C'était déjà dans l'air du temps depuis que les livres électroniques sont vendus avec des espions qui regardent ce qu'en font les lecteurs. C'est désormais une réalité. A part du 1er juillet, Amazon va implémenter une nouvelle formule de son service Kindle Unlimited qui ne rémunérera plus les auteurs au nombre de livres qu'ils ont vendu, mais au nombre de pages que les lecteurs ont effectivement lues.
"Nous faisons cette bascule en réponse à de formidables retours que nous avons eu d'auteurs qui nous ont demandé de mieux aligner les paiements sur la longueur des livres, et combien lisaient les lecteurs", écrit Amazon. "Sous le nouveau programme, vous serez payé(e) pour chaque page que les clients individuels lisent de votre livre, la première fois qu'ils le lisent".
Déjà avec Kindle Unlimited lancé en France l'an dernier, les auteurs (via leurs éditeurs) n'étaient payés que lorsqu'au moins une petite portion de leur livre était lu. Désormais, c'est dès la première page qu'ils seront payés, mais ils seront moins payés moins si le lecteur s'arrête en page 10 que s'il s'arrête en page 300. Mais parce qu'un dictionnaire ne se lit pas comme un roman policier, et qu'une BD n'est pas aussi exigeante en attention qu'un essai scientifique, le multiplicateur de rémunération ne sera pas le même selon les genres des livres.
Amazon a ainsi inventé un "Kindle Edition Normalized Page Count" (KENPC), qui prend en compte la taille des polices, l'espacement entre les lignes ou les images, pour déterminer la rémunération appropriée. Le marchand assure que le genre sera pris en compte pour ne pas handicaper de livres exigeants qui demandent moins de pages pour dire plus de choses, mais l'on demande à voir. D'autant qu'Amazon annonce clairement qu'un livre de 200 pages lu abandonné au milieu sera payé autant qu'un livre de 100 pages lu jusqu'au bout.
QUEL IMPACT SUR LA LITTÉRATURE ?
Si la formule a du succès, c'est une véritable révolution culturelle qu'un simple changement de modèle économique pourrait provoquer, en incitant les auteurs à inclure toujours davantage de suspense dans leurs livres, ou à simplifier leur style en étalant les explications en longueur, plutôt que de viser l'efficacité par des phrases courtes aux mots soigneusement choisi. L'économie de mots et l'esprit de synthèse ne sera plus rémunératrice.
Ce n'est toutefois pas une première, loin s'en faut, dans l'histoire de la littérature. L'écriture a toujours été influencée par le format et le modèle économique. On n'écrit pas la même chose sur un papyrus destiné à une toute petite élite et sur un livre de poche reproduit à des centaines de milliers d'exemplaires. Jusqu'à une époque relativement récente de l'Histoire, les droits d'auteur n'existaient pas, et les auteurs étaient donc soit des hommes (beaucoup plus rarement des femmes) riches et parfaitement éduqués, qui pouvaient passer du temps à développer leurs idées, soit des bénéficiaires de dons effectués par des mécènes, qui pouvaient dicter ou à tout le moins influencer le contenu des livres. Lorsque les droits d'auteur sont arrivés, les auteurs ont gagné une indépendance économique à l'égard des maîtres qui les a toutefois rendu plus dépendants que jamais du public, influençant, déjà, sur la manière d'écrire ou sur les thèmes choisis, pour viser ce qui se vendrait le mieux.
Et comment ne pas évoquer le roman-feuilleton, très populaire au 19ème siècle ? C'est parce que l'auteur était payé par un journal à produire chaque jour les suites d'une aventure que des Balzac ou Alexandre Dumas ont pu produire de grandes oeuvres qui nécessitaient de tenir le lecteur en haleine. C'était, à sa manière, une forme de rémunération à la page.
Hélas, le droit d'auteur étant ce qu'il est, il sera toujours excessivement plus rentable pour l'auteur de produire une oeuvre complaisante en trois volumes destinée à un public de masse, que de produire une oeuvre exigeante dont chaque mot est parfaitement pesé, dont chaque page a fait l'objet de longues recherches, et qui n'intéressera qu'un petit nombre de lecteurs intéressés par le sujet. Le droit d'auteur est sous certains aspects une incitation à la médiocrité, et la formule proposée par Amazon ne fera que renforcer cet aspect.
D'un autre côté, elle limitera peut-être la rémunération de livres qui n'ont de succès que grâce au marketing, et qui finissent rangés dans des étagères à n'être jamais lus jusqu'au bout, tant ils sont mauvais.
Il faudra de longues décennies avant d'établir le bilan culturel de ce nouveau modèle économique.
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