Facebook a encore changé ses algorithmes. L’entreprise procède à un nettoyage méthodique de son réseau pour en finir avec les pirates du « j’aime ». Vont-ils y perdre toutes leurs plumes ?

Le glas sonne pour les growth-hackeurs sur Facebook. Depuis septembre 2017, le géant des réseaux sociaux a entrepris de méticuleusement empêcher les pirates du like de récolter leurs semences. Changements d’algorithme, suppression de pages : ce serait « une véritable purge » que le réseau social opérerait pour en finir avec les filous et les malins en quête de méthodes pour doper leurs audiences… et leurs revenus.

Growth-hackeur, ce drôle de métier qui va souffler ses dix bougies serait désormais une profession en péril sur Facebook. Les tâcherons du clic, jamais avares en stratagèmes pour capter des audiences, verraient leur business fondre comme neige au soleil. La faute à Mark Zuckerberg. Nous les avons rencontrés.

« Like-jacker »

Il y a maintenant deux mois, Charles Marginier perdait tout. Ou plutôt, il voyait la source principale du revenu de son entreprise, FireRank, se tarir totalement pour une durée illimitée. Facebook, dans un mouvement que ce petit patron qualifie de « campagne de nettoyage » avait suspendu toutes les pages du jeune homme, dont celle de son « média » FireRank. Du jour au lendemain, sans préavis, ses 25 employés se retrouvaient au chômage technique.

Aujourd’hui, le jeune entrepreneur clermontois se méfie des médias. Après ce coup d’arrêt de Facebook, tout a été dit sur son entreprise. Il aurait like-jacké — volé des j’aime — mais se serait également adonné à toutes les sorcelleries du growth-hacking les plus douteuses — rachat de page, course au buzz… Le jeune homme ne nie pas vraiment, mais il rappelle que FireRank, la page au cœur de son dispositif, n’a pas bénéficié de ce genre de pratiques. Une façon de dire que s’il a pu céder aux chants des sirènes du growth-hacking, son cœur de métier était « propre » comme disent ces pros du like.

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Qu’importe. Deux mois après, Facebook ne s’est toujours pas expliqué. L’entreprise auvergnate du jeune homme a dû pivoter. Et paradoxalement, M. Marginier est devenu un apôtre de la neutralité des plateformes et donne même des conférences sur le sujet. Tel un martyr, son histoire rappelle que sur les plateformes, la loi n’est jamais fixée.

Le jeune entrepreneur, qui a réussi à sauver sa boîte, s’est reconverti en vitesse. Il produit une version francisée du jeu mobile à succès HQ Trivia. Pour lui, Facebook, c’est fini. Il dit désormais : « Être dépendant des GAFA, c’est plus que dangereux. Il y a une naïveté à penser que Facebook est la nouvelle télé, mais une plateforme n’est jamais un périphérique. Sur Facebook, c’est toujours l’entreprise qui a le dernier mot. » Auprès de Numerama, l’entrepreneur prévient ses anciens concurrents, dont le sulfureux Maxime Barbier, patron de la boîte à clics MinuteBuzz : « Il se trompe s’il pense que la tempête est passée, elle reviendra. »

« Tag un ami qui »

Les pirates de l’audience auraient donc pris l’eau. « C’est la mort des approches les plus opportunistes, confirme Jean-Baptiste Duquesne, le temps du ‘tag un ami qui’, c’est fini. » M. Duquesne, fondateur de 750g, a quitté Webedia en 2016 pour fonder sa propre entreprise où l’on pratique la chimie des audiences.

Il pense que l’âge de raison est venu pour Facebook. Il explique : « Chez nous, nous avons pivoté vers des approches par communautés, on essaie de fournir de la valeur à des communautés ciblées ». Sa boîte gère ainsi une communauté sur les chats, succès increvable, sur les parisiennes, sur le féminisme, etc. « Pourquoi pas le scrapbooking et les hommes ? » se demande-t-il, ajoutant qu’il s’agit désormais de faire des « marques fortes avec lesquelles les utilisateurs ont un lien affectif ». À l’heure où Facebook pousserait à être plus exigeant, c’est devenu une question de survie.

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Charles Marginier ne tient pas un discours différent même si lui a jeté l’éponge. « Facebook, l’audience, les pages, ce ne sont que des leviers que nous avons surestimés. Le vrai challenge, c’est la valeur de la marque que l’on développe ».

Pourtant, des marques inexistantes ont fait la fortune de centaines de pionniers du buzz, « les Marocains » comme les appelle M. Duquesne en référence aux fermes à clic du Maghreb. Certains avaient moins d’une vingtaine d’années lorsque leur page Facebook vaguement rigolote a attiré des millions d’internautes, devenant, de facto, des entreprises. Ce fut le cas de Démotivateur, FireRank, MinuteBuzz et d’autres. Ces success-stories bien vite acquises reposaient sur une unique plateforme et sa technologie à un instant T. Il a suffi que le vent souffle en sens inverse pour que le bateau tangue.

Jean-Baptiste Duquesnes a sa théorie : « Avant 2013, les marques et les médias ne s’intéressaient pas à Facebook. Il a fallu que des particuliers montrent la voie avec des pages à gros succès pour que tout le monde se tourne vers le réseau. Mais lorsque Facebook a eu l’attention du Figaro et d’AlloCiné, ils n’ont plus eu besoin des vidéos virales volées sur YouTube. » Et là, c’est le début du drame des apprentis sorciers du buzz. Le réseau social dont l’intérêt économique réside dans le temps passé sur son fil d’actualité veut mûrir et donner de meilleurs contenus à ses utilisateurs, au risque sinon de les voir partir.

La piraterie n’est jamais finie

Le fil d’actualité poubelle où se mêlent vidéos volées, appeau à clic et contenus débiles, cela ne pouvait pas être le business du plus grand réseau social du monde pour des décennies. « Une fois que le contenu qualitatif est arrivé, Facebook a fait sa purge et a récupéré des annonceurs », rappelle M. Duquesnes. Aujourd’hui, nous vivrions la dernière phase de cette épuration. Pourtant, le growth-hacking serait loin de la mort clinique.

Un growth-hackeur qui stagne est un growth-hackeur perdu

Côme Courteault, growth-hackeur, n’a aucune pitié pour les petits qui ont disparu lors des purges récentes. « Facebook est un canal saturé : penser pouvoir faire du piratage d’audience dessus en 2018 c’est ne pas comprendre ce qu’est le growth-hacking », juge-t-il. Pour lui, la guerre était perdue depuis longtemps et n’avait même pas à être menée : « Le cœur même de cette activité est de s’adapter et de saisir vite les nouvelles opportunités »Un growth-hackeur qui stagne en s’imaginant rentier serait un growth-hackeur perdu. « Si ton business c’est uniquement Facebook, t’étais dans le faux dès le départ ». Lui, il s’estime content des changements réalisés par l’entreprise de Mark Zuckerberg, « c’est toujours moins de pollution », et n’a pas perdu de temps : il est déjà en train de pirater le reste du web.

Roublardise oblige, le growth-hacking ne meurt jamais, il se réinvente dans les interstices que laissent les plateformes. Avant-hier, Google, hier, Facebook, aujourd’hui Snapchat et Pinterest, demain… « profiter du web pour obtenir une audience, ça ne peut pas mourir » se rassurent certains. Mais il faut aller vite, très vite.

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