L’adoption rapide d’iOS 11 sur les terminaux mobiles d’Apple bouscule les entreprises de la publicité mobile. Ces dernières verraient leurs habituels revenus être touchés par les nouvelles pratiques de la firme de Cupertino en matière de gestion des cookies.
En effet, la dernière mise à jour du système mobile d’Apple a introduit davantage de sévérité dans la conservation des fichiers dits cookies — une gestion appelée ITP pour Intelligent Tracking Prevention. Attaqué par les géants américains de la publicité, Apple avait été amené à défendre son choix dans ces termes : « La technologie de ciblage publicitaire est devenue si invasive qu’il est possible pour les publicitaires de recréer l’historique web d’une majorité d’internautes. Ces informations sont collectées sans permission », écrivait la firme.
Les cookies utilisés pour cibler des publicités lors de la navigation sur Internet, sont donc désormais limités par iOS 11 qui tend à supprimer les données partagées entre différents sites, cookies tiers dans le jargon.
Auparavant, une visite sur un site de e-commerce laissait sur le smartphone durant des dizaines de jours une trace que pouvait exploiter des entreprises de publicité sur d’autres sites. Ainsi, une recherche sur Amazon pour une chemise blanche se retrouvait durant plusieurs jours rappelée à l’internaute sur les sites qu’il consultait.
Une baisse de 40 à 45 %
Le système mobile de dernière génération en a décidé autrement pour son navigateur Safari : ces fichiers sont désormais supprimés rapidement, en 24 heures, et moins partagés entre différents sites. Pour le marché de la publicité mobile, c’est un nouveau manque à gagner.
Numerama s’est procuré des résultats attestant d’une baisse nette pour certains serveurs publicitaires. Des entreprises nous confirmeront à plusieurs reprises qu’une baisse des prix des publicités entre 40 et 45 % (prix comparés à iOS 10) est attestée. Celles-ci rencontrent davantage de difficulté à cibler les internautes pour leur afficher des publicités liées à leurs historiques récents, perdant des occasions de gagner davantage qu’avec une publicité non ciblée. En publicité, on appelle cela un profil qualifié, ce qui implique que l’utilisateur fournit malgré lui des données qui permettent d’apprendre ses centres d’intérêt grâce à différents cookies.
« Un acteur comme Apple a droit de vie et de mort sur nos entreprises »
Déjà vent debout contre une décision prise unilatéralement par Apple, le secteur continue de pester contre cette nouvelle gestion des cookies. Renaud Menerat, président de la Mobile Marketing Association France, ne décolère pas en expliquant à Numerama cette nouvelle situation : « Ce qui nous gêne, mais devrait gêner également les utilisateurs, c’est qu’un acteur comme Apple a droit de vie et de mort sur nos entreprises. Et l’entreprise continue de prendre ce type de décision sans aucune concertation, ni avec les pouvoirs publics, ni avec des organisations comme les nôtres ». M. Menerat, qui représente les sociétés publicitaires, confirme les informations livrées également côté éditeurs : les revenus baissent depuis le début de l’automne sur les terminaux iOS.
Or si cette baisse reste concentrée sur un segment du marché, le trafic mobile de Safari, il s’agit, selon des acteurs du e-commerce, d’une cible d’utilisateurs plus dépensière que la moyenne : « Derrière un appareil haut de gamme, il y a bien souvent un CSP + » rappelle le président de la MMAF. À terme, ce que craint la publicité mobile, c’est une baisse des investissements des annonceurs sur le display. Les entreprises de e-commerce par exemple, qui dépendent beaucoup de l’acquisition de nouveaux clients sur le web, pourraient être tentées, considérant la baisse de résultats, de se détourner de cette forme de publicité.
Apple offre un boulevard à Facebook et Google
« Pour le moment, l’ensemble du secteur reste paralysé, des ajustements à court terme doivent être imaginés » nous rapporte une source travaillant dans le secteur. Il apparaît que des acteurs comme Google par exemple sont également touchés par cette fameuse gestion des cookies.
À la MMAF, on constate que le géant enregistre sur iOS 11 une baisse de 25 % des conversions — soit le moment où une publicité opère un comportement chez l’utilisateur. Pour les experts, il ne s’agit pas tant d’une baisse réelle, mais de l’impossibilité pour Google de mesurer certaines conversions du fait du manque de cookies. À terme, ces différents éléments peuvent conduire à un véritable manque à gagner dans un secteur fragile. De plus, Google, qui prépare aussi ses solutions d’adblock, a profité de l’épisode pour forcer la main des éditeurs : pour continuer de suivre la conversion avec précision, ces derniers se voient dans l’obligation d’utiliser les outils maison sur leurs sites : Analytics et AdWords.
Chez le Français Criteo, les annonces d’Apple ont eu un impact rapide sur l’entreprise qui voyait sa valorisation boursière baisser en prévision d’iOS 11. À l’époque, le géant hexagonal avait dû expliquer qu’il fallait minimiser l’effet de cette décision sur le business de la publicité. Aujourd’hui, la bourse est revenue à la normale, mais il reste de nombreuses incertitudes sur l’impact financier qu’auront à long terme iOS 11 et ses successeurs, sur ces entreprises. « Il y aura des gagnants, comme toujours, précise M. Menerat, mais ce ne seront pas les entreprises de la publicité telles qu’on les connait ». En effet, les ajustements techniques avancés ici et là sont plus compliqués que ne veulent le révéler les acteurs à leurs investisseurs.
Un ingénieur du secteur nous confirme : « Je pense qu’il y aura une migration vers des cookies first-party, mais cela demande une mise à jour technique importante pour les hébergeurs de sites. » Les cookies dits first-party sont ceux que les sites déposent sur les appareils sans les partager : pour que la publicité puisse s’en saisir pour cibler les clients, il faut ouvrir des larges chantiers avec les éditeurs et changer les modèles.
Pour certains observateurs, les gagnants de cette situation seront plus probablement Facebook et Google qui vont accroître leur domination du secteur. « C’est le paradoxe de la politique d’Apple, elle doit améliorer la confidentialité, mais finit par encourager toujours les mêmes acteurs : Google, Facebook, Amazon et eux-mêmes » dénonce-t-on dans le secteur. Certains observateurs vont jusqu’à souligner que les restrictions d’Apple coïncident avec le lancement des services publicitaires de Cupertino : les Search Ads de l’App Store. Un programme publicitaire qui ne concerne toutefois pas la navigation Internet.
« Encourager toujours les mêmes acteurs : Google, Facebook, Amazon et eux-mêmes »
Toutefois, avec la suppression des cookies tiers au bout de 24 heures, les acteurs qui pourront mieux qualifier les profils d’utilisateur sur iOS seront ceux proposant un environnement dit loggé. Ainsi, des services comme ceux de Google et Facebook — authentification, analytics, et widgets — qui sont présents partout sur leur web, vont pouvoir suivre et traquer l’utilisateur sans cookie tiers.
Les informations qu’ils collectent sur différents sites pourront servir à la vente de publicité mieux ciblée sur iOS que n’importe quel autre acteur. À terme, si ce scénario se confirme, les questions de confidentialité se reposeront avec, en plus, une concentration des données par une poignée d’entreprises.
Enfin, autre gagnant de cette politique : la publicité in-app, c’est à dire contenue dans les applications. M. Ménerat explique que de nombreux investissements vont se reporter sur ces solutions pour qui le tracking est encore possible, sans contrainte. Et pourtant, le tracking des solutions in-app est rarement plus conciliant avec la vie privée que le tracking de navigation. Christophe Dané, membre du bureau de l’IAB (Interactive Advertising Bureau, regroupant 140 sociétés) et CEO de Digitall Makers, estime à propos de l’écosystème in-app : « [la publicité in-app] c‘est encore le Far West, ce sont des acteurs qui échappent aux règles que le secteur, notamment IAB, essaie de mettre en place en termes de respect de l’utilisateur ».
Rappelons qu’il s’agit d’un environnement où les SDK publicitaires — type Teemo, Fidzup et autres — sont majoritaires et emportent avec eux des pratiques peu régulées, à la frontière de la loi, et qui n’apparaissent en rien bénéfique pour la vie privée.
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