L’autre jour, la publication de notre définition de ce que sont les hackers a provoqué quelques débats en ligne. Dans sa plus simple acception, le verbe hacker signifie bidouiller et pourtant, en français, le terme est souvent lié à l’idée de sécurité, voire de criminalité informatique. Deuxième problème : l’idée même d’évoquer une « cybercriminalité » a paru un brin hyperbolique à certains internautes, dans la mesure où la plupart des infractions commises en ligne relèvent plutôt de la délinquance. Intrigué par les échanges qui se dessinaient sous nos yeux, Numerama a décidé de creuser un peu.
Contraventions, délits et crimes
D’abord, un rappel de vos cours d’éducation civique. Dans le Code pénal, « les termes de cybercriminels ou de cyberdélinquants n’ont pas cours », pointe l’avocate Garance Mathias. Ce que le texte contient, ce sont les définitions de plusieurs types d’infractions qui, de la moindre à la plus grave, s’échelonnent entre contraventions, délits et crimes. La discrimination ou le harcèlement moral sont des délits, par exemple, tandis que le meurtre, le viol ou le faux en écriture publique sont des crimes.
« Le numérique n’est qu’un outil, une manière de commettre l’infraction », illustre l’avocate : qu’il ait eu lieu en ou hors ligne, un vol, même de 100 millions d’euros, est un délit. « Les rançons, c’est la même chose : c’est un type de délinquance qui existe depuis la nuit des temps — avant on prenait des gens en otage, aujourd’hui on prend des données, mais le réseau, là-dedans, n’est qu’un moyen de commettre l’acte. » Au fil des ans, nos textes légaux ont été étoffés de définition pour des délits et des crimes relatifs au monde numérique — les articles 323-3 et suivants du Code Pénal traitent, par exemple, des « atteintes aux systèmes de traitement automatisé de données », qui sont des délits. Mais il y a « un principe d’unicité de l’illégalité des infractions » qui rend pareillement illégale une extorsion commise en ou hors ligne, complète l’avocat Alexandre Archambault.
« Cybercriminalité », un abus de langage ?
Pourquoi, alors, entend-on si souvent parler de cybercriminalité ? L’informaticien Stéphane Bortzmeyer voit deux explications au phénomène. « La première, c’est une erreur de traduction : en anglais, « crime » qualifie toutes les infractions alors qu’en français, ça correspond à une définition spécifique. » Si l’idée de cybercrime est reprise à l’envi, ce serait le résultat du jonglage permanent entre éléments anglophones et francophones qu’impose le monde numérique. Et peut-être, un peu, par méconnaissance du droit français. Est-ce grave ? Non, estime Garance Mathias : « de la même manière qu’on n’attend pas de moi d’être experte en langage informatique ou d’une autre profession, je comprends que les non-juristes utilisent le terme de « crime » ou de « criminalité » par abus de langage. »
Stéphane Bortzmeyer trouve cela plus problématique, parce que sa deuxième piste d’explication est plus politique : « Le terme de cybercriminalité sert aussi à faire peur. Ça a un intérêt pour l’industrie de la cybersécurité, qui vend énormément de produits et de services pour lutter contre le problème [et représentait 37 milliards de dollars en Europe en 2021, ndlr], mais aussi pour les politiques qui cherchent à passer des lois liberticides. »
Une délinquance qui évolue avec l’époque
Comme lui, Alexandre Archambault s’inquiète de la prolifération de ce type de propos qui permettent aussi de pousser l’idée qu’internet serait une zone de non-droit. « En France, le droit traditionnel s’applique bien à Internet, nous avons même été assez précurseurs en la matière », insiste l’avocat, citant la loi CNIL de 1978. La délinquance, dit-il de concert avec nos deux autres interviewés, est vieille comme le monde, « elle s’est toujours adaptée à l’évolution. Mais on ne s’est pas mis à parler d’« autodélinquance » pour qualifier délits routiers ». Pour le juriste comme pour Stéphane Bortzmeyer, créer une catégorie de langage spécifique autour d’une « criminalité cyber » risque de laisser penser qu’il y aurait besoin d’un droit et de définitions d’infractions spécifiques au monde numérique. Cela crée le risque de « revenir sur ou de détricoter des lois déjà existantes alors qu’elles présentent de bonnes garanties procédurales ». Ce qui manque, estime le juriste, ce ne sont pas les lois, mais bien les moyens qui permettront à la Justice de poursuivre les infractions commises en ligne, par l’intermédiaire des réseaux numériques.
Quid du hacker, dans cette affaire ? Comme dit en introduction, l’énergumène est littéralement un ou une simple bidouilleuse : son intérêt principal consiste à désosser des mécaniques numériques pour en comprendre le fonctionnement. Cela dit, dans la langue française, « le terme est souvent associé au pirate » admet Alexandre Archambault. « Dans ce cas-là, on peut faire une distinction similaire à celle qui avait cours au grand siècle de la piraterie : les pirates d’un côté, qui agissent hors des cadres, et les corsaires, qui œuvrent pour et avec l’accord de l’État ». Aux deux catégories du XVIIIe siècle, on ajoutera, pour le monde informatique, celle de ceux qui pratiquent dans leur coin : uniquement pour l’amour de l’art.
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