Loin de s’apaiser, la guerre commerciale entre les États-Unis et la Chine est sur le point de franchir un nouveau seuil. Le 7 septembre, Donald Trump a en effet évoqué la possibilité de taxer la totalité des importations chinoises, qui se sont élevées en 2017 à plus de 505 milliards de dollars. Une élévation des tarifs douaniers qui pourrait se faire « rapidement », a prévenu le président américain.
Ce bras de fer, inédit par son ampleur, entre les deux superpuissances n’est toutefois pas que bénéfique pour l’économie américaine : il produit des dommages collatéraux à divers niveaux. La Chine étant depuis des dizaines d’années l’atelier du monde, les activités des entreprises américaines qui transitent par l’Empire du Milieu subissent par ricochet la politique implacable de la Maison-Blanche.
C’est l’avertissement adressé le 7 septembre par Apple au représentant américain au commerce. Les tarifs douaniers proposés engendreraient une taxe de 25 % soit sur les produits eux-mêmes, soit sur les composants qu’ils contiennent, ce qui augmenterait leur prix (puisque la firme de Cupertino n’entend pas rogner sur ses marges) et ferait baisser probablement les ventes, la grille tarifaire étant déjà bien élevée.
Les produits potentiellement touchés sont l’Apple Pencil, les AirPods, l’Apple Watch, le Mac Mini, le HomePod, mais aussi la souris sans fil et le trackpad, les étuis et housses en cuir, des adaptateurs, des chargeurs et des câbles à destination des États-Unis. Le produit phare de la marque, l’iPhone, n’est pas directement mentionné, mais il sera de fait affecté à travers ses composants électroniques.
Aux craintes exprimées par le géant de l’électronique grand public, Donald Trump a fait comme à son habitude : il est allé sur Twitter pour expliquer au monde entier à quel point c’est simple de résoudre ce dilemme. Il suffit tout simplement que l’entreprise relocalise ses lignes de production aux États-Unis, au lieu de les laisser en Chine, et le tour est joué !
« Les prix d’Apple peuvent augmenter en raison des droits de douane massifs que nous imposons peut-être à la Chine, mais il existe une solution facile où il n’y aurait aucune taxe et où il y aurait même une incitation fiscale. Fabriquez vos produits aux États-Unis plutôt qu’en Chine. Commencez à construire de nouvelles usines dès maintenant. Excitant ! #MakeAmericaGreatAgain ».
La relocalisation d’Apple aux USA est un thème cher à Donald Trump. Il en avait même fait un volet de sa campagne présidentielle en 2016 : « je vais demander à Apple de se mettre à fabriquer ses ordinateurs et l’iPhone chez nous… comment cela peut-il nous aider quand [l’entreprise] les fabrique en Chine ? », avait-il lancé à l’époque. Et pour cela, la stratégie du chef de l’État reposait sur les avantages fiscaux.
Cette stratégie a eu lieu, grâce à la réforme fiscale conduite par Washington. En début d’année, Apple a annoncé son intention de transférer son important trésor de guerre, placé dans des paradis fiscaux, aux USA, malgré les frais que cela pourrait lui coûter. Ce trésor de guerre s’élève à 269 milliards de dollars, selon des chiffres du 30 septembre 2017. Et 97 % de ce montant se trouvent hors du pays.
Mais si Apple a annoncé le transfert de ses immenses réserves financières, le groupe est bien plus réfractaire à l’idée de produire en Amérique. Et ce n’est visiblement ni la politique fiscale accommodante de Donald Trump ni son bras de fer économique avec la Chine qui vont faire changer d’avis la direction du groupe californien : c’est simplement qu’il n’est pas et plus possible de produire massivement en Amérique.
Andre Sharon, professeur à l’université de Boston, expliquait que « tant de savoir-faire a été perdu au profit de l’Asie, et il n’y a aucune raison décisive pour que celui-ci revienne. C’est formidable lorsqu’une entreprise dit qu’elle veut créer des emplois américains. Mais c’est seulement utile au pays […] si cela est un point de départ d’une réaction en chaîne ou une partie d’un grand changement économique ».
Dale Jorgenson, un économiste à l’université Harvard, observait que «les gens chez Apple créent beaucoup de richesse en construisant des ordinateurs, pas parce qu’ils opèrent des usines de fabrication. Ils font de la recherche et du design et gèrent la chaîne d’approvisionnement elle-même. Tout ça est essentiellement de la valeur ajoutée pour les États-Unis. Ce sont des emplois hautement qualifiés qui sont très, très importants pour notre économie et qui sont essentiellement notre avantage concurrentiel ».
«Apple crée beaucoup de richesse en construisant des ordinateurs, pas parce qu’elle opère des usines de fabrication »
De son côté, le New York Times rappelait une réalité crue : « ce qui a incité Apple à faire assembler ses téléphones en Chine n’est pas tant le faible coût de la main-d’œuvre que sa flexibilité : là-bas, on peut tirer du lit 8 000 ouvriers en pleine nuit et les mettre au boulot ». Le journal américain citait au passage un responsable de l’entreprise, celui-ci pointant la déqualification de la main-d’œuvre américaine :
« On ne devrait pas nous reprocher de faire appel à la main-d’œuvre chinoise. Les États-Unis ont cessé de former des gens présentant les compétences dont nous avons besoin ». « Selon les responsables d’Apple, il n’y a tout simplement pas assez de travailleurs disposant des qualifications nécessaires aux États-Unis, et pas assez d’usines suffisamment flexibles et réactives ».
Ces explications ont-elles qu’effleuré l’esprit du président américain lors de la rédaction de son tweet ? On peut légitimement en douter, vu le ton pour le moins emballé qui transparaît de son message. Cela questionne en tout cas le niveau de culture économique du président américain. À moins qu’il ne voulait titiller l’entreprise américaine, qui va présenter le 12 septembre ses nouveaux produits ?
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