Depuis qu’Apple a sorti son iPad Pro en 2016, la tablette tactile de la marque est entrée dans l’ère de l’usage productif. Ou tout du moins, c’est ce que la communication d’Apple laisse entendre : l’iPad Pro moderne est un presque ordinateur et l’iPad 2018 est un objet pensé pour être utilisé dans les universités, les collèges et les lycées, accompagné ou non d’un stylet et d’un clavier externe. Dans le même temps, Apple a lancé une offensive iPad sur un secteur qu’il maîtrise historiquement : celui des professions créatives, notamment celles dérivées des arts graphiques — design, architecture, photographie. Le stylet des iPad Pro et la puissance du dernier modèle sont les principaux ambassadeurs de cette stratégie.
Pourtant, si Apple a besoin de convaincre, c’est que l’usage d’une tablette tactile pour travailler, iOS ou Android, n’est pas naturel. La question ne se pose par exemple pas du tout avec les modèles de Microsoft — la gamme Surface — car on sait qu’ils font tourner Windows 10. Le système d’exploitation de bureau du géant de Redmond est familier et peut lancer toutes les applications et autres logiciels que les utilisatrices et utilisateurs connaissent. La seule question qu’on se pose quand on achète une tablette Surface, c’est savoir quelle sera sa capacité à faire tourner ces logiciels confortablement.
Alors que l’iPad Pro de 2018, censé décupler encore ces capacités business, est sorti, la question se pose toujours : qui utilise ces tablettes professionnellement ? Le profil de l’utilisateur est-il forcément celui que nous présente Apple dans ses keynotes ? Entre nos témoignages recueillis auprès d’entreprises et d’indépendants et notre expérience, Numerama peut aujourd’hui vous présenter l’utilisateur d’iPad au travail. Et les surprises sont au rendez-vous.
Réapprendre et rééquiper
Cela aurait été un bon gimmick conclusif, mais ce n’est malheureusement pas le cas : cet article n’est pas écrit sur un iPad ou un iPad Pro. Les raisons sont nombreuses et ne sont pas matérielles : le clavier de nouvelle génération est vraiment très confortable et nous n’avons aucun mal à utiliser un doigt pour naviguer pendant que nos mains tapent. Le problème est double — technique et workflow.
Côté technique, Numerama tourne sur une base Wordpress avec de nombreux modules et personnalisations développées en interne. Affiché sur un iPad, notre backoffice (plateforme de rédaction) n’est pas idéal, avec ses petites cases pensées pour un usage au pointeur. On pourrait éditer un article jusqu’au bout (jusqu’au téléchargement des images, qui fonctionne bien), mais un problème lié à Wordpress est rédhibitoire : impossible de sélectionner un groupe de mots, par exemple pour ajouter un lien hypertexte. C’est un bug connu d’iOS avec Wordpress qui va soit sélectionner un mot, soit… tout le texte qui suit. Le curseur de sélection traditionnellement utilisé n’est pas fonctionnel. Et ne pas pouvoir sélectionner un bout de texte pour l’effacer ou l’éditer n’est pas une option que nous pouvons choisir.
Cet exemple montre que le système basé sur des applications pensé par Apple se confronte aux limites des interfaces professionnelles qui ont été conçues pour un usage web. C’est là où Google a une avance (et beaucoup de longueurs de retard sur d’autres points), avec ChromeOS qui n’est grosso modo qu’un lanceur de Google Chrome avec ses web apps, sa compatibilité totale avec les interfaces web modernes, etc. Aujourd’hui, il n’est pas possible de lancer deux fois la même application sur iOS : pour un journaliste qui travaille avec de multiples sources, pouvoir avoir à gauche de l’écran le texte dans Safari ou Chrome et à droite Chrome ou Safari avec des tas d’onglets qui sont autant de sources, ce n’est pas du luxe. iOS ne permet pas cela. Il faudra utiliser deux navigateurs — ou plus, pour multiplier les web apps directement accessibles en un clin d’œil.
C’est donc aussi une question de workflow : l’iPad impose de tout changer, de revoir ses habitudes, de réévaluer ses manières de faire. Et c’est pile ce qu’un professionnel ne veut pas : perdre en productivité pour pallier les défauts d’un outil. Utiliser Photos et ses galeries plutôt que des dossiers bien rangés, utiliser des logiciels de montage au doigt plutôt qu’un Affinity avec ses tas de raccourcis, mettre les fenêtres côte à côte plutôt qu’empilées… autant de choses qui induisent une perte de repère.
Qui n’est pas forcément négative, notez. Aussi surprenant que cela puisse paraître, on se plaît, parfois, à aimer la manière dont Apple veut nous faire travailler. Sans système de fichier, sans multiplication des fenêtres, sans dossier, sans notification… eh bien on travaille plus sereinement. Je me suis surpris plusieurs fois à être bien plus productif sur un iPad Pro pour accomplir une tâche précise que sur mon MacBook Pro, sans distraction, sans notification, sans milliers d’onglets. C’est tout le paradoxe de travailler sur un iPad Pro en 2018 dans une profession de l’écrit : on aime le format, on aime ce qu’il apporte, mais des freins nous empêchent encore de passer à une expérience complète.
L’iPad > des kilos de papiers
Mais ce serait regarder le monde du travail par une toute petite lorgnette que de croire que la numérisation ne se fait que dans les métiers du numérique. Contrairement à ce qu’on aurait pu imaginer, nos reportages et entretiens nous ont montrés que les métiers les plus éloignés a priori du web et du numérique sont ceux qui, le plus, utilisent iPad et iPad Pro comme des outils de production. Et on le comprend facilement : ils n’ont pas eu à réinventer un workflow, mais à abandonner des outils physiques pour passer à la tablette.
Depuis fin 2016, le groupe Axa a par exemple équipé 2 500 employés avec des iPad. Principalement à des postes commerciaux, ces employés avaient deux besoins : de la mobilité et une capacité à faire des propositions visuelles marquantes aux clients potentiels. Grâce à une application nommée Discovery, les salariés d’Axa qui passent la majorité de leur temps chez clients ont énormément gagné en productivité en abandonnant la plupart des papiers — jusqu’à la signature, qui passe désormais par une version numérique.
C’est aussi, chez eux, un moyen de s’assurer que toutes les informations ont été bien rentrées : l’application aide à l’avant-vente, mais aussi à l’après-vente. En d’autres termes, pour le groupe, tout ce qui a été économisé en temps et en paperasse peut être passé avec le client pour répondre à ses besoins. Olivier Mariée, Directeur des ventes et de la distribution d’AXA France, affirme pour Numerama que « la réaction des commerciaux est très positive », même s’il reconnaît qu’il a fallu travailler énormément en amont pour traduire les processus de l’entreprise sur une interface tactile.
Au-delà de la relation client, l’iPad a révolutionné un autre secteur auquel nous ne penserions pas de prime abord : le bâtiment. Nombreux sont les entrepreneurs qui, aujourd’hui, prennent des notes et font des plans sur un iPad. La version Pro, avec son stylet, a ouvert un monde de facilité pour tout un corps de métier qui peinait avec l’informatique « lourde ». En quelques secondes, aujourd’hui, un plombier peut prendre une photo d’une fuite et annoter les éléments pour la réparer puis transférer les éléments par mail à ses associés qui vont acheter les pièces immédiatement. Tout comme un entrepreneur peut travailler en temps réel sur un plan et prendre des notes sur des aménagements d’intérieur.
De l’autre côté de la chaîne, un véritable business logiciel s’est construit. L’entreprise française Finalcad a par exemple pour ambition de repenser pour tablettes tactiles tous les plans techniques d’un chantier. Thomas Sales, Vice-président de l’entreprise, nous a accordé un entretien pour discuter de leur approche. Pour faire simple, Finalcad remplace, par une application, tous les plans qui servent à la construction d’un bâtiment.
Pour tous les maîtres d’œuvre qui doivent exécuter la partition « gros œuvre »qui amènera au bâtiment construit, une telle application est du pain bénit : « Avant, vous aviez des plans immenses en papier qui traînaient partout. Quand il fallait les déplacer, ils pouvaient prendre la pluie, se déchirer, s’envoler, se perdre… », nous explique Thomas Sales. En plus d’avoir toutes ces informations sous la main au format numérique, facilement annoté et partagé, une application ajoute un côté dynamique : plus besoin du superposer les plans (bâtiment, eau, électricité) pour ajuster les travaux, tout est fait en temps réel sur l’application. Les étapes de vérification sont aussi facilitées et, comme le note Finalcad, ce sont les erreurs dans le gros œuvre qui entraînent un tiers des incidents en fin de chantier.
Le dernier exemple qui nous vient d’un monde habitué à la paperasse est plus connu : celui des pilotes de ligne. En 2012 déjà, Air France avait fait une annonce fracassante en équipant plus de 4 000 pilotes avec les tablettes d’Apple. Aujourd’hui, la compagnie française reste l’un des gros partenaires du géant californien, poursuivant ce partenariat. Plus récemment, Singapore Airlines, qui équipe également ses pilotes depuis 2015, a affirmé que la tablette tactile était le meilleur compagnon de vol. Au-delà de l’économie en poids, l’application FlyNow utilisée indique le carburant, la météo aérienne et les routes aériennes. Elle est aussi utilisée par les pilotes pour suivre leurs heures de vol et de repos, rigoureusement encadrées.
Loin des professions couramment mises en avant par Apple, c’est plutôt tout un monde qui a parfois échappé à une première transition numérique qui s’est modernisé grâce à la tablette tactile. Des métiers qui n’ont pas pris toutes les habitudes des professionnels de l’informatique ou du web depuis 20 ans et qui ont des outils modernes à leur disposition pour les convaincre. Aujourd’hui en position de leader sur le marché, sans véritable concurrence côté Android, Apple a encore de nombreuses cartes à jouer.
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