Ce n'était pas (ou plus) un secret depuis de nombreuses années, mais c'est à notre connaissance la première fois que le montage est dévoilé avec ce niveau de détails. BFM Business publie ce mardi des informations qui démontrent que les trois majors de l'industrie du disque Warner Music, Universal Music et Sony Music, ont accordé les droits sur leur catalogue à la plateforme française en échange de bons de souscription d'action (BSA), ou "warrants", qu'ils peuvent convertir en actions.
Les trois labels détiendraient des options leur permettant de détenir ensemble jusqu'à 20 % du capital, ce qui représente 200 millions d'euros au regard de la valorisation de 1 milliard d'euros visée par Deezer. Un mécanisme contractuel oblige même Deezer à émettre à leur profit de nouveaux BSA à chaque levée de fonds, pour éviter une dilution des 20 % potentiels.
Or ce montage, qui existe aussi avec d'autres plateformes comme Spotify, est scandaleux pour les artistes dont les intérêts sont clairement lésés. Au point que l'on peut s'interroger sur la légalité du procédé.
Les chanteurs et les artistes-interprètes qui signent avec les producteurs sont en effet rémunérés sur la base des revenus générés par les ventes des chansons et par leur diffusion (typiquement entre 5 et 15 % du chiffre d'affaires net selon la notoriété de l'artiste ou du groupe). Pour les plateformes de streaming ces revenus sont générés selon des contrats confidentiels, qui mélangent minima garantis, partage de revenus publicitaires et rémunération par nombre d'écoutes. Théoriquement, l'intérêt commun du producteur et de l'artiste est de maximiser ces revenus, donc d'exiger le maximum des plateformes. Quitte, si ça n'est pas suffisant, à refuser de signer et d'accorder les droits.
PRODUCTEUR OU ADVERSAIRE ?
Mais Warner, Universal et Sony étant actionnaires, ou actionnaires potentiels de la plateforme de diffusion, leur intérêt n'est plus tout à fait le même que celui des artistes qu'ils représentent. Ils doivent concilier d'un côté leurs intérêts de recettes à court terme, qui sont d'obtenir une rémunération suffisante sur les abonnements générés et les revenus publicitaires, et d'un autre côté leurs intérêts d'actionnaires potentiels à long terme, qui sont d'augmenter la rentabilité de la plateforme pour augmenter sa valorisation et donc le montant du chèque lors de la cession des actions.
Or les artistes ne toucheront strictement rien des revenus obtenus par la cession des actions. Si les majors touchent 200 millions d'euros en revendant leurs parts de Deezer, pas un seul centime n'ira dans les poches des artistes qui ont permis à Deezer d'obtenir des abonnés. Les revenus de dividendes et autres plus-values de cessions d'actions n'entrent pas dans les feuilles de calcul des droits reversés aux artistes-interprètes.
On rappellera, à ceux qui n'ont pas suivi les débats sur ce thème depuis 15 ans, que les majors de l'industrie musicale ont combattu avec force (et avec en France l'aide de François Hollande et de Nicolas Sarkozy) tout mécanisme de licence globale ou de licence obligatoire qui aurait autorisé l'ensemble des internautes et des entreprises à diffuser de la musique, sous réserve du paiement de droits fixés de façon transparente et égalitaire pour tous. Le mécanisme aurait retiré aux majors tout pouvoir d'entourloupe, et aurait évité la création de systèmes de licences globales privatisées à la Spotify ou à la Deezer, dont le mode de fonctionnement est très critiquable et très peu rentable pour les créateurs.
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