Engagement sincère ou simple artifice de communication ? Alors que l'économie sociale et solidaire se développe en Occident, Kickstarter est l'une des premières grandes start-up américaines à se convertir sous le statut récent de "Public Benefit Corporation". Un statut d'entreprise d'intérêt public assez peu contraignant, qui l'engage à défendre d'autres valeurs que la recherche du profit.

"Nous pensons qu'une entreprise à but lucratif est un bon modèle pour attirer des talents et fédérer des gens autour d'un objectif, mais nous ne pensons pas que ça veut dire que vous devriez vouer un culte au dieu de la croissance et de l'argent". C'est par ces mots que Yancey Strickler, co-fondateur et CEO de Kickstarter, explique dans une interview à Slashdot les raisons de la décision prise récemment par l'entreprise de modifier ses statuts pour devenir une "entreprise d'intérêt public", ou Public Benefit Corporation. "Ce n'est pas le premier mot que vous attendriez de la part d'un PDG, mais je dirais que nous avons décidé cela par idéalisme".

Le 21 septembre dernier, Kickstarter Inc a en effet annoncé qu'il devenait Kickstarter PBC, pour adopter une nouvelle forme de statuts à travers lesquels l'entreprise s'engage à respecter une charte d'engagements sociaux, qu'elle publie sur son site internet. Cette charte devient juridiquement contraignante et impose que l'entreprise livre chaque année un rapport sur le respect de ces engagements.

Dans sa charte, Kickstarter met en avant principalement sa volonté de soutenir les projets culturels, avec le versement de 5 % de son résultat net à des programmes éducatifs sur les arts. Une partie indéterminée de ces 5 % sera également dévolue à des organisations luttant contre les inégalités, l'autre grand engagement social de Kickstater. Il promet d'accorder du temps libre rémunéré à ses employés pour leur permettre de participer en tant que mentors à des programmes de formation, et publiera des rapports sur sa gestion interne faisant état par exemple des ratios entre les plus petits salaires de l'entreprise et la rémunération des dirigeants (mais sans engagement sur le respect d'un ratio maximal).

DES ENGAGEMENTS PEU CONTRAIGNANTS

Par ailleurs, Kickstarter s'engage à ne pas vendre de données personnelles à des tiers, à "défendre avec zèle" la vie privée de ses utilisateurs y compris à l'égard des gouvernements, à ne pas exploiter de failles dans la législation fiscale (et à être transparent sur le pourcentage d'impôts qu'il paye), ou à limiter son impact environnemental.

Une série d'engagements décrits dans des termes suffisamment larges pour ne pas être trop contraignants et ne pas entamer les bénéfices réalisés par l'entreprise (qui en gardera donc 95 %), ce qui explique sans doute que le conseil d'administration et l'ensemble des actionnaires privés de l'entreprise ont accepté cette modification de statuts, y compris des fonds d'investissement qui n'ont pas la préoccupation sociale chevillée au corps et au coeur.

"Lorsque vous devenez une entreprise d'intérêt public, ça veut dire que vous vous engagez légalement à prendre en compte le fait que votre entreprise a un impact sur la société, en plus des profits que votre entreprise recherchent en tant qu'entreprise à but lucratif", défend tout de même Yancey Strickler. "Ca oblige à équilibrer ces deux choses et, presque littéralement, ça oblige à ce que l'entreprise réalise une forme de bien public dans le cours de ses activités".

"Cette manière dont nous voyons les choses est maintenant codifiée et les futurs dirigeants de Kickstarter seront obligés de la suivre".

Mais il n'y a par exemple aucun engagement sur le type de projets que Kickstarter aide à financer avec la participation des internautes, en fonction de leur propre impact social ou environnemental.

ECONOMIE SOCIALE ET SOLIDAIRE

Comme l'avait analysé Rue89, il s'agit certainement d'abord d'un coup de comm', qui permet à Kickstarter d'afficher des valeurs utiles à sa réputation, et donc à sa croissance. Mais il est justement intéressant de voir qu'en 2015, sur un internet qui navigue depuis 20 ans entre ultra-libéralisme et communisme, une entreprise établie chez l'Oncle Sam peut ressentir un intérêt à présenter et à défendre des valeurs utiles au développement social. C'est une inflexion certes très modeste mais bien réelle de l'école triomphante du néo-libéralisme, qu'il sera intéressant de suivre au long cours.

Le statut d'entreprise d'intérêt public est très récent aux Etats-Unis, la majorité des états l'ayant adopté ces deux ou trois dernières années, mais il commence à séduire. Environ 1000 entreprises l'auraient déjà choisi, dont certains grands noms comme la boutique e-commerce Etsy, ou la marque de vêtements Patagonia.

En France, la loi du 31 juillet 2014 sur l'économie sociale et solidaire explique à son premier article qu'outre les associations et autres coopératives, une entreprise peut adhérer à cette "forme d'entreprendre et de développement économique", à condition qu'elles aient :

  • Un but poursuivi autre que le seul partage des bénéfices ;
     
  • Une gouvernance démocratique, définie et organisée par les statuts, prévoyant l'information et la participation, dont l'expression n'est pas seulement liée à leur apport en capital ou au montant de leur contribution financière, des associés, des salariés et des parties prenantes aux réalisations de l'entreprise ;
     
  • Une gestion conforme aux principes suivants : a) Les bénéfices sont majoritairement consacrés à l'objectif de maintien ou de développement de l'activité de l'entreprise ; b ) Les réserves obligatoires constituées, impartageables, ne peuvent pas être distribuées.

Aux termes de la loi les entreprises commerciales classiques peuvent donc être réputées "d'économie solidaire et solidaire" si, en plus de ces conditions et de règles de gestion contraignantes, elles poursuivent une "utilité sociale" telle que décrite à l'article 2. Les entreprises qui se placent sous ce statut peuvent alors accéder à des aides publiques qui leur sont réservées.

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