Demandez-vous, et demandez autour de vous, quel est le processus rituel qui démontre le mieux l’existence d’une démocratie par rapport à une dictature. La réponse qui vient immédiatement en tête est l’élection, malgré le nombre important de régimes autoritaires qui se font élire. Depuis les Lumières, on ne conçoit plus la démocratie sans l’élection, même si le fait de glisser des bulletins dans une urne n’est que l’un des modes de désignation possibles des représentants, et absolument pas l’alpha et l’oméga de la démocratie. La démocratie est le gouvernement du peuple par le peuple et pour le peuple ; pas nécessairement le gouvernement du peuple par une fraction élitiste du peuple désignée par la majorité d’une partie du peuple — nous renverrons les lecteurs intéressés vers le livre Principes du gouvernement représentatif de Bernard Manin, ou le documentaire J’ai Pas Voté ci-dessous.
Or nos institutions dites « démocratiques » paraissent aujourd’hui à bout de souffle. Elles sont de plus en plus critiquées, ne parviennent plus à assurer le renouvellement des idées et des décideurs, et subissent une abstention grimpante. Pas seulement en France. En Grande-Bretagne, le taux de participation aux élections législatives a chuté depuis les années 1990, et peine à remonter :
C’est dans ce contexte que Facebook prend position pour encourager le système électif outre-Manche, comme il l’avait déjà fait aux Etats-Unis depuis 2010, et en Europe lors des dernières élections européennes.
Le réseau social de Mark Zuckerberg a signé un partenariat avec la Commission Electorale, une autorité administrative indépendante, pour ajouter un bouton « Je vote » sur les profils des membres de Facebook. Le bouton devra permettre le 7 mai prochain aux Britanniques de signaler l’accomplissement de leur « devoir citoyen », et ainsi d’encourager leurs amis à faire de même.
UN POUVOIR D’INFLUENCE SUR LES FOULES
Mais au delà de la question du soutien au modèle électif, en lui-même sujet à débat, c’est l’influence politique de Facebook qui doit être questionnée. Le site utilisé par 1,4 milliards d’internautes a déjà avoué et démontré qu’il avait une réelle capacité de manipulation des foules, et toute intervention dans le champ politique est donc sensible.
En 2012, des chercheurs de l’Université de Californie et de Facebook ont publié dans Nature (.pdf) les résultats d’une expérience menée deux ans plus tôt aux Etats-Unis, lors de l’élection législative. Des messages d’appel au vote avaient été diffusés auprès de 61 millions de membres du réseau social. « Les résultats montrent que les messages ont directement influencé l’auto-expression politique, la recherche d’informations et le comportement de vote dans le monde réel de millions de personnes », écrivaient-ils. « Les messages n’ont pas seulement influencé les utilisateurs qui les ont reçus, mais aussi les amis des utilisateurs, et les amis d’amis« .
Si ce n’est une promesse d’éthique et la confiance que l’on choisit d’avoir ou non, rien ne garantit que Facebook n’utilise pas ce pouvoir pour influencer non seulement l’action de voter, mais aussi le choix du bulletin. Le réseau social a cessé depuis longtemps de diffuser strictement ce que partageaient les utilisateurs, et filtre désormais ce qui est partagé pour mettre en avant certains contenus plutôt que d’autres, selon des algorithmes hautement confidentiels. Et même si l’on rejette cette vision paranoïaque, rien ne garantit que ce filtre, involontairement, n’influence pas les actualités et commentaires politiques les plus visibles et les plus partagés, et donc le résultat de l’élection.
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