C’est une affaire dans l’affaire. Ces derniers jours, il a beaucoup été question du cours de l’action de GameStop, une chaîne américaine de magasins de jeux vidéo, semblable à Micromania en France. Alors qu’il devrait refléter normalement les difficultés de la société face à la crise du coronavirus et, surtout, à la dématérialisation croissante du jeu vidéo, le mouvement était au contraire très favorable.
Comment est-ce possible ? En fait, sur Reddit et ailleurs, des particuliers regroupés en communautés se sont organisés pour acheter massivement des actions d’entreprises qui sont considérées comme en bout de course par les investisseurs professionnels. Or, dans cette stupéfiante mobilisation aux airs d’anti-Wall Street, un nom est revenu à plusieurs reprises ces derniers temps : Robinhood.
Robindhood, une appli de finance qui séduit les jeunes
Pour qui connait l’anglais ou ses classiques, ce nom est familier : il fait référence à la fameuse légende du voleur qui vit caché dans la forêt de Sherwood, en Angleterre. Le voleur qui d’ailleurs vole aux riches pour donner aux pauvres. Mais ces derniers temps, Robinhood, c’est surtout une application qui propose des services financiers, née en 2013, et qui connait depuis quelques années un succès fulgurant.
La particularité de Robinhood, c’est qu’elle est très populaire auprès des jeunes générations. « Il est incontestable que des services comme Robinhood ont démocratisé l’accès à l’investissement sur les marchés des plus jeunes », observait par exemple mi-juin Grégory Raymond, un journaliste spécialisé dans les cryptomonnaies comme le Bitcoin et l’Ethereum.
Ce succès auprès des millennials américains vient en partie de la médiatisation de jeunes apprentis traders suggérant avec quelle facilité il est possible de gagner rapidement de l’argent sur Internet sans sortir de chez soi. C’est ce que montrent certaines vidéos parues sur les réseaux sociaux, comme TikTok, qui ont de fait eu une influence sur d’autres jeunes qui se sont enrôlés ensuite dans l’aventure.
Méconnue en France, du moins jusqu’à l’affaire GameStop-Reddit-Wall Street, l’application, fondée par Vladimir Tenev et Baiju Bhatt, des trentenaires déjà millionnaires, a reçu un coup de projecteur des Échos, au printemps 2020. Robinhood était alors présentée comme un courtier en ligne orientant les ordres de sa clientèle vers les firmes de trading de Wall Street, et plus spécifiquement des traders haute fréquence.
L’application a aussi séduit le public parce qu’elle lui permet de faire du trading sans commission. Mais le Diable se cache dans les détails : s’il est gratuit en façade, Robinhood incorpore une mécanique permettant justement aux firmes de trading à haute fréquence de gagner de l’argent, en profitant des ordres du public et des tendances du marché.
C’est ce que raconte Gregory Raymond dans un fil sur Twitter. Certes, ce que propose Robinhood n’est pas illicite en soi, dans la mesure où toutes les applis de trading qui se disent sans frais revendent en fait les ordres du public au plus offrant. Ainsi, les firmes de trading à haute fréquence achètent à Robinhood le droit de capter exclusivement les flux d’ordres de ses clients, explique-t-il.
Dans le détail, c’est au niveau du « spread » que ces sociétés se rémunèrent. Le « spread » , c’est cet écart très faible entre le cours auquel elles vendent et achètent les actions. Sur quelques actions, cela ne représente rien. Mais sur des volumes plus importants, c’est tout de suite plus intéressant. Et justement, Robinhood a su fédérer une communauté notable, et active, avec 13 millions d’individus.
« Robinhood vend des produits financiers très complexes aux particuliers, sans s’enquérir de leurs connaissances en la matière et ne les met pas forcément entre les meilleures mains (en tout cas il reste volontairement opaque) », ajoute le journaliste. Et cela n’est pas du genre à poser de problème aux investisseurs, car l’été dernier, la société a pu lever 320 millions de dollars, pour une valorisation à 8,6 milliards de dollars.
Pour Robinhood, tout ceci est très lucratif et se monnaie à prix d’or : dans les colonnes du quotidien économique, il était ainsi rapporté que les traders haute fréquence ont payé 90 millions de dollars pour capter ses flux spéculatifs, rien qu’au premier trimestre 2020, Mais tout ceci soulève quand même quelques sourcils interrogateurs du côté des autorités de régulation.
Dans son édition du 2 septembre, le Wall Street Journal signalait que, justement, la société fait l’objet d’un examen minutieux pour avoir permis à certains utilisateurs inexpérimentés de faire des paris risqués. Plus particulièrement, il lui est reproché de ne pas avoir divulgué entièrement sa façon de de vendre des ordres des clients à des sociétés de trading haute fréquence.
Pourquoi Robinhood est-elle mêlée à l’affaire Reddit et GameStop ?
Le fait que Robinhood apparaisse aujourd’hui dans la controverse GameStop-Reddit-Wall Street vient du fait l’application a fini par interdire à ses clients de prendre de nouvelles positions sur GameStop, et un certain nombre d’autres cours concernant des entreprises moribondes. Conséquence immédiate : les cours de toutes ces entreprises ont plongé, brutalement, après leur ascension fulgurante.
« Compte tenu de la volatilité actuelle du marché, nous limitons les transactions pour certains titres à la seule clôture des positions, notamment pour GameStop et AMC », a écrit Robinhood le 28 janvier. Vladimir Tenev, le cofondateur, a toutefois promis « de permettre des achats limités de ces titres », tout en prévenant que des « ajustements nécessaires » pourraient être pris.
L’intéressé s’est d’ailleurs fendu d’un fil d’explication sur Twitter, pour démontrer qu’il y a des raisons objectives et légitimes pour calmer l’agitation des marchés, et que la société a par ailleurs des obligations réglementaires à respecter. Mais, forcément, cette intervention a été perçue comme une contradiction avec la communication du groupe qui demande à ce qu’on laisse les gens boursicoter.
Des répercussions judiciaires et politiques
Pour Robinhood, toute cette séquence est en train de mal tourner. De très mal tourner. Certes, elle a de nouveau pu faire une levée de fonds, encore plus spectaculaire (car elle s’est élevée à un milliard de dollars, et qui se serait avérée indispensable pour des raisons de manque de liquidités selon le New York Times), mais il y a maintenant des répercussions judiciaires et politiques.
La représentante américaine Alexandria Ocasio-Cortez a qualifié le blocage de Robinhood « d’inacceptable ». « En tant que membre de la commission des services financiers, je suis favorable à une audition si nécessaire », écrit-elle sur Twitter, en s’interrogeant pourquoi le public ne peut plus acheter ces actions « alors que les fonds spéculatifs peuvent librement négocier les actions comme bon leur semble ».
L’intéressée souhaite d’ailleurs ne pas se limiter au seul cas de Robinhood, mais à tous les autres services du même acabit. « Il s’agit d’une question sérieuse ». Plus tôt, elle s’amusait de l’affaire GameStop : « Il faut admettre que c’est vraiment quelque chose de voir les Wall Streeters, qui traitent depuis longtemps notre économie comme un casino, se plaindre [de Reddit] qui traite également le marché comme un casino. »
Sur le terrain du droit, une action de groupe (class action) a été initiée outre-Atlantique pour se plaindre de ce blocage. Elle reproche à Robinhood « d’avoir privé ses clients de la possibilité d’utiliser son service », en vue de « manipuler le marché au profit des personnes et des intuitions financières ». Et possible aggravation en vue, Robinhood est accusé de revendre les parts de ses clients sans autorisation.
Et il y a un encore un dernier terrain sur lequel Robinhood risque de laisser des plumes : celui de la notoriété. The Verge note que, l’application a été la cible de plus de 100 000 commentaires négatifs d’internautes excédés des évènements récents. Google les a certes expurgés, mais il y a fort à parier que l’application jusqu’alors décrite comme l’outil de trading favori des jeunes perde sa couronne.
+ rapide, + pratique, + exclusif
Zéro publicité, fonctions avancées de lecture, articles résumés par l'I.A, contenus exclusifs et plus encore.
Découvrez les nombreux avantages de Numerama+.
Vous avez lu 0 articles sur Numerama ce mois-ci
Tout le monde n'a pas les moyens de payer pour l'information.
C'est pourquoi nous maintenons notre journalisme ouvert à tous.
Mais si vous le pouvez,
voici trois bonnes raisons de soutenir notre travail :
- 1 Numerama+ contribue à offrir une expérience gratuite à tous les lecteurs de Numerama.
- 2 Vous profiterez d'une lecture sans publicité, de nombreuses fonctions avancées de lecture et des contenus exclusifs.
- 3 Aider Numerama dans sa mission : comprendre le présent pour anticiper l'avenir.
Si vous croyez en un web gratuit et à une information de qualité accessible au plus grand nombre, rejoignez Numerama+.
Marre des réseaux sociaux ? Rejoignez-nous sur WhatsApp !