« On a un des meilleurs métro du monde. Tu y ajoutes les scooters, les vélos et les trottinettes en libre-service, quand Paris sera parfaitement quadrillée, on n’aura même plus besoin d’aller s’acheter un quelconque moyen de transport ! » Entendue dans la bouche d’un entrepreneur sortant d’une conférence sur la mobilité, cette phrase n’a rien d’anodin. La fin de la propriété n’est pas seulement un idéal communiste : c’est aussi un joli marché que les startupeurs n’ont pas envie de laisser passer.
Depuis l’avènement du Vélib’ en 2007, les solutions de transports partagés n’ont de cesse de se multiplier : autopartage d’abord, et solutions de covoiturage, plutôt utilisées sur les moyennes et longues distances. Puis ce sont les offres de free-floating qui ont pris Paris d’assaut : en juin 2016, Cityscoot a débarqué, proposant aux citadins ses scooters en libre-service, suivi de Coup. Du côté des vélos, Gobee Bike a lancé la danse en octobre de l’année suivante avant d’être suivi par oBike, Ofo, Mobike ou encore dernièrement Donkey Republic.
Récemment, nous sommes entrés dans l’ère des trottinettes électriques. Deux roues, un guidon, et la possibilité d’atteindre 30 ou 40km/h sur certains modèles. Elles provoquent l’ire de certains, tandis que d’autres les ont déjà adoptées, de part leur facilité d’usage et la réponse qu’elles apportent à la problématique du dernier kilomètre — l’espace qui sépare le domicile de la station de métro la plus proche, par exemple.
Mais comme tous les autres moyens cités, elles s’intègrent parfaitement dans une nouvelle vision des transports, non plus compris comme objets et moyens personnels, mais bien comme un service.
La MaaS, une nouvelle idée du transport
La Mobilité comme service (ou MaaS, pour Mobility as a Service) est née en Finlande. C’est l’impulsion d’entrepreneurs comme Santo Hietanen, fondateur de MaaS Global, mais aussi de collectivités comme celle d’Helsinki qui lui ont donnée ses lettres de noblesse : la capitale finlandaise voudrait rendre cette forme de mobilité possible pour la totalité de ses habitants d’ici 2025.
Le concept, lui, présente tous les signes de l’ère numérique : l’utilisateur est au premier plan, le moyen de transport devient une commodité plutôt que le vecteur de liberté comme lequel la voiture a longtemps été perçue. Et pour relier le tout, il y a les plateformes en ligne de géolocalisation des engins.
Comme l’expliquent Maria Kamargianni et Melinda Matyas, chercheuses au University College de Londres, dans une publication de janvier 2017, l’enjeu de ce nouveau modèle de transport est de faire le pont entre offres publiques et privées pour, à terme, permettre de réduire la dépendance d’un utilisateur à un objet fixe.
Les utilisateurs profitent, les startups se frottent les mains
Sentiment de « liberté » pour Paul, gain de place pour Raphaël : les utilisateurs de véhicules en libre-service que nous avons interrogés sont unanimes sur leur utilité. La propriété privée est pour eux synonyme de contraintes. Du haut de ses 26 ans, Paul considère la charge mentale derrière l’achat d’un vélo électrique : trop souvent volés, il devient difficile pour leurs propriétaires de passer une soirée sans avoir peur de ne jamais les retrouver.
Les premières à profiter de cette philosophie sont évidemment les startups de location en free floating. Indigo Weel, solution de partage de vélos, est en plein essor : « En trois mois, on a atteint les indices de fréquentation que nous espérions atteindre au bout d’un an », raconte Jean Gadrat, directeur général de la filiale d’Indigo. « En moyenne, dans les 7 villes françaises où nous sommes implantés, les vélos tournent déjà entre 3 et 4 fois par jour. » La sociologue Anaïs Rocci, spécialiste des changements de pratique de mobilité, n’est pas étonnée : « Dans ce nouveau modèle, les gens ne voient plus leur voiture que comme un outil destiné à répondre à des besoins très précis. Il est logique, dans ce cas, qu’ils se tournent vers ces nouvelles offres. Quant au côté novateur, il y est aussi probablement pour quelque chose. »
Quelle place pour le piéton ?
Du côté des villes, les solutions de partage sont évidemment une aubaine. D’abord écologique : elles s’intègrent parfaitement dans la lutte contre la pollution atmosphérique, nous confirme le cabinet de Christophe Najdovski, maire adjoint en charge des transports et de l’espace public.
Au niveau de l’espace public, la question est plus compliquée. Actuellement, dans les grandes villes françaises, les véhicules sont finalement peu utilisés et restent stationnés 95% du temps. Si une bonne partie des citadins renonçaient à leurs propres voitures pour ne profiter que d’offres de MaaS, cela permettrait donc de dégager une bonne partie de l’espace pris par les parkings.
Mais les nouvelles mobilités prennent aussi de la place, et cela pose de vraies question en terme d’urbanisme et d’espace public. Parking sauvage, limitations de vitesse, réflexions sur les modes de circulation adaptés à ces nouveaux services… « La priorité, c’est donc d’assurer la sécurité des piétons », analyse-t-on au sein du cabinet de Christophe Nadjovski. «Il ne faut pas perdre de vue que le mode de transport le plus utilisé reste la marche. »
Une problématique à laquelle les collectivités tentent de répondre en créant de nouvelles régulations. À Toulouse, par exemple, le nombre d’acteurs présents est désormais limité. A Grenoble, Indigo a signé une licence exclusive sur 12 mois avec la mairie. « On leur communique aussi une partie de nos données, notamment celles qui montrent les zones de fort usage de nos outil », explique Jean Gadrat. « Cela permet aux collectivités d’adapter efficacement le nombre de parkings à vélos ou de pistes cyclables. » Et à Paris, les acteurs du free-floating doivent désormais signer une charte de bonne conduite.
Une nouvelle génération sans voiture ?
« Ce qu’on espère, c’est retarder l’achat de la première voiture, et peut-être d’empêcher celui de la deuxième », nous explique Bernard Dupré, conseiller municipal d’Angers. Dans la ville elle-même, en plus des 2 800 vélos que la mairie propose gratuitement aux pendant un an aux habitants, la start-up locale Pony Bike puis Indigo Weel ont installé 450 vélos en free-floating depuis octobre 2017.
Difficile, en revanche, de pousser pour un abandon total de leur propriété : « Lorsqu’on habite à une quinzaine de kilomètres plus loin, on ne va évidemment pas à y renoncer. »
Pour les moyennes ou longues distance, il y a le covoiturage, déjà bien implanté dans les usages de 30% des français, ou bien la location de voitures entre particuliers et l’autopartage, qui séduisent une frange plus minoritaire de la population (respectivement 7% et 3% en 2018). Mais quand il s’agit juste de rallier la ville à côté de laquelle on habite, ou que l’on souhaite faire des trajets de banlieue à banlieue, c’est tout de suite plus compliqué. « Pour des raisons de rentabilité, il faudra probablement un coup de pouce des collectivités pour aller chercher les utilisateurs plus loin qu’en centre-ville », confirme Jean Gadrat (Indigo Weel).
De surcroit, les utilisateurs typiques des solutions de nouvelles mobilités ont tendance à se ressembler, nous rappelle la sociologue Anaïs Rocci. « Ce sont des gens qui sont séduits par la possibilité de tester ces objets, mais aussi habitués à l’usage des nouvelles technologies. Globalement, ce sont donc les jeunes cadres, CSP+, qui tirent la demande.»
Pour les autres, en revanche, « devoir tester quelque chose de neuf peut être synonyme d’incertitude, ça peut-être une vraie source de blocage. » Autour de l’évolution des modes de circulation, et du passage de la propriété du moyen de transport à la mobilité comme service, il reste donc également de gros enjeux d’éducation. La voiture a encore de beaux jours devant elle.
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