[Enquête Numerama] Sur Internet, il faut toujours se méfier des avis, dont certains sont de faux-positifs. Mais l’absence de critiques peut aussi cacher des magouilles et des pratiques douteuses.

Début septembre, Laurette, une vidéaste, a tourné une vidéo dans laquelle elle achetait des produits parmi les plus mal notés du site Amazon. Elle s’y étonne de voir des avis négatifs disparaître, comme par « magie ». À en croire les clients et d’anciens vendeurs Amazon qui ont témoigné auprès de Numerama, cela n’a rien d’un hasard. C’est une même une pratique répandue sur la plateforme de e-commerce.

Un produit gratuit en échange du silence

Il suffit de regarder les commentaires sous la vidéo de Laurette pour s’en rendre compte. « Un jour j’ai posté un mauvais commentaire sous un article Amazon, j’ai reçu un appel quelques jours après me demandant de le retirer en échange de 10 euros. Ils l’ont enlevé et j’ai jamais eu 10 euros », raconte Anne-Laureil. « Le vendeur m’a appelé sur mon numéro personnel et m’a proposé d’enlever mon avis contre un remboursement de mon achat », ajoute Miss Fortuneil.

Les clients n'obtiennent pas toujours ce qu'ils voulaient. // Source : Capture d'écran / YouTube

Les clients n'obtiennent pas toujours ce qu'ils voulaient.

Source : Capture d'écran / YouTube

Des témoignages comme ceux-là, on en compte par dizaines sous la vidéo. Nous en avons reçu bien d’autres, unanimes. Il y a Adam, qui explique que ça lui est arrivé « deux fois », mais aussi Staruuu (il s’agit d’un pseudo), qui a été approché et dit avoir refusé l’offre, Amidou à qui l’on a proposé un produit plus cher que celui commandé « plus un remboursement », ou encore Sylvain, qui a obtenu « un produit plus performant que celui commandé, gratuitement » en l’échange de son silence.

Matthieu* lui, a reçu plusieurs emails d’un vendeur depuis qu’il a acheté une souris et a eu le malheur de lui accorder seulement trois étoiles sur cinq sur Amazon. En commentaire, il a écrit sur le site que la matière était « un peu ‘cheap’ ». Par mail (ci-dessous), le vendeur, très poli, lui demande : « Pour restaurer votre satisfaction, est-il acceptable de vous rembourser 3 euros à titre de dédommagement ? » Matthieu a fini par refuser l’argent, mais ajouter une étoile, estimant que pour le prix auquel il avait acheté la souris, elle valait finalement peut-être un peu plus.

L'un des (nombreux) mails reçus par Matthieu les semaines suivant son achat. // Source : Numerama

L'un des (nombreux) mails reçus par Matthieu les semaines suivant son achat.

Source : Numerama

Un procédé bien rodé

Ces témoignages ne sont pas sans rappeler des accusations formulées mi-septembre par le Wall Street Journal, même s’il s’agissait dans ce cas-là d’employés d’Amazon qui supprimaient des avis. Ils n’étonnent en tout cas pas du tout les personnes ayant travaillé, ou effectué des stages chez des vendeurs qui utilisent Amazon pour vendre leurs produits.

Thomas a été employé dans l’une de ces entreprises, basée en France, il y a quelques années. Lui et « deux ou trois autres stagiaires » avaient pour mission à temps plein de « [s’]assurer des taux de satisfaction du compte de l’entreprise », explique-t-il à Numerama. « Pour cela, je devais contacter directement les clients ayant laissé des avis négatifs afin de ‘négocier‘ avec eux, le plus souvent en échange d’un petit virement [qui oscillaient entre 5 et 20 euros selon la « gravité » des avis], d’avoirs ou de cadeaux. »

Un entrepôt Amazon. // Source : Flickr/CC/Scott Lewis

Un entrepôt Amazon.

Source : Flickr/CC/Scott Lewis

Simon*, ancien vendeur qui utilisait Amazon pour commercialiser ses produits, avait aussi pour habitude de proposer des remboursements de commandes « contre le retrait de l’avis ». « De temps en temps », précise-t-il.

« Les clients acceptaient volontiers de retirer leur avis »

Si les sommes (directement versées sous forme d’argent ou sous la forme d’un produit) ne sont pas énormes, le procédé est efficace, assure Thomas. « Les clients étaient agréablement surpris d’être appelés, et acceptaient volontiers de retirer leur avis », témoigne-t-il, ajoutant que son employeur faisait partie de la catégorie « top seller » d’Amazon, et avait parmi les meilleurs taux d’avis.

Des groupes Facebook pour compenser les avis négatifs par des avis positifs

D’autres vendeurs, eux plutôt basés dans des pays de l’Asie de l’est, ont recours à des méthodes qui posent également question. Plutôt que d’aller supprimer des commentaires négatifs, ils préfèrent faire en sorte de les compenser avec un maximum d’avis positifs. Pour cela, ils proposent à des clients de commander un produit chez eux. Les clients payent, mais sont remboursés via leur compte PayPal une fois qu’ils ont mis un avis.

Chaque jour, de nouveaux membres rejoignent le groupe français dédié. // Source : Capture d'écran / Facebook

Chaque jour, de nouveaux membres rejoignent le groupe français dédié.

Source : Capture d'écran / Facebook

Il existe des groupes Facebook dédiés. Nous en avons infiltré un français, France Review Amazon, qui compte plus de 11 000 membres en six mois d’existence. Les règles sont tacites, et dépendent des vendeurs.

Nous avons demandé à ces derniers, nous faisant passer pour un client potentiel, si nous étions obligés de laisser un avis positif. Nous n’avons pas obtenu de réponse de leur part, et certains nous ont même immédiatement bloqué.

Les acheteurs reconnaissent que la pratique existe, et que des vendeurs exigent 5 étoiles et un commentaire positif contre le produit gratuit. Beaucoup assurent ne pas collaborer avec ce genre de vendeur. Pour autant, même si ils sont déçus d’un produit, ils avouent ne pas mettre d’avis négatif.

Ceux qui disent ne pas tester « beaucoup » de produits peuvent en recevoir plus de 10 chaque mois.

Amazon sanctionne des pratiques et en tolère d’autres

Ces pratiques sont sanctionnées par Amazon lorsqu’elles sont repérées. Des membres des groupes Facebook de « testeurs » expliquent ainsi avoir perdu leur classement (sur le site, les acheteurs sont classés selon le nombre de commentaires laissés), dont dépend le nombre de produits gratuits envoyés, nous explique un vendeur. Les internautes peuvent aussi être « bannis », c’est-à-dire ne plus pouvoir écrire de commentaires. Cette seconde sanction ne leur fait pas vraiment peur, car il suffit de créer un autre compte pour y remédier.

Amazon connaît ces pratiques

Contacté par Numerama, Jean*, ancien gestionnaire de compte chez Amazon, reconnaît que les sanctions n’ont pas toujours été aussi claires concernant les vendeurs qui soudoient les acheteurs pour le retrait d’avis négatifs. Il affirme avoir été au courant, ainsi que ses collègues, de ces pratiques appelées « cashback ». Elles n’étaient pas considérées comme nécessairement contraires aux règles du site.

Par exemple, il souligne qu’il était admis qu’un vendeur puisse demander à un acheteur le retrait d’un avis négatif après remboursement, car c’était considéré comme un dédommagement et donc un problème résolu. « De base, Amazon n’aime pas que l’on sollicite les clients, mais il y a une tolérance si le vendeur n’en abuse pas, et surtout s’il le demande comme un service après avoir fait le geste », détaille Jean.

Être vendeur sur Amazon, la peur de la mauvaise note

Sur Amazon, si un client se plaint, le vendeur peut recevoir un avertissement ou, en cas de récidive, être temporairement suspendu du site.

Un carton d'emballage Amazon Prime. // Source : www.quotecatalog.com

Un carton d'emballage Amazon Prime.

Source : www.quotecatalog.com

Certains vendeurs vont même plus loin, et estiment qu’Amazon les pousse indirectement à adopter de telles pratiques. Simon explique : « Un vendeur mal évalué est lourdement pénalisé. À cause [de mauvaises notes], on peut passer de 100 commandes par jour à 4 ou 5. Les produits ne sont plus mis dans les top ventes. Amazon ne répond jamais aux demandes des vendeurs sur ce point. »

Contacté à plusieurs reprises, Amazon n’a pas donné suite à nos demandes d’interviews.

*Les prénoms ont été modifiés.

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