libéraux y voient notamment une forme d’intervention étatique. Pour mettre fin à la querelle, un hard fork d’Ethereum est mis en place, les opposants à la mesure gardant un Ethereum Classic où les décombres de la DAO n’ont jamais été repêchés par le réseau.
Que causerait un Lehman Brothers en smart contracts dans ce milieu si sensible ?
Une première leçon à tirer de cette histoire concerne les lenteurs bureaucratiques qui viennent avec toute démocratie. Si cela reste heureusement plus rapide que le comblement des failles d’Android, aucune DAO ne pourra agir avec autant d’agilité qu’un Apple autoritaire et centralisé — au risque de plonger occasionnellement dans la lave.
Mais au-delà de cette contrainte de fonctionnement, on imagine bien ce que pourrait être un deuxième scénario similaire, causé soit par un piratage soit par une fraude délibérée, sur une firme éthérée de capitalisation plus importante. Qui sait ce que causerait un Lehman Brothers en smart contracts dans le milieu si sensible de la crypto monnaie ?
Top 10 des actifs cryptofinanciers
Étant donné la volatilité de tout ce qui touche à la crypto monnaie, ce top 10 est approximatif et le classement aura probablement changé à l’heure où vous lirez ces lignes (d’autant que certains de ces actifs n’existent que depuis peu). Toutes sont valorisées entre 100 millions de dollars et plus de 400 millions de dollars, et sont basées sur Ethereum sauf mention contraire. Les possibilités des contrats intelligents dépassent tellement ce qui nous est familier que certaines des applications ci-dessous pourront sembler difficile à saisir.
- EOS — Une infrastructure pour applications décentralisées, on peut la comparer à un système d’exploitation tournant sur la chaîne de blocs Ethereum.
- Veritaseum — Cette banque d’investissements autonome vend par ailleurs, à des prix pour professionnels, des analyses de marché sur la crypto monnaie.
- Tether — Basée sur Omni, la plateforme Tether contient des sortes de versions cryptofinancières du dollar et de l’euro, ayant la même valeur, avec pour but d’allier le meilleur des deux mondes des monnaies traditionnelles et virtuelles.
- Gnosis — Concurrent d’Augur, Gnosis est une plateforme de paris et prédictions. Ses diverses applis décentralisées d’évaluer le prix d’une œuvre d’art avant une vente aux enchères ou encore de prendre le pouls des investisseurs des marchés action.
- Golem — « Supercalculateur décentralisé », Golem vend la puissance de calcul cumulée des ordinateurs de ses membres et ce à n’importe quelles fins, du rendu d’images de synthèse à l’entraînement d’intelligences artificielles.
- Iconomi — Une plateforme de gestion d’actifs virtuels incluant notamment des portefeuilles diversifiés, appelés Digital Assets Arrays (DAA).
- Augur — Concurrent de Gnosis, Augur est une plateforme de marchés de prédiction. Des événements possibles sont représentés sous forme d’actifs dont les cours permettent d’estimer la probabilité qu’ils se réalisent.
- MaidSafeCoin — Basée sur Omni, la plateforme SAFE offre l’espace de stockage cumulé de ses membres et pourvoit des APIs pour l’élaboration d’applications tierces.
- Status — Cette application pour mobile envisage de servir de portail vers tout ce que l’écosystème d’Ethereum a à offrir, en particulier les applis décentralisées.
Maintenant que vous connaissez l’essentiel de ce qu’il y a à savoir sur les crypto monnaies et les diverses entités éthérées, vous êtes prêts pour mettre les pieds sur une plateforme de trading cryptofinancier… en en comprenant les risques et les possibilités.
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